Le président de la République a lancé un appel à l'ensemble des citoyens, les invitant à participer, massivement, à la grande marche qui se tiendra dimanche prochain, tout en soulignant que des présidents et des ministres de pays frères et amis, arabes, islamiques et européens y seront présents. Il s'agit donc d'un événement d'envergure internationale où la Tunisie sera sous les projecteurs ; ce jour-là, elle sera la forteresse antiterroriste et la capitale mondiale de la paix. C'est la portée symbolique de cet événement grandiose. Mais, au-delà du symbolisme et de l'aspect cérémonial de cette manifestation, que pourrait-elle apporter de concret à la Tunisie au niveau sécuritaire? Suffirait-elle à renforcer son dispositif de lutte contre le terrorisme ? Et cette foule bigarrée parle-t-elle le même langage ? Partage-t-elle les mêmes soucis ? Les griefs des contestataires Certes, la mobilisation est le procédé de lutte par excellence contre tout danger qui guette un pays et son peuple. Et c'est justement dans cet esprit que s'insère le mouvement d'après-demain. C'est le dessein de ses organisateurs qui veulent lancer un message aux terroristes pour leur faire comprendre que la Tunisie, ce pays vieux de quelque trois mille ans, est terre de civilisation et de paix, que leur projet barbare n'a aucune chance d'aboutir et d'y prendre racine, et que les Tunisiens n'épargneront aucun effort pour défendre leur patrie, en les délogeant de leurs terriers. Seulement, pour qu'une telle mobilisation puisse produire les effets bénéfiques escomptés, il ne suffit pas d'afficher de bonnes intentions, ni d'avoir des déclarations à l'emporte-pièce autour du terrorisme. Guerroyer contre ce fléau requiert beaucoup plus que cela. Pour être vraiment performant dans cette guerre, il faut miser, tout d'abord, sur la cohésion du groupe des guerriers, chose qui fait, visiblement, défaut. Cette discordance est à la fois interne et externe. Effectivement, plusieurs voix s'élèvent pour protester contre la participation des symboles de la Troïka, en particulier d'Ennahdha, à cette manifestation de la République contre le terrorisme. A leur tête, il y a bien sûr Al Jabha, qui a perdu deux de ses fondateurs et leaders, sous son gouvernement et qui l'accuse d'avoir fait le lit de ce dernier par sa passivité qui était à la limite de la complicité. C'est cette indulgence à l'égard des salafistes qui était, selon les dirigeants du FP, à l'origine de l'expansion du phénomène terroriste. Cette thèse est partagée par plusieurs autres parties dont des artistes, à l'instar de la dramaturge Leila Toubel, qui a écrit sur son mur qu'elle ne marcherait pas côte à côte avec ceux qui ont, d'une manière ou d'une autre, participé à planter les germes du terrorisme dans notre sol. Donc, ces raisons ont décidé tous ces contestataires à ne pas être de la fête dimanche prochain. Cependant, leurs griefs ne s'arrêtent pas là, ils portent, également, sur la participation des représentants de certains pays frères et amis, considérés comme étant les responsables de la prolifération du terrorisme dans la région arabe et, en particulier, le Maghreb. Il s'agit, notamment, des membres de l'Otan, la France en tête, dont l'ex-président, Nicolas Sarkozy, a armé les rebelles libyens jusqu'aux dents pour déloger du pouvoir Kadhafi, son bailleur de fonds. D'ailleurs, Marine Le Pen l'a, expressément et ouvertement, accusé, ainsi que son « ministre des Affaires étrangères Bernard-Henri Lévy », d'avoir instrumentalisé le chaos en Libye : « Ce que vit la Tunisie aujourd'hui est la conséquence des erreurs gravissimes qui ont été faites par Nicolas Sarkozy, soutenu par le Parti socialiste», accusa-t-elle. Donc, c'est cette intervention de l'Alliance atlantique qui a fait de la Libye une vraie poudrière, prête à exploser à tout moment, pleine à craquer d'armes, dont une partie était parachutée à ces rebelles par l'Otan, c'est cette intervention militaire qui a ouvert des brèches dans les frontières sud de la Tunisie et qui l'expose à la menace terroriste. Le loup devenu berger Qu'ont-ils fait ces « amis de la Tunisie » depuis que ce danger a commencé à pointer le bout de son nez ? Rien, à part les discours de circonstance prononcés de temps en temps pour témoigner leur « solidarité » ou bien les messages de condoléances et de sympathie lorsque le terrorisme frappe fort et fait des morts. La France parle d'esquisse d'un plan de lutte contre les réseaux terroristes, les Américains de détermination à empêcher tout risque de tsunami terroriste sur la Tunisie. Rien de consistant, mais que des paroles. S'ils sont sincères et qu'ils veuillent, vraiment, que la Tunisie vienne à bout de ce dernier, pourquoi ne procèdent-ils pas à l'annulation de la moitié de sa dette, s'élevant à 47 milliards, pour lui permettre de bien s'équiper afin qu'elle soit mieux à même de combattre ces hommes de caverne ? C'est le seul moyen dont ils disposent pour faire oublier aux Tunisiens leur responsabilité dans le désastre libyen qui leur a causé des dommages collatéraux. Quand est-ce que ces grandes puissances vont-elles comprendre que les attrape-nigauds de jadis, où on mystifiait les peuples avec des paroles mielleuses, ne fonctionnent plus, cette époque est révolue, elle est partie à jamais. Dorénavant, il n'y a que les actes qui comptent. Apparemment, il n'y a que l'Italie qui a bien su se représenter la situation et saisi les inquiétudes et les soupçons des Tunisiens, en essayant de les rassurer un tant soit peu par la conversion de 25 millions d'euros de leur dette, soit environ 53 millions de dinars, en projets de développement et d'investissement. Les Occidentaux ne sont pas, néanmoins, les seuls pays à vendre des chimères aux Tunisiens, ceux du Golfe, dont notamment le Qatar, le sont au même titre qu'eux. Comble de l'ironie, ce dernier, où les droits de l'Homme les plus élémentaires sont bafoués, qui finance à outrance les groupes terroristes et qui se trouve derrière tous les maux de la région, en Syrie, en Irak, en Libye et ailleurs, comme l'a souligné, avec indignation, le député Ali Bannour, était le premier à condamner l'attentat terroriste du Bardo et à manifester sa solidarité avec la Tunisie. Cela s'appelle tuer quelqu'un et participer à ses funérailles, selon un proverbe tunisien, ou bien Le « loup devenu berger » dans les fables de La Fontaine. Alors, que pourrait bien apporter à la Tunisie ce beau monde composé d'éléments disparates qui va défiler dans ses rues ? Est-ce qu'il va pouvoir leur rendre leur sérénité perdue ? La marche de Tunis sera-t-elle une copie de celle de Paris, organisée à l'occasion de l'attentat contre « Charlie Hebdo », où on a vu sur la même ligne les sponsors du terrorisme et les responsables de crimes de guerre, à l'image de Netanyahou ? Mais, il ne faut pas oublier que ce jour-là, on a également vu dans la capitale française, et parallèlement à cette marche officielle, une autre qui regroupait les forces progressistes et démocratiques. Serait-ce le cas aussi à Tunis ce dimanche ?