A chaque fois que la Mejerda gronde et sort de son lit, c'est le Nord-Ouest, château d'eau de la Tunisie, qui coule sous ses eaux. Et ce sont les villes de Jendouba, Bousalem, Béja et Medjez El Bab qui se trouvent sinistrées. Mais c'est surtout la paisible petite ville de Bousalem qui coule et ses habitants qui se trouvent dans le pétrin. Les pluies torrentielles qui se sont abattues sur la région ont inondé des quartiers entiers, causant d'énormes dégâts et occasionnant des pertes pour les habitants dont beaucoup ont été évacués vers des centres d'hébergement, alors que d'autres ont choisi de monter sur les toits de leurs maisons, scrutant le ciel et attendant la décrue. Souk El Khemis (marché du jeudi), «en relation avec le grand marché hebdomadaire organisé dans ce qui était un bourg agricole», devenu Bousalem en 1966, a prospéré tout le long de la vallée de la Mejerda. Ses habitants, qui vivent essentiellement de l'agriculture, ont construit leurs maisons pas loin du lit de l'oued. La ligne de chemin de fer qui, par la volonté des colonisateurs, traverse toute la plaine pour relier la Tunisie à l'Algérie, a fait de cette ville un vrai carrefour de passage pour beaucoup d'Algériens et de Tunisiens en partance ou en provenance de l'Algérie. C'est également le cas de Souk Arbaa, rebaptisé Jendouba en 1966, et de Ghardimaou qui se trouve aux frontières algériennes et, autrefois, fief du commandement de l'armée de libération algérienne. Avec en amont plusieurs rivières dont, notamment, la Mejerda où affluent les oueds Mellègue et Tassa, en plus d'autres rivières comme Bouhertma et Kassab dont les barrages y déversent leur surplus. La Mejerda, source de vie et d'inquiétude La Mejerda, qui prend sa source à Souk Ahras en Algérie avant de se jeter dans la Méditerranée, s'étend sur 450 kilomètres dont 350 en Tunisie. Elle est devenue une source de vie pour les agriculteurs et a favorisé le développement de la culture d'irrigation. Mais elle a, de tout temps, représenté un danger pour la région. Déjà en 1937, à la suite de pluies diluviennes, l'oued a débordé, provoquant de grandes crues et occasionnant de gros dégâts aux hommes, au sol, au bétail et aux habitations. Pour mieux exploiter les débits que charrie cet oued, on a créé «un Office de la mise en valeur de la vallée de la Mejerda» dont la principale mission est de lutter contre les inondations, en plus de «l'assainissement et du drainage, la défense et la restauration des sols». Une cinquantaine d'années après, en 1973 exactement, la catastrophe n'a pu être évitée et les villes de Jendouba et Bousalem furent submergées d'eau à la suite de pluies exceptionnelles. C'est que la Mejerda, qui traverse des plaines soumises à une forte érosion, «charrie d'importantes quantités d'alluvions et un grand apport de sédiments dans le golfe de Tunis». La construction du barrage Sidi Salem, le plus grand en Tunisie, sur la plaine de Oued Zarga dans le gouvernorat de Béja et dont les travaux ont duré quatre ans(1977-1981), a permis une meilleure exploitation des eaux de pluie mais n'a pas pu juguler les crues. Nouvelle stratégie En 2012, le Nord-Ouest et notamment Bousalem et Jendouba ont vécu le même calvaire et leurs habitants ont passé des nuits blanches sur les toits de leurs maisons. Les causes sont toujours les mêmes, l'oued sort de son lit et la capacité de cumul des eaux du barrage Mellègue, «construit entre 1949 et 1956 sur l'oued Mellègue, à environ 7 km à l'ouest de la ville de Nebeur (gouvernorat du Kef )», est devenue très limitée par manque d'entretien et de maintenance. Pourtant, la création de ce barrage avait pour buts «la régularisation interannuelle de l'oued Mellègue afin d'éviter l'inondation de la plaine de Jendouba, l'irrigation de la basse vallée de la Mejerda et la production d'électricité». Six décennies après, ce barrage est devenu une source d'inquiétude pour la région. Tout comme la Mejerda, cet oued est à moitié rempli de remblais. Ce qui a fortement réduit leur capacité de contenir les eaux pluviales. Il n'y a pas de solution miracle pour protéger Bousalem et les autres villes de la région. Même pas le déplacement dans une autre zone des habitants qui ont construit leurs maisons sur le lit de l'oued. Les deux nouveaux petits barrages programmés pour 2018 ne résoudront pas définitivement le problème. Il faudrait penser à une nouvelle stratégie pour mieux contrôler les crues et mieux exploiter les eaux pluviales. Des projets, certes, coûteux mais quand il s'agit de sauver des vies humaines, on ne doit pas lésiner sur les moyens. Les habitants bloquent les accès de la ville Des protestataires ont bloqué, hier, la route nationale n°6 et tous les accès menant à la ville de Boussalem à l'aide de pneus brûlés et de blocs de pierres. Ce mouvement de protestation se tient en raison de ce que les habitants de cette ville considèrent comme «une négligence par les autorités de la situation des habitants à la suite des inondations dans la région et le retard de la visite du chef du gouvernement». Ils ont appelé à fixer une date pour la tenue d'un conseil ministériel restreint (CMR), comme l'avait annoncé une délégation composée de trois ministres, qui s'étaient rendus à Boussalem, le 27 février dernier. Une vive tension règne dans la ville de Boussalem, surtout face à l'ampleur des dégâts causés par les inondations et l'absence de mesures concrètes pour la protection de la ville.