La situation sécuritaire régionale est en train d'empirer, et la Libye limitrophe risque de devenir un nouvel Irak L'attentat-suicide de l'hôtel Corinthia perpétré mardi dans la capitale, Tripoli, faisant huit morts, quatre Libyens qui assuraient la sécurité et quatre employés étrangers, en plus des cinq assaillants, donne une fois de plus une idée précise sur l'ampleur du chaos qui règne en Libye. Sur un des sites, «El Manbar el Iâlami al Jihadi», la tribune d'information jihadiste, la progression de l'opération a même été notifiée, accompagnée de photos et des incantations habituelles, «mort aux croisés et gloire à nos combattants vaillants», en qualifiant cette opération sanglante «inghimassia», pénétration au cœur du camp de l'ennemi. Selon les revendications officielles, l'attaque a été commise par une branche libyenne de Daech qui compte des jihadistes tunisiens. Au-delà de la facilité effrayante de l'assaut, le Corinthia étant un palace situé sur la corniche de Tripoli, lieu de rencontre des officiels internationaux, des diplomates et des hommes d'affaires, c'est la dégradation vertigineuse de la situation sécuritaire qui interpelle, dans un pays livré entièrement aux milices où l'Etat est totalement absent. Les Américains commencent à formuler ouvertement leur inquiétude. Le général de l'Africom (Africa Command), la force américaine pour l'Afrique, David Rodriguez, s'est exprimé mardi à Washington face à la presse et en présence des experts militaires, au siège du think tank Center for Strategic and International Studies (CSIS), en précisant «suivre avec beaucoup d'attention une situation sécuritaire qui se dégrade de jour en jour et représente un souci». Et comme il l'a rappelé dans la même rencontre, «au moins trois factions armées libyennes ont à ce jour fait allégeance au mouvement d'Al Baghdadi». L'un de leurs bastions n'est autre que la ville de Derna, assez proche de notre pays. Contingents redirigés vers la Tunisie Daech est «désormais implantée en Libye, ce pays est voisin des autres pays du Maghreb», affirme encore le commandant de l'Africom, David Rodiguez. Or, Daech recrute désormais plus pour la Libye et moins pour la Syrie, surtout en partant de la Tunisie, de l'Algérie et du Maroc. La Tunisie est à ce jour le plus gros fournisseur de jihadistes, estimés à 3.000 éléments, cela sans oublier les binationaux originaires de France et de Belgique. Le professeur et expert Peter Neumann du King's College londonien avance ce chiffre effarant de 15.000 étrangers, toutes nationalités confondues, qui combattent dans les rangs de Daech. Elément nouveau : une partie de ces contingents de la mort pourraient être redirigés vers la Libye. Par ailleurs et en plus des déclarations de plus en plus explicites des Américains, la France a inauguré début janvier 2015 une base militaire située en territoire nigérien au sud de la frontière libyenne. Le porte-avion nucléaire Charles-de-Gaulle croise actuellement en Méditerranée à proximité des côtes libyennes et syriennes. Depuis quelques jours, des sources non authentifiées font état de préparatifs coalisés entre Américains, Egyptiens et Emiratis pour mener une offensive militaire en Libye. De même qu'une intervention plus musclée des Etats-Unis et de leurs alliés en Libye aurait été discutée à Riyad, en Arabie Saoudite, les derniers jours. En tout état de cause, la situation sécuritaire régionale est en train d'empirer, la Libye limitrophe risque de devenir un nouvel Irak. La stratégie de Daech étant basée sur l'expansion et la suppression des frontières, tous les clignotants sont au rouge, et c'est une très mauvaise nouvelle pour les Tunisiens.