Pr Abdelmajid BEDOUI LA Tunisie, grand berceau de civilisations, est entrée de plain-pied et de plein droit dans le cercle des nations qui ont bouleversé le cours de leur histoire par des révolutions qui ont permis à des millions d'âmes de s'affranchir du joug du despotisme et de battre en brèche les forteresses de l'arbitraire. Après la révolution iranienne de 1979, des analystes se sont aventurés pour décider au lieu et place de la dynamique de l'histoire que plus que jamais il n'y aura de révolution populaire. Grandeurs et misères La révolution tunisienne de 2010-2011 est venue démentir cette prophétie. Ce tournant important de l'histoire de la Tunisie contemporaine est affublé du sobriquet élogieux de « révolution du jasmin », devenu très vite printemps arabe après que l'élan révolutionnaire eut gagné d'autres lieux. Nous avons dans notre livre intitulé « Grandeurs et misères de la révolution tunisienne », aux éditions l'Harmattan 2014, désigné clairement et par prétérition les maîtres d'œuvre et les sous–traitants de cet ouvrage intrinsèquement grandiose. Nous avons amplement parlé des forces occultes qui ont œuvré dans l'ombre pour saper les fondements de l'élan moderniste pris par la Tunisie depuis plusieurs décennies. Les meutes de prédicateurs faux-dévots à la solde de ploutocrates véreux qui ont afflué pour altérer le paysage verdoyant tunisien et le polluer ont vite dévoilé le plan diabolique de leurs commanditaires qui les ont chargés de valises pleines de fausse monnaie qu'ils ont distribuée à volonté et à tout vent. Cette manne maudite était destinée à «réislamiser des renégats et des apostats en manque de supplément d'âme ». Les faux-monnayeurs Mais ce plan s'est soldé par un échec cuisant grâce à une veille et à une vigilance à toute épreuve de la société civile et des modernistes de tous bords. Les conspirateurs haineux installés outre-Méditerranée et dans les déserts arides ont reçu un camouflet cinglant puisque leur fausse monnaie frappée sous le soleil ardent du désert et dans les think tanks d'outre-Atlantique n'a tenté qu'une poignée de fourvoyés et d'ineptes qui se sont empressés pour aller grossir les rangs des combattants de la guerre sainte en Syrie ou pour aller soulager les djihadistes. Cette fausse monnaie n'a charmé qu'une infime minorité et les Tunisiens ont élu leur Assemblée nationale constituante qu'ils ont mandatée pour rédiger une constitution dans le délai d'un an, mais le plaisir du pouvoir a duré trois ans et messieurs bons–conseils œuvrant en sous–main pour que les bavures et les erreurs de gestion se multiplient et pour qu'enfin l'état s'effondre et que le pays sombre dans le chaos, après de longues et pénibles souffrances. En effet l'agonie a été longue mais pas jusqu'à trépas puisque les cyclones qui se sont succédé avec une violence folle ont causé de vrais dégâts par le surenchérissement de la vie, la violence, les assassinats de militants de gauche, et la recrudescence du terrorisme, mais l'Etat, affaibli par la perte de son autorité, n'a pas succombé aux coups durs qui lui ont été assenés. Son armure s'est avérée solide. Dans ce magma effervescent qui échauffe les esprits et menace d'un déferlement dévastateur, dans cette mer houleuse où le navire Tunisie tangue, un souffle de liberté, bien que débridée, est venu soulager les âmes éperdues et leur donner l'espoir d'un rebondissement salutaire. Dans cette situation où la Tunisie souffle le chaud et le froid, les faux-monnayeurs de l'extérieur ont décidé d'agir avec un peu plus de pudeur pour laisser la place à leurs délégués de l'intérieur. La fabrique de la fausse monnaie ne doit aucunement cesser de tourner puisque l'imagination féconde génère toujours de belles pièces même si elles ne sont d'aucune valeur marchande. Nous citons en premier lieu l'idée de la restauration du califat, non le bien guidé, mais le mal guidé, c'est-à-dire celui que les omeyyades ont, depuis la quatrième décennie du deuxième siècle de hégire (huitième après J.C), érigé en pouvoir autoritaire exécrable par la division de la communauté musulmane en sectes et en rites hostiles les uns aux autres. Cette nouvelle et fausse monnaie est reçue par les Tunisiens avec indignation et mépris mais ses zélateurs ne baissent pas la garde et ne se lassent pas d'appeler à boycotter les nouvelles élections législatives et présidentielle, arguant que la démocratie est une hérésie et une innovation blâmable de l'Occident mécréant. Les motivations mercantiles et bassement matérielles de ces zélateurs ne sont un secret pour personne. A cela s'ajoutent l'insouciance, l'inconsistance et l'inconscience de plusieurs candidats aux législatives et à la présidentielle qui se sont rués vers une course au pouvoir. La monnaie qu'ils distribuent est, pour le moins qu'on puisse dire, venimeuse puisque le jeu qu'ils jouent est attentatoire à l'unité nationale par le discours scissionniste et diviseur du pays en sud pieux, révolutionnaire et en nord mécréant et réactionnaire. Mais fort heureusement, cette fausse monnaie tant distribuée sur les médias et les réseaux sociaux trouve difficilement preneur, puisque le commérage qui assure sa promotion n'a pas mordu et fut un expédient sans lendemain. L'histoire récente de la Tunisie indépendante est aussi invitée à mettre la main à la pâte puisque certains illuminés ont cherché à convaincre l'électorat par l'évocation des victimes du youssefisme (scission politique parue dès la fin des années cinquante et le début des années soixante). L'objectif est de discréditer un candidat à la présidentielle porté gagnant et jeter sur lui l'opprobre. La démagogie et le populisme ont aussi leurs usines qui distribuent des promesses à l'emporte-pièce, le pain à cent millimes de dinar tunisien (vingt centimes d'euro), la gratuité totale des soins médicaux, etc. L'intelligence vaincra-t-elle ? Mais ce qui est beaucoup plus déplorable, c'est le « droit-de l'hommisme » dont la noblesse a été bradée, pour ne pas dire piétinée, pour devenir une fausse monnaie dont tout le monde se détourne. Dans tout cela, la raison de l'ego amplifié et l'ambition démesurée remplacent le sens de l'Etat, pour ne pas dire la raison d'Etat. Pour ne pas accuser la main secrète qui diligente les pyromanes et pour ne pas tomber dans la théorie du complot et de la rhétorique de la prévarication, nous disons que si toutes ces monnaies ont existé, c'est parce qu'il y a vraiment en Tunisie chez certains un déficit de patriotisme qui vient s'ajouter à un vrai déficit de connaissances. Mais, nous pensons que la Tunisie intelligente saura combler tous ces déficits et sortira victorieuse et aura raison des minorités frappées d'ineptie et de cécité et des faux analystes qui troquent les intérêts de leur pays contre une poignée de dollars, cette fois-ci vrais, et contre un billet d'avion en cinquième classe et un séjour dans un hôtel de moins zéro étoile. Pour conclure, nous disons qu'en Tunisie, la bonne monnaie finira par chasser la fausse et que point de place au cynisme, aux petits calculs d'épiciers et aux conflits identitaires meurtriers.