Soleils, présenté aux dernières JCC, nous offre un merveilleux voyage dans l'espace et dans le temps. Nous remontons du XXIe siècle au XIIIe siècle dans l'Empire mandé au temps de l'empereur Soundjata Keïta. Ce road-movie, qui nous entraîne du Cap à Berlin, en passant par le Burkina Faso, le Mali, le Congo, se construit —et ce n'est pas la moindre de ses singularités— à travers deux regards croisés, dans une sorte de face-à-face entre deux continents : l'Afrique et l'Europe. Dans Faust II, Goethe nous conviait à des pérégrinations spatio-temporelles grâce au pouvoir magique de Méphistophélès. Dans le cas présent, cette double traversée qui semble tenir précisément du surnaturel et qui se raconte comme un conte onirique n'est possible, en l'occurrence, que grâce à la magie du verbe. Capital en cela, le personnage du conteur, Sotigui, conteur-griot, magnifiquement interprété par le talentueux Binda Ngazolo, chargé de mettre fin à l'amnésie de la petite fille de l'empereur, Dokamisa, métaphore de l'Afrique. La résurgence de la mémoire individuelle, c'est la résurgence de l'Afrique avec ses grandes figures: l'empereur Soundjata Keïta, proclamant au XIIIe siècle la charte mandé —1ère charte au monde des droits de l'homme?— ou le Général-Président burkinabé, Sangoulé Lamizana, si proche de son peuple, qui reçoit tout un chacun sans le moindre protocole, un peu philosophe et mécène à sa manière, ami des lettres et des arts, ou encore le grand Nelson Mandela, comme autant de Soleils. La rencontre avec la Confrérie des Chasseurs, emblématique de l'harmonie de l'homme avec la nature, constitue aussi un moment fort. En un mot, toute la mémoire d'un continent avec ses vertus, sa sagesse est à l'œuvre. Face à ces figures africaines, émergent d'autres noms illustres : Hegel capté dans son cabinet de travail, vous parlant de l'Afrique et des Africains, se contentant cependant, selon souvent la pratique d'alors, de voyage livresque, Voltaire jouant comme il se doit, de dérision, ou l'explorateur Savorgnan de Brazza en mission au Congo en 1905, butant sur ses propres limites. On l'aura compris, ce face-à-face Europe-Occident-Afrique nous interpelle. Il nous force, s'il en était besoin, à remettre les pendules à l'heure et nous pousse à de profondes interrogations sur la notion de l'Autre. Face aux idées reçues, la question que posent aujourd'hui les deux réalisateurs est : «L'Afrique n'a-t-elle pas quelque chose à nous dire?». Cette question lancinante sous-tend tout le film. En ce sens, il faut rendre grâce à Olivier Delahaye et Dani Kouyaté qui, pour nous faire pénétrer dans cette Afrique ancestrale, ont su trouver le ton juste : aucun exotisme, aucun folklore, pas de polémique non plus. De manière ludique incluant même à l'occasion le burlesque, sans se départir cependant d'une certaine gravité, faisant judicieusement alterner émotion et légèreté dans un juste équilibre, ils ont su rendre une sagesse tout africaine, la richesse et l'âme d'un continent dans son ensemble. Faut-il pour autant oublier Les Lumières? «Et Voltaire ? As-tu oublié Voltaire?», s'empresse de demander Sotigui à Dokamisa à la fin de leur périple. Non, bien sûr, mais l'Afrique riche de ses Grands Hommes n'a-t-elle pas sa part dans l'universel? Le film est entièrement porté par le formidable tandem que forment Binda Ngazolo et Nina Molo. D'une voix grave et paisible, un brin philosophe, le talentueux Binda Ngazolo, superbe Sotigui, émaillant son propos de proverbes et d'aphorismes, a su nous captiver et nous tenir en haleine du début jusqu'à la fin ; la fraîcheur, le naturel du jeu de Nina Molo (Dokamisa) faisant le reste. Mais il s'agit avant tout d'une création artistique, et le regard avisé des cinéastes, tout en nous faisant pénétrer avec justesse, le plus souvent dans une réalité prosaïque, a su nous gratifier tout autant de magnifiques paysages et rendre la beauté de la nature : la terre qui rougeoie, une forêt luxuriante ou les bords de la Volta. La musique aussi arrive à point nommé et confère un supplément d'âme : émouvante interprétation de Barbara Hendricks chantant un gospel en hommage à Nelson Mandela, remarquable interprétation aussi de Fatoumata Diawara. L'on reste scotché, ému, bouleversé. Soleils, œuvre d'une grande beauté, est un pur moment de bonheur, un moment de grâce. Ce road-movie vous poursuit longtemps et la voix de Binda Ngazolo vous poursuit longtemps aussi. Un film à voir et à revoir !