La Tunisie ne reconnaît pas officiellement les deux gouvernements opposés en Libye. Toutefois, deux consuls seront désignés prochainement à Tripoli et à Benghazi pour traiter avec celui-ci et celui-là. Un précédent dans l'histoire des relations internationales Taïeb Baccouche, ministre des Affaires étrangères, a été, dimanche dernier, clair et précis dans ses propos : «La Tunisie se tient à égale distance des deux gouvernements existant en Libye. Mais nous allons ouvrir deux missions consulaires, l'une à Tripoli et l'autre à Benghazi». Et les réactions de réprobation de pleuvoir accusant le gouvernement de ne pas disposer de politique étrangère claire, dénonçant le fait que deux gouvernements libyens se livrent une guerre fratricide et se posant la question suivante : est-il logique ou acceptable d'adopter une telle attitude au moment où la Libye sœur brûle et que les extrémistes de Daech sont à nos frontières et menacent d'investir nos villes frontalières pour y installer leur Etat ? Et comme la campagne d'indignation a pris des proportions étendues, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, l'ambassadeur Mokhtar Chaouachi, s'est trouvé dans l'obligation d'intervenir pour clarifier les déclarations de son ministre et nous assurer que Taïeb Baccouche «n'a jamais tenu de propos sur une quelque reconnaissance de deux gouvernements en Libye ni même prononcé le mot reconnaissance». Il ajoute dans sa mise au point : «Le ministre des Affaires étrangères avait dit que la Tunisie traite avec deux gouvernements, sur la base de la représentation consulaire, dans l'intérêt de la communauté tunisienne en Libye et pour le renforcement des relations de fraternité entre les deux peuples». Donc, du côté du ministère des Affaires étrangères, les choses sont claires comme l'eau de roche : le gouvernement tunisien ne reconnaît pas les deux gouvernements existant en Libye, mais traite avec eux au plan consulaire. Ce qui revient à dire que notre diplomatie n'a pas enfreint les deux conventions internationales de Vienne. La première, conclue en 1961, concerne les missions diplomatiques. Quant à la deuxième, signée en 1963, elle est relative aux missions consulaires. Il reste maintenant à savoir comment nos futurs consuls qui seront désignés à Tripoli et Benghazi vont traiter avec les autorités libyennes installées au pouvoir et qui va recevoir leurs lettres de créance qui doivent être adressées par Taïeb Baccouche aux ministres des Affaire étrangères représentant le gouvernement de Tripoli et celui de Tobrouk. Un précédent dans l'histoire diplomatique Afin d'éclairer l'opinion publique, La Presse a demandé à Abdelmajid Abdelli, professeur de droit international à l'université tunisienne, de préciser comment notre diplomatie va gérer cette affaire. «D'emblée, assure-t-il, il faut relever qu'il s'agit d'un précédent dans l'histoire des relations internationales puisque jamais on n'a enregistré la présence de deux gouvernements exerçant dans un même pays. A ma connaissance, les pays du monde entier adhèrent aux deux conventions internationales de Vienne sur le fonctionnement des missions diplomatiques (ambassadeurs) et missions consulaires (consuls) et jamais un pays n'a été représenté par deux gouvernements. Quand Taïeb Baccouche parle de l'ouverture de deux consulats à Benghazi et à Tripoli, il ne nous précise pas que les consuls qu'il aura à désigner sont tenus de présenter ces mêmes lettres de créance aux autorités du pays d'accueil qu'on appelle les autorités de jure (droit), ce qui équivaut à un acte de reconnaissance de ces mêmes autorités». «S'agit-il d'une erreur qui ne devrait pas en principe échapper à Béji Caïd Essebsi, président de la République, à qui l'article 78 de la Constitution accorde le droit de procéder aux désignations dans les hautes fonctions militaires et diplomatiques? La question est à poser quand on sait la haute expérience diplomatique dont se prévaut le chef de l'Etat. Est-il besoin de rappeler que la Constitution a fait de la politique étrangère la chasse gardée du président de la République ? Pourquoi Caïd Essebsi garde-t-il le silence à un moment où on assiste à des explications farfelues et bizarres publiées par certains médias comme celles de Ahmed Ounaïes, qui a occupé brièvement le poste de ministre des Affaires étrangères à l'époque du gouvernement provisoire de Béji Caïd Essebsi ? Il salue la position de la Tunisie de traiter avec les deux gouvernements libyens qu'il considère comme un pas dans la voie juste et appelle à ce que la Tunisie prenne d'autres initiatives comme l'accueil d'une conférence de dialogue national interlibyen», s'interroge le Pr Abdelli. L'exemple algérien Face à la polémique qui ne fait que commencer, quelle position faudrait-il adopter pour éviter à notre pays de subir les retombées de l'embrasement de la situation en Libye? «Les politiciens ont peut-être leurs propres calculs, leurs ambitions personnelles ou obéissent-ils à des pressions étrangères? Toujours est-il dangereux que notre pays interfère dans la crise libyenne tout en laissant planer le doute et en produisant des positions qui ne font que semer davantage le doute parmi la population, plus particulièrement les Tunisiens qui sont toujours en Libye. Pourtant, les solutions ne manquent pas et les pays du monde entier y recourent dans de telles situations. Il faut commencer par rappeler nos diplomates exerçant en Libye et charger un pays frère ou ami de représenter nos intérêts en Libye. L'Algérie a montré l'exemple en retirant son ambassadeur et est même intervenue pour protéger ses diplomates et les aider à regagner leur pays», conclut le Pr Abdelli.