Est-il possible de rendre une terre cultivable avant de l'avoir défrichée ? Est-il possible de faire disparaître la fumée sans éteindre au préalable le feu qui la dégage? Est-ce qu'on peut arrêter les massacres avant de mettre fin à la guerre? Il s'agit là de lapalissades, et pourtant elles ne sont pas si évidentes pour certains de nos gouvernants qui continuent à user des mêmes méthodes que la Troïka, avec les éléments extrémistes qui sont largement responsables de la propagation de la violence et du terrorisme dans le pays, que ce soit directement ou bien indirectement. Alors, avec des attitudes pareilles, peut-on espérer, réellement, l'éradication de ce fléau et l'assainissement du climat social et politique? La crédibilité des institutions Le ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh, vient de réhabiliter Ridha Jaouadi, l'imam extrémiste de la mosquée Sidi Lakhmi à Sfax, un poste qu'il s'est arrogé d'une manière tout à faut illégale, bien qu'il soit largement contesté pour ses propos incitatifs à la violence et à la haine. Il était accusé, à maintes reprises, d'attenter à la sûreté de l'Etat, pour avoir appelé, dans ses prêches, les citoyens à s'entretuer, et fait l'apologie du jihad. Parmi les plaideurs, il y avait des avocats qui lui reprochent de troubler l'ordre public, en lançant des anathèmes contre les forces démocratiques et progressistes, c'est-à-dire les laïcs, en mobilisant des imams et en organisant des marches contre tous les opposants à Ennahdha, qu'il défend à cor et à cri, y compris l'Ugtt. La dernière en date est celle organisée à la capitale contre le minstère des Affaires religieuses pour l'ultimatum donné aux propriétaires des mosquées illégales en vue de régulariser leur situation et à la décision relative au limogeage de certains imams perturbateurs à la tête desquels se trouvent Béchir Ben Hassan et lui-même. Cela, sans compter le fait qu'il ait souvent accueilli, à «sa mosquée», les prédicateurs extrémistes du Proche-l'Orient et des pays du Golfe, à l'image de l'Egyptien Mohammed Hassen. L'argument dont s'est servi le Ministre pour justifier sa décision, permettant à cet imam de réintégrer les rangs, après avoir menacé de l'évincer, c'était l'engagement verbal de sa part à éviter de tenir des discours haineux et d'emprunter la voie de la modération. Cela nous donne l'impression que notre ministère s'est transformé en une institution de «promotion de la vertu et de prévention contre le vice», à l'instar de ce qui existe dans les oligarchies du Golfe. Cette rétraction de M. le ministre des Affaires religieuses est inquiétante à plus d'un titre. Tout d'abord, cela est synonyme de capitulation et de reconnaissance de défaite face au défi que lui a lancé l'imam qui était, initialement, incriminé. D'autre part, son acquittement de cette manière ne risque-il pas d'encourager d'autres réfractaires à user des mêmes procédés pour obtenir gain de cause et d'affaiblir, ainsi, les institutions de l'Etat? Aussi, la lutte contre le terrorisme serait-elle une tâche doublement ardue, puisque ses artisans, opérant un repli tactique, peuvent se faufiler dans la foule pacifiste, ce qui rendrait leur identification difficile, dans cette arche de Noé, et leur procurerait de grandes possibilités pour mener leurs actions déstabilisatrices et saper la cohésion sociale de l'intérieur. Couverture politique? Permettre à un imam aussi agressif, aussi perturbateur et aussi indiscipliné de réintégrer son poste et faire comme si de rien n'était est comme si on le disculpait de tous les crimes notoires qu'il a commis au vu et au su de tous. Autant pardonner les forfaits de tous les criminels en contrepartie de leur promesse de ne plus récidiver, et ainsi on aurait vidé les centres pénitentiaires, épargner à l'Etat des dépenses inutiles et lui procurer des ressources humaines supplémentaires. L'attitude de M. Battikh manque cruellement de rigueur, et n'est pas rassurante, quant l'avenir. Est-ce en opposant une trop grande indulgence aux criminels que l'on va pouvoir sévir contre les terroristes et leurs alliés? Est-ce qu'au moyen de l'impunité on serait capable d'appliquer une stratégie de sécurité nationale et de la mener à bien? La conjoncture n'appelle a-t-elle pas à plus de rigueur? En fait, sur quoi mise-t-on, en acquittant l'imam de la mosquée Lakhmi? Sur l'oubli? Mais ses méfaits sont trop récents, leurs effets, qui se font sentir aujourd'hui encore, sont trop marquants, et le mal est trop poignant pour être oubliés de sitôt. Son exemple nous rappelle celui du présumé terroriste d'Hammamet, Abou Mariem, classé comme très dangereux, contre lequel le ministère de l'Intérieur a émis six avis de recherche, qui était aussitôt appréhendé par les forces de sécurité, aussitôt traduit devant le juge d'instruction, ausitôt acquitté et remis en liberté, pendant que d'autres, beaucoup d'autres qui sont inculpés de crimes de droit commun, gisent des mois et des mois dans les prisons dans l'attente de procès dont les dates sont toujours reportées. Comment explique-t-on ces deux poids, deux mesures, cette discrimination entre les citoyens? La politique n'y est-elle pas pour quelque chose? N'est-ce pas elle qui intervient pour privilégier les uns aux dépens des autres? Son ombre est trop épaisse pour ne pas étre vue...