Par Abdelhamid GMATI Le nouveau président de la République a été investi dans ses fonctions, il y a quelque deux mois et demi. Un sondage du mois de février indique que plus de 70% des Tunisiens interrogés sont plus ou moins satisfaits du rôle que joue le Président. Il n'en reste pas moins que les critiques et les mécontentements fusent, estimant que le chef de l'Etat «hiberne», «se repose», «est absent»... De fait, comparé aux précédents présidents qui étaient omniprésents, faisant invariablement les ouvertures des journaux télévisés, même pour des activités anodines et sans intérêt, le comportement du nouvel occupant du Palais de Carthage est questionnable. Surtout avec tous les événements qui s'accumulent. De fait, tout est conditionné et défini dans la nouvelle Constitution qui limite principalement les prérogatives présidentielles à la politique sécuritaire et les Affaires étrangères. Dans le nouveau régime politique de type plutôt parlementaire, le pouvoir est pratiquement tricéphale (parlement, gouvernement et présidence de la République). Béji Caïd Essebsi avait, dès la campagne électorale, défini son futur rôle dans une interview à une chaîne de télévision tunisienne : «Le président n'a pas le pouvoir, mais a le magistère», c'est-à-dire qu'il a «la qualité du magister, «celui qui enseigne, le maître». Le mot magistère désigne le pouvoir d'enseignement, l'autorité doctrinale ou ceux qui les détiennent». Par la suite, il allait répéter à plusieurs reprises son engagement à respecter les dispositions de la Constitution et à ne pas interférer dans le travail du gouvernement. Il y a là une nouvelle vision de la fonction présidentielle. Mais comment faire comprendre cela au peuple tunisien d'autant que BCE avait axé sa campagne électorale sur la psychologie des électeurs tunisiens, qui, d'après des psychologues, sont en quête du «père»? Ayant été élu en jouant sur sa personnalité et sa filiation bourguibienne, il a revêtu d'autres habits suscitant le désarroi et le questionnement de ses adeptes. Il est certainement conscient de cela et il a, semble-t-il, adopté une nouvelle technique de communication : ne pas se mettre sous les feux de la rampe, histoire de rompre avec les pratiques du passé et ne pas être accusé d'omnipotence, limiter les apparitions médiatiques, mais travailler et suivre assidûment tout ce qui se passe sur la scène nationale et internationale. Son premier souci a été de rétablir «la pompe et la sacralisation présidentielle», la fonction ayant été détériorée durant les trois dernières années. Second objectif : se montrer proche des préoccupations de la population. Durant les quatre dernières semaines, on l'a vu multiplier ses activités recevant le Premier ministre et les membres du gouvernement, des personnalités tunisiennes, des personnalités étrangères, intervenant dans des colloques et réunions internationales. Son intérêt porte sur diverses questions intéressant le pays, depuis la menace terroriste jusqu'aux problèmes économiques et financiers en passant par les inondations dans le nord du pays et la situation en Libye. A chaque fois il prodigue des conseils et des recommandations. Son activité ces derniers jours est significative à cet égard : il est intervenu pour user de son autorité morale et inviter les dirigeants de Nida Tounès à préserver l'unité du parti, dont il a été le fondateur et dont il a démissionné; il a reçu le secrétaire général de l'Ugtt, Houcine Abassi, pour discuter des problématiques nationales actuelles ; il s'est entretenu avec le ministre des Affaires étrangères avant son départ pour l'Algérie; il a rencontré, vendredi, le président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat français et ancien Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin. A cette occasion, «le chef de l'Etat est revenu sur le processus de transition démocratique en Tunisie, soulignant la détermination du pays à poursuivre les réformes et à répondre aux aspirations des Tunisiens. BCE a affirmé que la Tunisie compte à ce niveau sur le soutien des nations amies, dont la France»; recevant, jeudi, au Palais de Carthage, une délégation du Congrès américain, conduite par le président de la commission des finances, Hal Rogers, il a noté que sa visite programmée aux Etats-Unis «constituera un nouveau jalon sur la voie de la consolidation de la coopération entre les deux pays»; et suite au mandat de dépôt émis à l'encontre de Moez Ben Gharbia et Wassim Herissi, la présidence de la République a annoncé, dans un communiqué rendu public, vendredi, qu'elle n'a aucun lien avec les procédures judiciaires en cours ; il y est précisé que «cette affaire relève des prérogatives des autorités judiciaires, rappelant que la liberté de la presse et d'expression constitue un acquis garanti par le président de la République». Reste à savoir si cette nouvelle vision sera comprise et acceptée par des Tunisiens qui semblent nostalgiques d'un président omniprésent qui prend en charge tous leurs problèmes et qui décide pour eux. Quitte à les priver de leurs libertés.