Une soirée à l'ambiance mitigée, pas toujours fidèle au jazz. La soirée du vendredi 17 avril à Jazz à Carthage a été une soirée particulière. Sa particularité émane du fait qu'elle comporte à la fois ce qui nous enchante à propos de cette manifestation, tout en nous décevant en même temps. Cela concerne le programme de cette soirée, le reste, de la qualité du son, à la mise en scène et à l'organisation, étant, à l'accoutumée, de bonne facture. Le menu de cette soirée était entre Portugal, Tunisie et France. La première partie a été brillament assurée par la formation Lisboa String Trio. José Peixoto à la guitare, Carlos Barretto à la contrebasse et Bernardo Couto à la guitare portugaise ont une musique au caractère d'une vieille femme au fin fond d'un village, douce comme une jeune fille à la fleur de l'âge. Que d'images leurs titres nous ont inspirées, nous emportant entre rythmes andalous, mélodies grecques et fado agrémenté de sons jazzy. La guitare portugaise qui se muait tantôt en luth, tantôt en bouzouki nous a enchantés. La musique du trio, tout droit venue de lisbonne, est comme la quête paisible d'un pays natal que l'on reconnaît sans jamais y être allé. A l'occasion du concert de vendredi, ils ont invité la chanteuse Filipa Pais, «l'une des plus belles voix portugaises» explique l'un des musiciens en l'annonçant. Les paroles qu'elle a chantées viennent des classiques et du patrimoine de la région. Tout dans ce groupe est harmonie et authenticité, enveloppé d'un jazz aux influences méditerranéennes, étonnant par son naturel. Ce qui était promis dans la présentation du Lisboa String Trio a été retrouvé sur scène. Ce n'était malheureusement pas le cas pour le reste du programme. Après la pause, nous découvrons sur scène le jeune Tunisien Daly Gana et son groupe, jouant un morceau aux influences celtiques. Le chanteur a connu une notoriété depuis sa participation à l'émission de découverte de talents X factor, pour le monde arabe. Avant cela, il se produisait sur la scène locale et est riche, malgré son jeune âge, de ses voyages qui l'ont mené à la découverte du monde et de ses musiques. Seulement, et sans nier le charisme et la magnifique voix de Daly Gana, le résultat est un plat musical sans caractère, une world music dans sa version la plus mondialisée, qui ne dépasse pas les arguments marketing qui la vantent. Nous avons, d'ailleurs, été étonnés de voir que la présentation du chanteur sur le site Internet de jazz à Carthage commence par : «Né à Tunis dans une famille issue d'une minorité ethnique berbère». Quand tout est bon pour vendre, il faudrait d'abord commencer par le produit musical. Daly Gana a une belle voix mais il doit trouver la bonne voie. Celle du jazz est en tout cas très loin de ce qu'il propose. Même si le public a apprécié et interagi, avec sa performance, nous ne comprenons pas sa programmation à Jazz à Carthage. En dehors d'un désir d'attirer un public plus large, les arguments manquent. Il en est de même pour l'artiste qui l'a suivie sur scène. La Française Joyce Jonathan chante sur sa guitare une musique de variété, sur des paroles scolaires parlant d'histoires d'amour à l'eau de rose. Sa «success story» vantée sur le site Internet de Jazz à Carthage ne lui accorde pas, selon nous, sa place sur la scène de ce festival qui nous a semblé, ce soir-là, s'écarter de son sujet. Car le vrai public du jazz, que le festival a contribué a développer en Tunisie, sait faire la différence entre l'authentique et le «fake», surtout quand on l'a habitué à désigner les artistes qui font honneur au jazz.