Devant un théâtre archicomble, Raouf Ben Yaghlane a présenté, samedi, pour une première publique, au festival international de Hammamet, sa nouvelle pièce de théâtre dont le thème principal n'est autre que l'émigration clandestine, connue dans nos contrées sous le terme de harga. Retour sur une mise en eau d'un bateau (de fortune) nommé Haraq Yetmenna. Fidèle à lui-même et à sa philosophie théâtrale, Raouf Ben Yaghlane vient d'offrir au public du Festival international de Hammamet la première de son quatrième one-man-show, intitulé Haraq Yetmenna, après ceux de Mathalan (quand je me suis déguisé en femme, 1995), Ech ikouloulou (Je suis complexé, 2000) et Naabbar wella ma naabbarch (dire ou ne pas dire, 2005). Dans Hareq Yetmenna, Raouf Ben Yaghlane amorce avec passion un sujet très brûlant et toujours d'actualité : el harga (l'émigration clandestine). A première vue, il s'agirait d'un drame social, renvoyant à l'histoire de n'importe quel jeune à la recherche d'un travail, au quotidien monotone, plein de frustration et d'amertume. Certes, le spectacle est taillé dans le marbre d'un malaise social où le chômage anéantit les espoirs des jeunes diplômés comme c'est le cas de Belgacem (personnage principal de la pièce et maîtrisard) et gangrène les ambitions d'une jeunesse rêvant d'un avenir meilleur. Hareq Yetmenna, dans son fond, veut sonner l'alarme contre ce mal des temps modernes qui ne cesse de gangrener le corps des sociétés maghrébines. Telle une hémorragie chez un hémophile, le phénomène des «brûleurs», des candidats à l'émigration clandestine, n'a jamais connu de pause dans nos contrées. Raouf Ben Yaghlane a voulu mettre en relief la dualité qui habite les candidats potentiels à la harga. Le personnage principal nous révèle comment les «brûleurs» sont conscients des risques de cet acte criminel perpétré contre la valeur humaine au nom de la lutte contre la misère. Comme un schizophrène dont l'ambivalence interpelle le spectateur, le personnage principal de ce one-man-show, tel un funambule sur sa corde, reste campé sur sa décision d'émigrer clandestinement en prenant le large, et ce, malgré sa profonde conviction que ce qui l'attend du côté du vieux continent est loin d'être l'Eldorado rêvé. Passant d'un personnage à l'autre avec une rare dextérité, dans un jeu de rôles dont le but est d'arriver à aplatir les faits et à les raconter selon les différentes versions et les points de vue des protagonistes, Ben Yaghlane finit par nous mener en bateau, brouillant les pistes, noyant le sens, sans se départir de sa science du rire, car il reste comédien avant tout, farceur invétéré, qui tire sa joie de celle qu'il transmet aux autres. Cela ne l'empêche pas, en filigrane, de mettre à nu les tares de sa société, ses bégaiements, ses drames et, surtout, les différentes causes qui incitent un jeune à opter pour cette nouvelle forme de suicide et embarquer sur des bateaux de fortune, mettant en péril leurs vies dans le néant du détroit de Sicile : une administration aux discours stéréotypés, des responsables qui se distinguent par une langue de bois, pour ne pas dire de formica, etc. Jouant dans un décor rudimentaire et simple, le comédien avec ses gags, sa vista et une énergie bouillonnante réussit à nous faire vivre des moments de délire, de rire et de plaisir, avec tour à tour quelques spots musicaux et de danse où Ben Yaghlane dresse un monologue dont la créativité laisse à désirer. Car on oublie toujours qu'en 2010, quand on veut parler de spectacle, l'utilisation du play-back n'est plus d'actualité, alors que, sous d'autres cieux, le comédien propose de la musique live. Finalement, le sujet de la pièce reste de loin un sujet brûlant et d'importance capitale, mais on aurait bien voulu écouter un texte plus riche et approfondi, loin de la redondance des phrases et des clichés comme «nahraq walla ma nahraqchi», qui nous rappelle comme par hasard le refrain de son dernier one-man-show: «Naabbar wella ma naabbarch». Entre théâtre de critique et sketch d'humoriste, un long monologue jalonné de gags, de gesticulations et de caricatures, qui fait marrer le public, Haraq Yetmenna est un véritable one-man-show à la sauce tunisienne, à placer dans la même lignée que les autres spectacles mis en scène, écrits et joués par Raouf Ben Yaghlane. Reste à dire qu'on peut faire mieux pour les prochaines montées sur scène.