Le mardi 27 janvier 2015, nous avons appris avec beaucoup de tristesse la disparition de notre collègue et amie. Sociologue de la première heure ayant fait ses armes auprès des maîtres de la sociologie française des années 1950-60 (J. Duvignaud, J. Berque, G. Balandier, etc.), nous sommes très nombreux à l'avoir côtoyée au Centre d'études et de recherches économiques et sociales (CERES), au département de sociologie de l'Université de Tunis ou avoir été ses étudiants ou ses doctorants. Actrice et témoin des premiers moments de la fondation de l'Université tunisienne et de l'institutionnalisation de l'enseignement de la sociologie, elle a été aussi une fine analyste du processus et de l'entreprise de construction nationale au lendemain de l'Indépendance. Avant même de soutenir une thèse de sociologie sous la direction de Georges Balandier sur le développement et les cadres dans la Tunisie indépendante (1968), Lilia Ben Salem a entamé sa carrière en 1963 avec un poste de chercheur au CERES aux côtés des grandes figures de la sociologie tunisienne naissante : A. Zghal, A. Bouhdiba, R. Boukraa, S. Hamzaoui et tant d'autres. Elle rejoint ensuite le département de sociologie de l'Université de Tunis qu'elle dirigera entre 1987 et 1993, et contribue à la réforme de la maîtrise de sociologie en 1996-1997 et à la création du premier mastère d'anthropologie tunisien en 2005. Elle aura vécu de près les différentes étapes, parfois difficiles, de l'évolution de l'Université tunisienne et de l'enseignement de la sociologie (fondation, arabisation, massification, etc.), sans que son engagement et sa foi ne soient altérés. Outre sa thèse qui offre une lecture particulièrement pénétrante de l'un des enjeux de la Tunisie indépendante, à savoir la production des élites, Lilia Ben Salem a laissé une œuvre sociologique riche et publié des textes qui ont fait date sur la segmentarité, Ibn Khaldoun, la parenté, la famille et le changement social en Tunisie. Sa réflexion, plus récente, sur les articulations entre le communautaire et les processus d'individualisation dans la Tunisie contemporaine, où elle mobilise une connaissance érudite des classiques des sciences sociales et une observation pénétrante des transformations que traverse la société tunisienne aujourd'hui, interpelle à plus d'un titre. Son dernier livre intitulé Familles et changements sociaux en Tunisie constitue une référence majeure et, sans doute, l'une des synthèses les plus accomplies, dans l'analyse socio-anthropologique de l'évolution de la vie familiale au Maghreb. Elle aura aussi été l'une des rares initiatrices des entreprises de recherche interdisciplinaires, à des moments où ce genre d'approche n'avait pas la vogue qu'il connaît actuellement. Lilia Ben Salem a été membre fondateur de l'Association tunisienne de sociologie et de l'Association tunisienne d'anthropologie sociale et culturelle. Elle est membre en exercice du comité de rédaction de la Revue IBLA et du Laboratoire Diraset-Etudes Maghrébines. Pour tout ce qu'elle a fait pour le développement des sciences sociales en Tunisie, pour son engagement indéfectible en faveur de l'Université et ses valeurs, pour sa bienveillance, sa rigueur et son intégrité, elle nous manquera.