Par Zainab Hawa Bangura Une adolescente est kidnappée dans son village en Irak pour être vendue ou offerte aux combattants de l'EIIL en tant qu'esclave sexuelle. Dans un centre de détention en Syrie, un homme subit une agression sexuelle destinée à le punir pour ses opinions politiques, réelles ou supposées. Au Soudan du Sud, une femme doit choisir entre nourrir sa famille ou être attaquée par des hommes armés alors qu'elle tente de ramasser ses récoltes. En Bosnie, une femme passe chaque jour à l'endroit où elle a été violée pendant la guerre, il y a vingt ans. Voilà la réalité vécue par les femmes, les enfants et les hommes du monde entier qui subissent la menace de violences sexuelles dans les conflits. Au cours de l'année dernière, d'importants progrès ont été enregistrés dans la lutte contre les violences sexuelles liées aux conflits. Le Sommet mondial pour mettre fin aux violences sexuelles commises en période de conflit qui s'est tenu à Londres en juin 2014, a rassemblé des milliers de dirigeants politiques, de chercheurs, d'acteurs de la société civile et de survivants qui se sont à nouveau engagés à éradiquer ce type de violation des droits de l'Homme. Les pays en proie aux violences sexuelles liées aux conflits ont pris d'importants engagements, la République démocratique du Congo a désigné un représentant présidentiel sur les violences sexuelles dans les conflits et l'enrôlement d'enfants et la Colombie a assuré que les survivants de violences sexuelles occuperaient des places de choix à la table des négociations d'un accord de paix pour mettre fin aux longues décennies de guerre civile de ce pays. Toutefois, malheureusement, les réussites de l'année dernière se sont heurtées à des défis nouveaux et terrifiants. En avril, le violent groupe extrémiste Boko Haram a fait les gros titres en enlevant 276 écolières de leur dortoir au Nigeria et en proclamant que les sévices qu'ils font subir aux femmes et aux filles sont un des piliers de leur doctrine. En août 2014, l' Etat islamique d'Iraq et du Levant (EIIL) a commencé à s'attaquer à des femmes yezidi au nord de l'Irak, en les capturant par centaines et en les forçant à devenir des esclaves sexuelles. Les histoires horribles issues des témoignages de ces jeunes femmes ayant réussi à s'échapper dépeignent une image d'une sauvagerie et d'une brutalité inimaginables, certaines jeunes femmes préférant se suicider plutôt que de vivre en captivité chez les membres de l'EIIL. Ces groupes extrémistes violents sont les plus effrayants à cause de l'organisation et de la sophistication dont ils font preuve pour soumettre les femmes et leur faire subir des sévices dans les zones qu'ils contrôlent. Ils les exploitent comme des trophées pour récompenser leurs combattants puis diffusent ces crimes sur les réseaux sociaux pour attirer de nouvelles recrues. Leur utilisation des technologies du XXIe siècle amplifie leur voix et les aide à diffuser leur message moyenâgeux à un public international. Cette année, le rapport des Nations unies sur les violences sexuelles dans les conflits décrit des crimes affreux tels que ceux-ci, commis partout dans le monde. Il constitue une chronique de la tendance dérangeante de l'utilisation de violences sexuelles à l'encontre d'adolescentes, notamment des viols, de l'esclavagisme sexuel et des mariages forcés. Il consigne l'utilisation des violences sexuelles pour persécuter des minorités ethniques et religieuses et cibler des personnes en fonction de leur orientation sexuelle réelle ou soupçonnée. Il décrit la vulnérabilité accrue des personnes déplacées et des populations de réfugiés vis-à-vis des abus sexuels. Il décrit en détail la stigmatisation et la honte qui empêchent les femmes, les hommes et les enfants de parler lorsqu'ils ont été attaqués et souligne le manque de services et d'aide à l'intention des survivants qui trouvent la force de parler de ce qu'ils ont subi. Le rapport établit une liste de 43 groupes armés fortement soupçonnés d'avoir commis de tels crimes, notamment des forces armées d'Etat, des groupes d'opposition et des groupes extrémistes violents. Le rapport indique la brutalité affreuse à laquelle nous faisons face dans le combat pour l'éradication du viol comme une arme de guerre, mais sert aussi de tableau de bord à la recherche de solutions. En soulignant l'importance du renforcement des systèmes de justice civile et militaire, le rapport insiste sur des efforts nécessaires plus larges pour renforcer les protections institutionnelles contre l'impunité. Par exemple, l'année dernière, des officiers de police et de l'armée, dont certains de haut rang, dans des pays abordés dans le rapport, ont été accusés, poursuivis et reconnus coupables d'accusations de violences sexuelles dans les conflits. Le rapport indique, également, la nécessité d'inclure les violences sexuelles dans les négociations de cessez-le-feu et de paix et d'exclure toute amnistie pour les coupables. Il demande le déploiement d'un nombre plus important de femmes soldats du maintien de la paix dans les zones de conflit et une participation accrue des femmes dans tous les processus de maintien de la paix et de consolidation de la paix. Parmi les solutions figurent le besoin urgent d'une augmentation des services médicaux, psychosociaux, juridiques et économiques et un appui aux survivants pour les aider à reconstruire leur vie. Les systèmes d'alerte précoce nationaux et internationaux qui font sonner l'alarme contre l'escalade des violences sexuelles doivent être adoptés pour prévenir ces atrocités avant qu'elles ne soient commises. L'année dernière a permis de démontrer que, grâce à une volonté politique et à des actions qui fonctionnent sur la durée, nous pouvons renverser le courant contre les violences sexuelles dans les conflits. Malgré ces avancées, la communauté internationale doit renouveler ses engagements et imposer une pression accrue pour ne pas perdre le terrain que nous avons gagné et répondre aux problèmes que posent les menaces nouvelles et émergentes. Les coupables des violences sexuelles dans les conflits sont des adversaires impitoyables dont les crimes peuvent prendre plusieurs formes et exigent des réponses complètes. Nous devons redoubler d'efforts pour mettre fin à l'impunité des coupables, garantir une justice et des réparations pour les victimes et renforcer l'état de droit jusqu'à ce qu'aucun innocent ne se trouve sous la menace de telles violences. Ces défis sont importants mais la vie de milliers de personnes dans le monde ainsi que la paix et la sécurité futures de notre communauté mondiale en dépendent. Il n'est pas question de perdre cette bataille. (Zainab Hawa Bangura est secrétaire générale adjointe des Nations unies et représentante spéciale du secrétaire général chargé de la question des violences sexuelles commises en période de conflit.)