Mohamed Talbi s'efforce de nous ouvrir les yeux, avec humilité mais aussi avec une logique implacable, sur les positions des grands ulémas du passé et qui méritent largement selon lui le respect mais pas l'adulation. Son entrée en matière est la simple proposition qu'il n'y a pas de doute que la Vérité existe, mais que le problème réside dans cette question exténuante et posée en permanence : qui détient la Vérité ? ‘'Comment sortir de cette logique morbide de la violence, nourrie, dans le cas de l'Islam, de passéisme ?'', s'interroge Mohamed Talbi comme en écho à l'actualité en reconnaissant la fracture ambiante alors que les auteurs de ces violences sont ‘'terroristes pour les uns, héros et martyrs pour les autres''. Une confusion dangereuse qui prend sa source dans cette simple réalité qu'aujourd'hui l'Ijtihad — que nous traduisons par herméneutique — s'exerce encore, lorsqu'on y a recours, à l'intérieur des cadres figés des écoles qui s'étaient constituées entre les VIIIe et IXe siècles et nombreux sont parmi nous ceux qui refusent, par excès de fidélité au passé et aux Grands Maîtres, l'évolution et la contemporanéité. Un vide par lequel tout peut s'engouffrer, y compris les grands intérêts politiques internationaux, y compris le pire. Mais Mohamed Talbi choisit ailleurs l'exemple le plus frappant à l'aune duquel il mesure la progression et la régression : ‘'C'est contre la femme que s'acharnent particulièrement les lectures intégristes et répressives de la Chariâ. Le devenir de l'Islam dépend grandement du sort qui sera réservé à la femme en son sein dans les prochaines décennies !'' Nous sommes tous faillibles et négligents ! C'est à partir de là que l'auteur regrette que les Musulmans ne soient plus vraiment cette communauté médiane des origines, alors que pour lui l'élection est synonyme de Devoirs : ‘'Le témoignage de la communauté médiane est donc une responsabilité avant d'être un hommage. Ce témoignage requiert la droiture. La communauté médiane est donc une aspiration à la vertu et un mouvement infini vers elle ; elle se guide en cela par la lumière de Dieu et l'amour de Sa parole éternelle bien que la perfection demeure une finalité inaccessible. On rapporte sur le Prophète (saaws) qu'il avait dit: ‘'Le verset de Hud m'a bien préoccupé''. C'est sa parole ‘'Demeure sur le droit chemin comme il t'est commandé'' (Coran, Hud, 11:112) ; et la même injonction se répéta dans la sourate 42 (Al Choura), verset 15. Nous sommes tous faillibles et négligents !'' Une position d'humilité qu'il estime devoir s'assortir à tous, plaidant qu'agnosticisme et athéisme sont des convictions comme les autres, donc aussi respectables, mais ne se prouvent ni ne s'infirment ni plus ni moins que la foi. Ils ne sont pas à l'abri de la relativisation non plus. ‘'Il n'y a pas de doute que la Vérité existe, mais le problème réside dans cette question exténuante et posée en permanence : qui détient la Vérité ? La question peut être généralisée d'une manière qui accentue davantage l'angoisse : y a-t-il quelqu'un qui est dans le Vrai ?'', s'interroge-t-il. Un pari, disait Pascal Mohamed Talbi rappelle, avec de lourds sous-entendus, qu'Al Ghazali n'est pas sorti de l'angoisse par une preuve ou une démonstration, mais par une lumière que Dieu fit jaillir dans son cœur. Puis il en appelle carrément aux mathématiques pour étayer son propos ; là où voilà déjà plus d'un demi-siècle que Kurt Gödel, mettant un terme à près d'un siècle de recherches, nous a enseigné que dans tout système mathématique — science exacte par excellence — subsistent des propositions qui ne peuvent être ni prouvées ni infirmées, laissant ainsi la porte ouverte à l'incertitude et aux contradictions. ‘'Le doute est inhérent à l'homme et à tout ce qu'aborde la pensée humaine. Il arrive toujours un moment où la foi est une option — un pari, disait Pascal —, un choix libre, et quelles que soient la préparation et les motivations rationnelles préalables, un bond confiant dans le caché, l'invisible, l'inconnu ou l'inconnaissable, le mystère ultime et impénétrable de Dieu. Le ghayb, c'est tout cela, et toute foi est finalement croyance au ghayb : ‘'Ceux qui croient au ghayb... ceux-là sont sur le bon chemin (de la guidance) de leur Seigneur et ce sont eux qui réussissent'' (Coran, 2:3 et 5). Tout croyant sur une base consciente, par conviction et mûre réflexion, connaît cette tension. Al Ghazali en a connu la dramatique tension et nous a donné le fruit de son expérience dans le Préservateur de l'Erreur (Al munqidh min al dhalal).'' ‘'Ma Religion, c'est la liberté'', 200p., mouture française Par Mohamed Talbi Editions Nirvana, 2014 Disponible à la Librairie al Kitab