Par Hella LAHBIB Après l'interminable grève des professeurs du cycle secondaire, l'annulation des examens du deuxième trimestre, et la perturbation des ados tunisiens, naturellement enclins à la paresse et perturbés de fait, de par leur âge, voici que les universitaires se sont mis, eux aussi, au régime de l'intermittence au travail, avant-hier, pour être rejoints par leurs collègues de l'enseignement primaire, hier. Tous les cycles du système éducatif national étant ainsi ratissés. La boucle est bouclée. Si la grève des professeurs du secondaire a été traitée en long et en large, pour se couronner après de longues et difficiles tractations par une issue plus ou moins consensuelle, la grève des universitaires, elle, a été franchement contestée par les concernés. Bon nombre d'universitaires, parmi les plus en vue, ont fait part de leur boycott, en désavouant l'appel de leur syndicat sur la place publique, et via des statuts revendiqués, des articles et des déclarations. Ils ne comprennent pas, critiquent-ils, sa motivation. La suite de ce nouveau feuilleton syndical, on ne la connaît pas encore. Résultat acquis toutefois; les étudiants tunisiens très en avance par rapport à leur niveau — figure de style — se sont vu gratifier d'un jour chômé sur le gazon ensoleillé. Le syndicat de l'enseignement primaire emboîte le pas, pour ne pas être en reste, et décrète, à partir d'hier, une interruption des cours, offrant ainsi aux p'tits mômes nationaux des heures instructives, — re-figure de style — de télé ou dans les méandres de l'Internet. Pourquoi ? Compte tenu de l'état dans lequel se trouve le pays, il est certain que tous les secteurs d'activité soient en demande, tout comme le niveau de vie des Tunisiens est en baisse. Tout se porte mal. Question tout de même : ces arrêts de travail à répétition sont-ils à même d'apporter des solutions de fond et des réformes, ou bien au contraire, cette forme de contestation radicale ne fait-elle qu'à aggraver la situation tant économique que sociale ? Que cherchent au juste les fédérations sectorielles et à plus grande échelle l'Ugtt ? Pour qu'à peine une grève terminée, une autre s'annonce ? Souvenons-nous, avant l'Education, c'était le Transport qui s'était mis en grève. On ne sait pas à qui sera le tour après. Pour ne parler que des secteurs publics clés qui touchent d'une façon ou d'une autre les familles tunisiennes. Une fois que c'est dit, pour paralyser un pays, plus précisément pour mettre en échec une équipe gouvernante, il n'y a pas mieux que les grèves. Cette stratégie redoutable a fait ses preuves par un passé récent. Tourner la page Au temps de la Troïka, les sit-in, les blocages de routes, les arrêts de travail n'ont jamais cessé tout au long du mandat provisoire. Tant et si bien que l'amertume s'en fait ressentir encore aujourd'hui. A chaque fois que l'échec des dirigeants de la Troïka à gouverner est invoqué, leurs supporters sortent inlassablement un argument qui n'a pas pris une ride : « On ne les a pas laissés travailler. On leur a mis des bâtons dans les roues ». Ce qui est probablement vrai, mais n'explique pas tout. Le déficit en matière de gestion de la chose publique était avéré. Il a été relevé en temps et en heure. Passons. De surcroît, les gens ressentaient, au lendemain de la révolution, le besoin de s'exprimer, de protester avec ou sans raison, après le long règne de l'autoritarisme et du silence. Troisième argument massue : le modèle de société tunisien avec tous ses relais socioculturels modernistes était en danger. Eh oui, notamment après les assassinats politiques, la contestation incessante appuyée par les mouvements sociaux a été adoptée par la société civile, par une partie des secteurs professionnels, par une partie des médias comme par l'opposition, comme supports privilégiés de résistance et de dissidence contre le pouvoir. Ce n'est pas un secret. Aujourd'hui, les choses ont changé. Les questions litigieuses ont été fixées par la constitution. Les Tunisiens, toutes sensibilités confondues, sont mûrs pour le consensus et l'ont fait savoir. Des promesses et engagements sont donnés par les grandes puissances pour soutenir ce petit-grand pays, la Tunisie. Plus de place, donc, ni de temps, pour pratiquer la sourde vengeance ou le n'importe quoi. Aussi naïve que cette conclusion puisse paraître, il est plus pragmatique, plus utile pour tout le monde de tourner la page, de travailler main dans la main, pour une restructuration profonde et nationale. Ceci, bien entendu, ne se fera pas sans calmer les esprits brouillons, bannir l'esprit de rente, raisonner les revanchards, modérer les chercheurs de gloire et les ambitieux politicards. Autrement, à force d'être en panne, le bateau risque de couler au fond de l'eau avec tout ce qu'il y a dedans.