C'est l'incroyable ! Alors que parents et enseignants peinent déjà à prodiguer aux enfants une éducation, sinon exemplaire, du moins décente, il se trouve des individus qui prônent publiquement l'usage de la vulgarité. Mais vers quel type de société on s'achemine ? Samedi 31 janvier 2015. Il est midi passé. La station Mosaïque FM diffuse un entretien avec un pseudo-artiste, considéré, en l'occurrence, comme étant une vedette du rap tunisien. Il s'agit d'un certain Hamzaoui à qui on attribue (ou qui s'attribue lui-même) cette chanson très bizarre intitulée Houmani. A un moment, l'animateur dit trouver indélicat qu'on use de mots obscènes dans ce genre de musique. Et son invité de répondre : «Je n'aime pas cette fausse pudeur ; de nos jours, dans notre société, nous sommes bombardés à longueur de journée de mots soi-disant grossiers; cela ne devrait plus choquer personne. D'ailleurs, les jeunes aiment ça...». Il y a environ un quart de siècle de là, M. Claude Imbert, alors éditorialiste de la revue Le Point, écrivait ceci : «Ils sont bizarres, les Arabes : ils ne copient que nos défauts, jamais nos qualités» (Sic). C'est on ne peut plus vrai. Voyons les choses de plus près. Le rap est, qu'on le veuille ou non, un genre importé, jamais il n'a fait partie de notre culture, un intrus de très mauvais goût par-dessus le marché. Pour nos jeunes, il est supposé être l'expression d'une révolte, d'une opposition contre l'ordre établi, d'un refus ou rejet de ce qu'on considère comme une injustice. Peut-être... Sauf que ce style dit hip hop, dont on nous dit que c'est un dérivé du rap, admet volontiers les termes triviaux, l'obscénité poussée jusqu'à son plus haut terme. Mais là, ça se discute. Il faut dire que nous autres Arabes, en général, et Tunisiens, en particulier, sommes passés champions du monde en matière de ‘‘plagiat'' ou de ‘‘photocopie''. Nous copions systématiquement tout ce qui se fait en Europe et en Occident. Et comme par hasard, nous ne copions, justement, que les mauvaises choses, rarement les bonnes. Nous prenons toutes leurs bêtises, leurs incartades et leurs insanités pour un modèle génial qui mérite d'être vite importé, copié et pratiqué chez nous. Dans tel ou tel pays européen ou occidental, il y a beaucoup de savants, de scientifiques, de philosophes, d'écrivains, de talents artistiques, d'inventeurs, etc., nous ne cherchons même pas à savoir comment ils ont fait pour parvenir à un tel génie créateur; tout ce que nous savons faire, c'est les admirer bouche cousue. Mais dès qu'il y a chez eux une nouvelle mode vestimentaire, de coiffure ou autre, nous sommes prompts à les copier aveuglément. Là commence et s'arrête notre génie. Et donc, faire du rap, ça fait in, jeune, moderne, c'est dans l'air du temps, la mode. En fait, que la musique, chez nous, devienne à ce point vulgaire et inadmissible, on va dire tout simplement : tant pis. Mais le drame est ailleurs. A toute chose un début. Et quand, au début, rien ne vient dénoncer le mal ou le bloquer dans l'œuf, c'est tout un mode de vie ou d'expression qui va s'ériger en système. Prenons un exemple très simple. Il y a quelques années, est née une expression pour le moins stupide et insensée : «Moch normal». Bâtarde (deux mots de langues différentes), cette expression est devenue au fil du temps tout à fait ordinaire : même nos grands intellectuels, même la famille en font tout le temps usage sans s'apercevoir du ridicule qu'elle présente. Mais, tout bien considéré, elle ne porte préjudice à rien, à personne, elle est simplement le reflet d'un vide culturel, d'une pauvreté linguistique. Or, maintenant, c'est carrément le mot obscène, par trop vulgaire et grossier, tiré tout droit des bas-fonds, qu'on voudrait légitimer et auquel on voudrait offrir un statut confortable, voire un droit de cité. C'est un début, certes. Mais si, d'ores et déjà, on ne fait rien pour bloquer ce phénomène prometteur, il risque grand de s'insinuer jusque dans la famille. Alors, imaginez un peu l'enfant s'adresser à sa maman ou à sa sœur en usant de mots grossiers; imaginez la fille parler à son papa avec de tels vocables indécents; imaginez aussi l'élève s'adresser à son professeur tout comme s'il discutait avec son copain du quartier. Et pour embellir ce tableau : imaginez l'élève réaliser sa dissertation en l'arrosant de mots grivois et impolis. C'est exagéré tout ça ?... Espérons-le. Car, hélas !, tout porte à croire que c'est là la configuration de la belle société que nous aurons demain.