Bien qu'ayant perdu l'un de leurs puissants caïds, rien, absolument rien n'indique que les terroristes vont rentrer dans les rangs. Un sursaut est d'ailleurs à prévoir. Mais quand, où et comment ? L'exploit, réellement historique, réalisé le week-end dernier du côté de Gafsa et matérialisé, de main de maître, par l'élimination de pas moins de neuf terroristes, dont le tristement célèbre Lokman Abou Sakhr, ne se fera pas oublier de sitôt, tant en Tunisie où tous ceux qui sont épris de vie et de paix le garderont éternellement dans leurs mémoires, qu'à l'étranger où on épiloguera, peut-être longtemps, sur la qualité «high-tech» de cette opération et son extraordinaire réussite purement «Made in Tunisia». Et là, nous sommes tout à fait d'accord avec le hargneux porte-parole du ministère de l'Intérieur qui, dans une déclaration qui n'a rien d'une envolée lyrique ou d'un quelconque accès de flatterie et d'euphorie, a lancé ce missile: «Il viendra un jour où le coup de filet de Gafsa sera enseigné dans les écoles étrangères». Euphorie, disions-nous. Eh bien, c'est désormais autour de ce mot que tout se jouera à l'avenir. En effet, dans une guerre d'usure aussi féroce que celle livrée au terrorisme, il est, de tradition, totalement déconseillé de céder au triomphalisme, au lendemain d'une belle descente ou d'un joli coup de filet. Un caïd s'en va, un autre arrive C'est que croire que «l'ennemi» ne s'en relèvera plus constitue assurément le pire des scénarios, la plus monumentale des erreurs tactiques. Les Américains, par exemple, l'ont compris, qui, pour arriver à abattre leur ennemi n°1 Oussama Ben Laden, ont dû, au préalable, éliminer tour à tour ses plus proches lieutenants. Mais pour eux, il ne fallait pas, pour autant, s'arrêter en si bon chemin. La preuve est que l'oncle Sam continue, de nos jours, de frapper là où ça sent l'odeur du terrorisme (Syrie, Irak, Afghanistan, Pakistan, Somalie, Yémen...) Si nous nous sommes inspirés de l'exemple US, c'est parce qu'il demeure planétairement une référence solide en matière de lutte contre l'internationale intégriste. Tout cela pour rappeler à nos stratèges sécuritaires et militaires que dans les convictions sordides des terroristes, perdre un caïd, si puissant soit-il, ne signifie nullement la fin du jihad. Cette obsession tire sa force de la traditionnelle composition hiérarchique des groupes terroristes où chaque homme fort est flanqué d'adjoints qu'on prépare pour la relève. Soit un système de succession et d'héritage si vigoureux, si hermétique qu'il a été, jusqu'ici, pour beaucoup dans la «pérennité» de ces groupuscules. En témoignent, à tire d'illustration : – La survie d'Al-Qaïda après la disparition de Ben Laden. – La combativité de Daech qui perdure, malgré la mort de quelque sept lieutenants de Aboubakr Al Baghdadi pulvérisés par les avions US. – La résistance, de plus en plus farouche, d'Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) dont le patron Abdelmalek Droukdel continue de semer la terreur, en dépit de la perte de ses proches collaborateurs et des dernières désertions qu'il a subies dans ses rangs. – En Syrie, le Front Al-Nosra, branche d'Al-Qaïda, ne cesse de gagner du terrain, en dépit des revers (des dizaines de pertes en hommes) qu'il a essuyés. – En Somalie, l'élimination de cinq poids lourds du mouvement takfiriste Shebab n'a pas empêché ce dernier de lancer un assaut ravageur sur le... palais présidentiel ! – Au Nigeria, le groupe sanguinaire Boko Haram sévit encore, malgré les nombreuses pertes déplorées dans ses rangs, suite à l'intervention militaire d'une coalition composée de cinq pays africains. – En Algérie, le number one d'Aqmi court toujours, 15 ans après avoir pris une part prépondérante dans la tragique guerre civile qui avait embrasé ce pays dans les années 90 (200 mille tués). – Au Mali, les jihadistes, bien que durement malmenés puis délogés par une intervention militaire de la France, ont tôt fait de... réinvestir le nord de ce pays. – En Afghanistan, les talibans sont toujours là, n'ayant pâti ni des lourdes pertes qu'on leur a infligées depuis 2001, ni du survol régulier des redoutables drones américains, ni encore de l'animosité que leur voue le régime en place. Toutes ces vérités, à la fois bouleversantes et cruelles, ne peuvent passer, hélas, inaperçues. Les ignorer, ou même les minimiser équivaudrait à freiner l'élan de la lutte contre le terrorisme. C'est pourquoi, on ne le dira jamais assez : un Gadhghadhi s'en va, un autre arrive, et un Lokman Abou Sakhr peut en cacher un autre. A bon entendeur...