L'annonce de la composition du gouvernement Habib Essid a été laborieuse. En amont, des centaines de prises de contacts et de réunions ont eu lieu. Soit des réunions entre le nouveau chef du gouvernement et des représentants de partis, d'organisations professionnelles, d'associations et des figures de la place politique. «Nous avons eu au moins deux tours de négociations avec tous les partis politiques, qu'ils soient ou non représentés au Parlement», reconnaît Habib Essid. Suivront un troisième tour avec les présélectionnés et un tour final avant la composition du nouveau gouvernement. Au total, Habib Essid disposerait à Dar Edhiafa à Carthage de plus d'un millier de CV. Une banque de données unique en son genre. N'empêche, la dernière ligne droite s'est avérée pleine d'anicroches. Le mouvement Ennahdha et le parti Afek se sont désistés au dernier moment. Ennahdha escomptait au moins un portefeuille ministériel occupé qui plus est par une figure de proue du parti. Habib Essid refuse. Tout au plus concèderait-il la nomination d'un nahdhaoui à quelque haut poste de l'administration «avec rang de ministre». Ennahdha veut le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière par-dessus le marché. Essid ne propose qu'un peu de beurre et refuse d'être la crémière. D'où, en fin de compte, le divorce à l'amiable. Le parti Afek n'est guère en reste. «Ils voulaient autant de portefeuilles ministériels que le mouvement Nida Tounès, grand vainqueur des législatives. C'est inacceptable», confie un très haut responsable qui tient à garder l'anonymat. Pourtant, jusqu'au dernier quart d'heure, Afek était crédité de certains postes ministériels, dont celui, et pas des moindres, de Yacine Ibrahim au ministère de l'Education. Là aussi, Afek préfère claquer la porte en douceur, mais la rage aux tripes. Depuis, des interrogations fusent sur la marge de confiance dont disposerait le cabinet de Habib Essid devant le Parlement. Le principal concerné n'en semble guère effrayé outre mesure. D'autant plus que même le bloc du refus semble évoluer en rangs dispersés. Et puis la composition du Parlement est telle que toutes les combinaisons, même les plus invraisemblables de prime abord, y sont plausibles. Par ailleurs, Habib Essid va aux devants du Parlement avec un programme aux contours alléchants et à la teneur convaincante à l'entendre. Ledit programme, qu'il présentera dans les prochaines heures, se résume en cinq priorités essentielles : 1- Renforcer la dimension sécuritaire. Cela embrasse aussi bien la motivation et la sécurisation des policiers que la mise en œuvre effective de la fameuse loi antiterroriste mise à mal par l'ancienne majorité gouvernementale de la Troïka. 2- Maîtriser les prix des produits de base et des denrées alimentaires et préserver le pouvoir d'achat des citoyens profondément érodé par le renchérissement insoutenable du coût de la vie. 3- Privilégier la propreté des villes, du cadre de vie et l'hygiène du mobilier urbain en général. 4- Entamer des négociations avec la centrale syndicale, l'Ugtt, de manière à reconduire le processus des négociations sociales triennales engageant des augmentations salariales annuelles. 5- Entamer, dès juin 2015, un nouveau plan de développement et renouer, ce faisant, avec les plans de développement quinquennaux. L'entreprise est ambitieuse : «D'ici le dernier trimestre 2015, confie-t-on, on aura un premier draft de plan comprenant une dizaine de projets structurants. Dès lors, nous organiserons une grande conférence internationale à l'intention des bailleurs de fonds, notamment au niveau multilatéral». Une première évaluation de ces cinq priorités est prévue à l'occasion des cent jours du nouveau gouvernement. Bien évidemment, on épiloguera encore longtemps sur le choix de tel ou tel ministre ou des casseroles que traînent Untel. La relation de la Kasbah avec Carthage alimente, elle aussi, bien des rumeurs et autant de conjectures. Et puis, les choses étant ce qu'elles sont, on est bien curieux de savoir quelle coalition formera désormais la majorité et laquelle endossera les habits de l'opposition. Pour l'heure, une partie des séides de Nida, d'Ennahdha, d'Afek et même du Front populaire jouent les premiers violons tant du côté de la majorité que du côté de l'opposition. Et ce n'est guère le dernier des paradoxes. Si la colère, voire le ressentiment, des uns et des autres font un, par-delà les barrières traditionnelles, les motivations sont diverses et multiples. Qui fait quoi ? Qui cautionnera le gouvernement Habib Essid et qui lui refusera l'investiture, au-delà des discours affichés ? Ici comme ailleurs, la politique politicienne a ses raisons que la raison ignore. Les prochaines heures promettent en tout cas d'être autant cocasses que truculentes.