Par Hamma HANACHI Naturellement, les attentats de Paris contre le journal satirique Charlie Hebdo continuent à nourrir les journaux, les radios les télés et les réseaux sociaux. L'emballement médiatique se poursuit, dimanche dernier, TF1 reprenait les faits avec le menu détail, commentaires et tentatives d'analyse à l'appui, Rtl lui emboîte le pas le lendemain, etc, etc. L'onde de choc, il faut le redire, est telle que les intellectuels, d'abord, les politiques, les lecteurs et le public, ensuite, en font un sujet inépuisable provoquant des discussions infinies et des hypothèses qui unissent ou divisent. Sur les plateaux ou sur les ondes, les journalistes et commentateurs y vont de leur description du crime, de leurs commentaires crus ou patelins, les journaux papiers répandent en abondance leur encre, dénonçant, pleine page, l'abjection de l'acte innommable, condamnant l'infamie sans réserve, des philosophes couchent des lignes avec les mots choisis, textes émouvants qui n'épargnent personne, surtout pas les politiciens bénéficiaires de l'ignoble acte. Les hebdos publient des spéciaux, convoquent de grandes figures, des Nobels de littérature, des écrivains notoires, des lauréats de prestigieux prix littéraires, des auteurs à la mode. Beaucoup d'entre eux ont croisé ou fréquenté les victimes assassinés, on décèle dans leurs témoignages compassion et douleur. Il y a donc un avant et un après-7 janvier. La manifestation historique organisée à l'appel du Président français a réuni les chefs d'Etat, les grands de ce monde, les politiques de tous bords, présence de notre Premier ministre, Mehdi Jomâa, les intellectuels et trois millions sept cent mille citoyens, tous blessés, secoués par le choc de la mort, ils portaient l'étendard de la République. Journée de deuil national, drapeaux en berne. Les communicants choisissent les mots, distillent les phrases qui ne dérangent pas, le langage rassembleur, donnant à entendre une débauche de discours consensuel, dans les rédactions on y va franco, on avance des approches théoriques nettes ou discrètes, on donne des leçons à retenir, on présente des analyses fouillées, des thèses et des antithèses ; des titreurs annoncent même Un 11 septembre français, des mots émergent du lot, ils sont répétés partout et à satiété, relevons les vocables «traumatisme» et «amalgame». La France, le monde entier est traumatisé par le meurtre des «fantassins de la démocratie», les tueurs voulaient écraser l'une des valeurs les plus chèrement acquises : la liberté d'expression. Indignation générale. Tous, dans les rangs de la droite comme de la gauche, les chrétiens, les juifs, les musulmans condamnent toute forme d'amalgame qui fait de l'islam une idéologie mortifère et du musulman un nihiliste assassin, prêt à tuer quand on touche à sa religion. Une idée, plutôt une vérité partagée par les penseurs, les analystes et le public averti : le terrorisme est devenu un business lucratif, les organisations terroristes réinterprètent l'islam pour servir leur cause et justifier leur action. Et de préconiser qu'il faut s'attaquer aux bailleurs de fonds qui manipulent les jeunes recrues. Le philosophe Michel Onfray, auteur notamment du (Traité d'athéologie), polémiste et analyste du texte coranique pour la circonstance, va à contre-sens, créant un nouveau scandale «...Il y a un Coran avec lequel il faudra désormais composer...Disons qu'il y a dans ce texte matière à justifier le pire...» (FR2, On n'est pas couché). Abdennour Bidar, philosophe qui vient de remplacer feu Abdelwahab Meddeb à l'émission Cultures d'Islam sur France Culture, ne dit pas le contraire, dans sa lettre au monde musulman, il proclame «Les racines de ce mal qui te vole aujourd'hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton ventre». Matthieu Ricard, bouddhiste, écrivain (Plaidoyer pour l'altruisme), ancien chercheur en génétique cellulaire, livre une autre version «C'est encore d'altruisme-ou plutôt de sa carence -qu'il s'agit. Dans leur égarement, les auteurs de tels actes (les tueurs) se perçoivent souvent comme des victimes, ils se disent « humiliés »...) Le Point. Deuil en Tunisie, aussi, qui a perdu l'un de ses enfants âgé de 80 ans, il était l'un des fondateurs de Charlie Hebdo, ses collègues et amis l'appelaient «président» Georges Wolinski, libertaire déclaré, athée proclamé, hédoniste et empêcheur de tourner en rond est mort dans cette tuerie. Homme affable, très attaché à sa terre natale. Souvenir. Une chaleureuse et courte rencontre avec lui, place de la Bourse à Paris, nostalgique, il racontait son Tunis à lui, la rue Saint-Jean, le journal La Dépêche, le lycée Carnot... Elsa Cayat, psychanalyste, victime de la tuerie aussi, est native de Tunis, elle tenait une rubrique dans l'hebdo satirique. Un autre enfant, 21 ans, est abattu dans la prise d'otages dans le supermarché casher à Paris Yoav Hattab, juif de confession, fils du rabbin et directeur de l'école juive de Tunis. Plus de 150 personnes lui ont rendu hommage devant la synagogue de Tunis, bougies, photos et pancartes sur lesquelles on pouvait notamment lire « Vive la Tunisie plurielle » côtoyaient les drapeaux tunisiens. Une ombre au tableau de ces cérémonies et hommages à nos morts : la subite absence, la semaine dernière, de journaux français dans les kiosques. Lecteur assidu, nous avons remarqué l'absence du quotidien Le Monde, l'envoyée spéciale et régulière du magazine Marianne, Martine Gozlan, déplore l'absence de son hebdo en Tunisie, Libération ainsi que d'autres journaux n'ont pas été distribués. Sommes-nous revenus aux temps obscurs où des quotidiens hostiles à la politique du pays se cachaient et circulaient sous le manteau ? Ne sommes-nous pas assez mûrs, assez responsables pour lire ce qui pourrait nous déplaire ou nous faire peur ? Tout n'est pas permis, politique molle, fondé sur le nini ? Pourtant, nous croyions qu'après la révolution, surtout après la naissance de la deuxième République, ces pratiques sont bannies à jamais. S'il y a un acquis sur lequel tout les citoyens sont d'accord, c'est bien la liberté de la presse, la lecture de journaux en est une composante. La profession va-t-elle réagir ?