La marche grandiose contre le terrorisme prévue aujourd'hui à Tunis ne fait pas l'unanimité. Et pour cause. Plusieurs partis politiques, dont le Front populaire, principale composante de l'opposition, ont décidé de ne pas y participer. Dès lors, l'on est en droit de s'interroger sur la vraie signification de l'union sacrée brandie à tout bout de champ par les principaux ténors de la place politique ces derniers jours. En fait, cette marche avait été décidée suite à l'attentat terroriste du musée du Bardo perpétré le 18 mars dernier. Entre-temps, des lacunes sécuritaires, des compromissions et des zones d'ombre révélées après coup ont alimenté le doute, la suspicion et la polémique. Toujours, bien évidemment, dans le sillage des segmentations partisanes, des coteries et des alliances circonstancielles. Cela nous renvoie à la véritable signification de cette union sacrée tant déclamée, voire réclamée à cor et à cri. Le gouvernement de Habib Essid, aux commandes depuis bientôt deux mois, s'est retrouvé d'emblée empêtré dans une situation peu enviable. Mouvements sociaux, grèves sauvages, attentats terroristes se succèdent. L'alliance Nida-Ennahdha n'en impose pas. Le gouvernement se contente d'annoncer régulièrement promesses et généreuses déclarations d'intentions. Sans plus. L'économie stagne toujours, le pouvoir d'achat s'érode et les menaces sécuritaires sont de plus en plus fréquentes. Ajoutons-y le modus operandi des autorités face au péril terroriste, et la boucle est bouclée. Un modus operandi caractérisé par la réactivité après coup et l'effet d'annonce. En effet, c'est bien la cellule de crise qui a le dossier en main. Mise en place à la suite de l'attentat ayant coûté la vie à de nombreux soldats en juillet 2014, elle témoigne d'une certaine effervescence après chaque attentat. Autrement, elle se fait oublier. Ou végète. Ou se fourvoie dans les méandres de l'administration. Les dernières révélations concernant l'existence d'environ deux cents mosquées construites illégalement et dont certaines sont gérées par des extrémistes religieux en constitue une preuve par l'absurde pour ainsi dire. Pourtant, quelques semaines auparavant, le ministre des Affaires religieuses prétendait que la totalité des mosquées usurpées et occupées par les fanatiques et autres apprentis terroristes avaient été reprises en main. Ce que bien des observateurs avaient immédiatement démenti, preuves à l'appui. En vérité, le souci de paraître politiquement correct sous-entend un certain discours lisse, sans aspérités, soucieux d'arrondir les angles vaille que vaille. Idem des structures de la police parallèle qui ont noyauté le ministère de l'Intérieur et gangrène des postes-clés dans l'administration. Mardi dernier, le chef du gouvernement a reconnu, dans une interview à radio Cap FM, qu'il s'attelle à traquer et démanteler la police parallèle au sein même du ministère de l'Intérieur. Or, au fil des jours, on fait comme si de rien n'était. Parce que le dossier de la police parallèle met au grand jour, immanquablement, la collusion d'une partie de la classe politique et de l'establishment ainsi que les députés avec la nébuleuse terroriste. Alors, là aussi on feint d'ignorer, on élude, on omet de signaler. A chaque crise d'envergure, le plus souvent un attentat terroriste, on ressort les grands discours. On crie à hue et à dia. On s'affiche devant les caméras. Autrement, on replonge dans la léthargie et les effets anesthésiants de l'habitude démocratique et des mauvais plis. Au grand bonheur des terroristes, de leurs sympathisants et de leurs gourous. De coup, on se retrouve en manque d'une véritable stratégie. Ou, pour être plus fidèle à l'allure des faits, en présence d'une série de postures tactiques décousues, contradictoires et anachroniques. D'où les amalgames douteux et les marrantes incompréhensions. L'absence de procès de terroristes, bien que plus de cinq mille d'entre eux aient été arrêtés au cours des trois dernières années, n'en finit pas de déconcerter. Or seuls des procès équitables sont à même de dévoiler les multiples facettes de la vérité fondamentale dont bien des aspects sont tenus sous le boisseau à mauvais escient. L'union sacrée requiert une dynamique de groupe fédératrice basée sur une économie rigoureuse du vrai et du faux. Les acteurs politiques de divers horizons et la société civile en constituent la composante fondamentale. L'unicité des rangs présuppose un diagnostic commun. Or, sous nos cieux, une partie de l'opposition, de la société civile et d'observateurs avertis dénoncent l'hésitation des autorités à mener une guerre sans merci contre le terrorisme et ses mentors, quels qu'ils soient. Des considérations politiciennes y président. Et l'union sacrée s'en retrouve minée à la base. La grande marche antiterroriste soit. Mais l'union sacrée semble toujours paradoxalement boiteuse.