La prise de Tunis par Charles Quint (1535) dans la littérature et l'historiographie allemande Le Département des Lettres de l'Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts a organisé, vendredi 24 avril dernier, une conférence intitulée « La prise de Tunis par Charles Quint (1535) dans la littérature et l'historiographie allemande ». Présentée par le Professeur Mounir Fendri à un auditoire éclectique composé d'universitaires, d'écrivains et de représentants de fondations de réflexion allemandes en Tunisie, la conférence est revenue sur l'expédition militaire menée en 1535 par Charles de Habsbourg dit Charles Quint, Roi d'Espagne et Empereur d'Allemagne, à Tunis dans un contexte caractérisé par la progression inexorable des Ottomans vers le cœur de l'Europe et un conflit diffus avec les armées musulmanes. L'empereur prend Tunis et rétablit sur son trône Moulay Hassan, sultan hafside de Tunis devenu allié de Cha rles Quint, qui en avait été chassé l'année précédente par Khaïreddine Barberousse. Cette demi-victoire (car Barberousse, «général de la mer» du sultan Soliman n'avait pas été poursuivi et restait maître d'Alger) fut pourtant célébrée comme une grande victoire du fait qu'il s'agissait d'un engagement personnel de l'empereur, animé par un esprit de croisade, et d'un combat contre les Infidèles (musulmans), la conquête de Tunis en 1535 a fait l'objet d'une extraordinaire publicité dans les écrits euro-chrétiens de l'époque, notamment dans la littérature germanique, Charles Quint ayant été élu Empereur romain germanique Karl V en 1519. M. Fendri a expliqué qu'il essayait d'interpeller, sur fond de cet évènement historique, le domaine de la littérature qui, de tous temps, se plaît à «récupérer les faits historiques pour s'en inspirer, les façonner selon ses moules, les déformer même, plus ou moins arbitrairement, au gré du génie créateur». A cet effet, il s'est intéressé à certaines œuvres littéraires allemandes qui se sont saisies de la prise de Tunis par Charles Quint sous divers aspects, et a donné un aperçu de la réception et la perception de cette expédition dans l'espace culturel germanique (Allemagne et Autriche). Ainsi, le conférencier rapporte l'intérêt qu'a suscité la prise de Tunis dans les plaquettes «Zeintungen» allemandes, ancêtres des journaux, qui en ont fait un évènement majeur à même de requérir un intérêt national, même s'il s'est déroulé à l'étranger. Il fut donc publicisé comme «l'expédition impériale victorieuse contre Tunis en Afrique». On décompte une douzaine de plaquettes qui se rapportent directement à l'expédition de Tunis de 1535. La première de la série se réfère à une correspondance de Naples et fait état des préparatifs des forces destinées à aller combattre Barberousse à Tunis. La suivante rend compte par les chiffres des effectifs en hommes, vaisseaux et munition rassemblés à cette fin. Les autres proclament et décrivent au fur et à mesure la prise de La Goulette, puis celle de la ville de Tunis et, enfin, le retour triomphal du Kaiser et son armada. Charles Quint lui-même relata minutieusement les opérations de l'expédition dans plusieurs missives adressées à ses ambassadeurs, à l'impératrice et à la reine d'Hongrie (sa sœur), avec recommandation expresse d'en faire connaître les détails. Par ailleurs, M. Fendri souligne que l'évènement fit son entrée dans la littérature allemande grâce à Hans Sachs (1494-1576), poète allemand le plus prolifique et le plus populaire de son époque, dont l'immense œuvre compte trois longs poèmes publiés en 1535 qui chantent élogieusement la victoire de « Sa Majesté le Kaiser allemand sur les Turcs à Tunis en Afrique. La glorification de Charles Quint n'aura d'égal que l'image extrêmement négative de tout ce qui incarnait alors le Turc. A ce titre, Khaïreddine Barberousse était devenu alors pour l'Europe l'abominable chef pirate turc et le spoliateur du véritable roi de Tunis, Moulay Hassan, héroïquement restitué dans ses droits par le bon Empereur chrétien. M. Mounir Fendri note, toutefois, que dans le début de la phase de déclin de l'Empire ottoman, l'image de Moulay Hassan va être entachée dans le jugement moral de l'opinion allemande, notamment en raison de certaines œuvres littéraires dont celles du grand dramaturge Friedrich Schiller (1759-1805) qui, dans sa «Tragédie républicaine», à savoir «La conjuration de Fiesque à Gênes (1782), le personnage de « Moulay Hassan. Maure de Tunis» est dépeint comme un vil traître à son pays, vénal et corrompu qui se range du côté du mieux payant. L'étiquette de méprisable tyran sanguinaire collera à l'image historique de Hassan al-Hafsi au XVIIIe siècle. M. Mounir Fendri n'a pas manqué de souligner que sa conférence se voulait un premier pas pour concrétiser le projet d'établissement d'une bibliographie générale des documents de tous genres et toutes langues relatifs à l'histoire politique, sociale et culturelle de la Tunisie du XVIe siècle.