Après moult manifestations et actions de protestations des journalistes tunisiens soutenus par la société civile, après de longues tractations entre le Syndicat national des journalistes et les autorités, après une grève de la profession à la fin de l'année 2012, le décret-loi 116 du 2 novembre 2011 relatif à la création d'une Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) a finalement été activé. Le 3 mai 2013, le gouvernement de la troïka annonçait finalement la composition de l'instance de régulation audiovisuelle. Ici aussi, le choix des membres a fait l'objet d'un «compromis» entre les partis de la troïka et leurs alliés, notamment parmi le Syndicat tunisien des directeurs des médias. Ce qui a engendré un partage partisan des responsabilités dans une structure censée évoluer loin du pouvoir dans toutes ses formes — politique, religieuse et financière — de ses petites guerres, des ses manœuvres et de ses intérêts. La Haica dispose en fait selon le décret-loi 116 d'importants pouvoirs décisionnels, de contrôle, de sanction, ainsi que du droit «d'avis conforme» concernant les nominations à la tête des médias audiovisuels publics. C'est à elle que revient, également, l'octroi des licences d'exploitation de nouvelles chaînes de radio et de télé publiques et privées. Mais le «compromis » qui a été à la source de la naissance de la Haica semble arriver à bout de souffle. Après la défection de deux de ses membres, il y a quelques mois, deux autres membres, et non des moindres, à savoir la juriste Rachida Enneifer et le sociologue des médias Riadh Ferjani, viennent également de démissionner. Ils déclaraient dans un communiqué conjoint publié le 27 avril dernier : «L'octroi en juillet 2014 et en avril 2015 de licences d'exploitation à des stations radio et télé privées était une violation des constantes de la Haica pour installer un paysage médiatique professionnel, pluriel et transparent». Ces départs signalent-ils la fin d'une instance pourtant tant attendue par beaucoup de professionnels, de juristes et des activistes de la société civile? La régulation audiovisuelle par une structure indépendante représente l'un des critères d'évaluation de la pluralité et de la diversité de son paysage médiatique. Elle incarne un moyen pour soupeser la liberté d'expression et d'information, notamment dans un pays en voie de transition démocratique. Et si certains, notamment dans les chaînes privées jubilent à longueur de plateaux télévisés depuis l'annonce des deux démissions, pour d'autres la régulation est un choix irréversible, quelles que soient les conditions et les conjonctures.