Le nouveau double album d'Anouar Brahem est finalement sorti en Tunisie. Depuis lundi matin, il est en vente dans les librairies. Les amateurs de la musique d'Anouar Brahem ont certainment en mémoire la première mondiale de «Souvenance», présentée le 10 juillet dernier, à l'ouverture de la 50e édition du Festival International de Carthage. Ce concert avait alors réuni près de 7500 spectateurs, marquant ainsi le retour du compositeur et musicien sur la scène en Tunisie. Enregistré en mai 2014, à Lugano en Suisse, «souvenance» a réuni autour d'Anouar Brahem au oud, le pianiste François Couturier, le clarinettiste Klaus Gesing et le bassiste Björn Meyer auxquels ont été associés les musiciens de l'Orchestre de la Suisse italienne, sous la direction du chef d'orchestre italien Pietro Mianniti. Le disque, produit par Manfred Eicherpour ECM records, marque 25 ans de collaboration fidèle et ininterrompue. Après une première européenne présentée le 4 décembre dernier à Munich, devant une salle comble, «Souvenance» a fait sa sortie «Album en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, et en Australie en janvier dernier. Deux mois seulement après sa sortie, il collectionne déjà de nombreuses distinctions parmi les plus importantes de la presse spécialisée: disque du mois en Allemagne (revue «Audio»), Choc de «Classica», 4 clés de Télérama, 5 étoiles de All about jazz aux Etats-Unis... Pour ce 12e album de Anouar Brahem, on se retrouve en plein mystère, une touche toujours aussi gracieuse tour à tour hypnotique, austère et d'une grande force dramatique. «Ça m'a pris beaucoup de temps d'écrire ce répertoire, six ans après le dernier album «The Astounding Eyes of Rita, " reconnaît Anouar Brahem, précisant avoir senti son monde intérieur et émotionnel entièrement monopolisé par les bouleversements politiques survenant au tournant de l'année 2011, d'abord, en Tunisie, puis, dans ses pays voisins. Des vagues extraordinaires de changements, avec leur cortège d'espoirs et de peurs incommensurables. «Je ne prétends pas qu'il y ait un lien direct entre les compositions et les événements qui se sont déroulés en Tunisie, explique-t-il, mais j'ai été profondément marqué par ce qui s'est passé...». Entièrement absorbé par les événements qui, jour après jour d'insurrection en contre-insurrection, voyaient les soulèvements populaires progressivement saper les fondations du pouvoir dictatorial, Brahem reconnaît avoir senti alors son monde intérieur et émotionnel entièrement «monopolisé par la politique». Le moment n'était pas propice à l'écriture : «J'ai dû attendre que la pression retombe pour reprendre le travail.» «Souvenance» est un joli mot qui exprime l'idée d'un souvenir lointain, mais le titre de l'album (tout comme ceux des morceaux) n'a été trouvé que dans l'après-coup. Jusqu'au moment du mixage, les pièces n'étaient identifiées que par la date de leur composition. En tant que compositeur, Brahem a toujours suivi son intuition, allant même jusqu'à se surprendre lui-même en considérant les directions prises par sa musique : «Il semblait probable que le piano tiendrait un rôle dans ces nouvelles pièces, du simple fait que plusieurs d'entre elles ont été composées sur cet instrument. Mais pendant que je travaillais sur les maquettes, l'idée d'un orchestre de musique de chambre s'est imposée progressivement dans mon esprit ». Les nouvelles directions prises par Anouar Brahem pour sa musique permettent de réintroduire François Couturier au sein du groupe, figure clé de quelques chefs-d'œuvre antérieurs comme «Le pas de chat noir» et «Le voyage de Sahar» fréquemment engagé dans un dialogue subtil avec un orchestre à cordes. De fait, cet orchestre à cordes, d'une grâce extrême et tout en transparences miroitantes, apporte à ce répertoire des effets de textures et de couleurs chatoyantes sur quoi les quatre solistes (et parmi eux avant tout Anouar Brahem dont le jeu d'oud n'a jamais semblé aussi personnel) se détachent, comme en relief. «Dans ce projet, j'ai le sentiment d'improviser différemment. C‘est le caractère des pièces qui l'induit. Souvent, quelques notes suffisent. Tous les instruments ont mis du temps à trouver leur place dans cette musique.» Pour la première fois dans «Souvenance, Brahem s'est essayé à l'écriture pour cordes. Le compositeur autrichien Johannes Berauer, un collègue de Klaus Gesing, est venu en Tunisie spécialement pour l'assister dans ce travail et cosigner les orchestrations». Il était essentiel de travailler en étroite collaboration pour rester fidèle à l'esprit des compositions, et ce, page après page.» «Il était primordial pour moi de donner aux cordes une fonction organique dans la musique. Tout dans ce travail était nouveau pour moi, ma formation musicale m'a initié exclusivement à la musique traditionnelle arabe. Je n'avais aucun schéma compositionnel en tête lorsque je me suis lancé dans cette aventure. Mais j'ai vite senti que je n'étais pas forcément très attiré par les effets de puissance et de volume que peut offrir un orchestre de ce type. Pour moi, il s'est avéré bien plus excitant d'improviser avec des cordes s'exprimant dans un registre ‘piano' - là où le détail des sons et des textures, la délicatesse propre à la musique de chambre, est le plus sensible et émouvant.» Malgré le manque de législation relative au droit d'auteur et la lute contre le piratage, Anouar Brahem prend le risque de sortir son album en Tunisie. «Souvenance» est dans les bacs dans plusieurs points de vente depuis lundi 30 mars à Al Kitab au centre-ville de Tunis et à La Marsa ainsi qu'à la Maison de l'Image à Mutuelle-ville et à la galerie d'art Passengers Desing Store à Sousse. Une séance de dédicace se tiendra, vendredi 3 avril à 17h, à la Maison de l'Image ; parallèlement, le compositeur se prépare à entamer une tournée et plus de 20 dates sont déjà confirmées qui mèneront l'artiste sur quelques-unes des plus prestigieuses scènes d'Europe et d'ailleurs : du National Concert Hall à Dublin, à l'Opéra de Bordeaux, en passant par Zurich, Salzbourg, Bruxelles et même deux concerts en septembre prochain à Téhéran au sein de son majestueux Opéra.