Comment trouver quelqu'un comme toi, Ali? Une heure et demie dans la tête d'une fille de martyr palestinien. Raeda Taha, la quarantaine, est une Palestinienne comme tant d'autres. Son statut de fille de martyr est, en effet, partagé par toute une génération d'enfants, réfugiés dans différents pays arabes. C'est cette expérience qu'elle porte sur scène dans toute sa profondeur et son intimité, dans la pièce Comment trouver quelqu'un comme toi, Ali?, qui a clôturé la 10e édition d'«avant-première», samedi dernier à El Teatro. Raeda Taha a signé le texte et l'interprétation, sur une mise en scène de Lina Abyadh. La comédienne apparaît sur scène vêtue d'une robe bleue, une scène avec comme seuls décors un canapé et une table basse sur laquelle sont posés une carafe et un verre d'eau. Les premiers mots de Raeda Taha prennent la forme d'un témoignage, découpé par de brefs silences où la salle est plongée dans le noir. Dès le départ, elle annonce son positionnement par rapport à la cause de son peuple. Les femmes sont le symbole de cette terre profanée par l'occupation et par une résistance vidée de son sens. La comédienne commence ainsi sa pièce par nous raconter une tentative de viol qu'elle a subie par un Palestinien travaillant avec Yasser Arafat quand il était installé en Tunisie. Elle-même faisait partie de son bureau, dans le poste d'attachée de presse. Elle et ses trois sœurs ont été adoptées par le leader Abou Ammar après la mort de son père Ali Taha, dans un attentat où il a détourné un avion de la compagnie belge Sabena en 1972. Elle enchaîne avec des extraits de la lettre que son père a laissée, où il appelle les résistants à revenir au propre de la cause, et de la purifier des traîtres et des espions. Comment évolue la vie d'une fille de martyr? La réponse est donnée par Raeda Taha dans ses détails les plus douloureux, les plus drôles ou absurdes. Dans les yeux d'un enfant, ce drame n'est pas vu du même œil que les adultes, avec leurs enjeux et leurs rituels compliqués. Le regard de l'enfant évolue pour intégrer la complexité de son statut de fille de martyr. Elle comprend mieux, son père, sa mère et les autres, mais elle n'est pas dans la complaisance. Raeda Taha nous semble, en effet, s'inscrire —et c'est tant mieux pour la cause et pour le théâtre— dans un mouvement artistique palestinien où l'on se détache d'un engagement au propos direct, teinté d'idéologie et de tragédie. L'approche de la comédienne est tout autre avec un texte riche, subtil, où l'on passe d'une émotion à une autre pour une raison, où chaque mot a sa place. Son interprétation suit avec un jeu minimaliste mais très éloquent. Raeda Taha s'est rarement levée de son canapé pendant la pièce mais il lui suffisait d'un geste ou d'un changement de ton pour changer de personnage et pour nous mettre en situations. L'intelligence du propos s'est parfaitement mariée au dosage de l'émotion dans Comment trouver quelqu'un comme toi, Ali? La dernière partie a pris un ton plus intime et décontracté, où la comédienne a exprimé sa tendresse pour son père et sa mémoire, un homme dont elle tient beaucoup, raconte-t-elle dans un moment où l'espace entre elle et son public s'est dissous. Le mot de la fin a été celui de sa tante dont Raeda a raconté la courageuse entreprise pour récupérer le corps de son frère resté pendant deux ans dans le frigo d'un hôpital israélien. Cette femme a réussi, malgré sa condition d'illettrée, une démarche que seuls les hommes avaient le droit de faire, mais qu'ils ne faisaient pas. Son image projetée sur scène a bouclé la pièce, une séquence où elle chante «Comment trouver quelqu'un comme toi, Ali?», célèbre chanson de Sabah dont Raeda Taha a emprunté le titre pour peindre ce portrait d'un peuple et d'une cause dans ce qu'ils ont de plus personnel et de plus universel.