«Libre de filmer, de penser et de dessiner», tel était le grand thème de la quatrième édition d'Al Kalimat dont le rideau est tombé dimanche dernier. La manifestation qui met en scène des paroles d'écrivains tunisiens et français est la jumelle du Marathon des mots qui se tient depuis dix ans au mois de juin de chaque année. Son fondateur, l'écrivain et diplomate français Olivier Poivre d'Arvor était parmi nous à Tunis pour Al Kalimat, où il a animé, entre autres, une rencontre samedi après-midi, autour de l'éloge de la tolérance et de la fraternité. Appelant les présents à l'ordre et à l'écoute, il a promis à l'audience, pour la prochaine édition, des rencontres plus «professionnelles», dont le thème sera probablement autour de l'islam. Cette journée d'Al Kalimat a certes été instructive et propice aux discussions enrichissantes, mais elle est tombée dans un trop-plein de convivialité. L'organisatrice, Sihem Belkhodja, l'ayant placée dans le patio d'un restaurant de la Médina, en accordant plus d'importance aux courtoisies et complaisances qu'au programme. Celui-ci a, d'ailleurs, subi plusieurs changements survenus sans annonce préalable. Le matin, le débat a été installé sous le signe «Libre de danser». Sophie Renaud de l'Institut français à Paris, le chorégraphe tunisien Imed Jemaa, la chorégraphe-danseuse Nesrine Chaabouni, et Brigitte Lefèvre de l'Opéra de Paris ont pris la parole pour confronter leurs expériences. L'état des lieux n'est pas le même dans les deux pays mais tout le monde s'accorde à dire que danser est en lui-même un acte de résistance, au delà du thème de la chorégraphie. Danse et résistance ont été évoquées entre autres pour parler de la censure sous Ben Ali, que les danseurs tunisiens ont évoquées, chacun à sa manière. Même Sihem Belkhodja est passée au micro pour expliquer comment elle flirtait avec les lignes rouges de la censure, tout en programmant ses spectacles en toute liberté. Elle a fini son allocution par quelques larmes tout en appelant l'Europe à soutenir la Tunisie et les artistes tunisiens. «Nous ne voulons pas de votre argent mais de votre présence avec nous», a-t-elle lancé à ses invités. Difficile à croire tellement leur hôte en fait trop pour leur plaire. Elle en est même arrivée à obliger une participante, très gênée et ne sachant comment réagir, à enlever son voile devant l'audience, afin de récolter les applaudissements de ses invités français. Ces derniers se sont régalés, comme tous les présents d'ailleurs, d'un couscous au poisson qui a grignoté sur une partie du temps accordé au programme, d'où le rappel à l'ordre d'Olivier Poivre d'Arvor. Avant le déjeuner, les mots étaient des délices. Une séance de lecture a révélé les paroles de femmes qui ont choisi d'être dans la transgression. L'écrivaine et journaliste tunisienne installée en France, Fawzia Zouari, a donné en lecture un extrait de son livre à paraître bientôt, «Le corps de ma mère». Avant de lire le texte où l'auteure ramène la mémoire de sa défunte mère, une villageoise dont les enfants n'ont jamais vu la chevelure au point d'en faire un mythe, elle a expliqué que la culture arabo-musulmane est basée sur le fait de tout cacher. «El sitr» que l'on peut traduire par décence ou pudeur régit notre culture, dit-elle, de l'architecture à la religion. Il en est de même pour les rapports et secrets familiaux qu'il ne faut jamais dévoiler. Après mûre réflexion, Fawzia Zouari a décidé de dévoiler, tout en respectant le souvenir de sa mère qu'elle raconte d'une manière poétique, teintée d'humour. Les tabous sont également un thème qu'explore à ses risques et périls l'écrivain turc Orhan Pamuk. Ni lui ni sa concitoyenne romancière et militante des droits de l'homme Asli Erdogan n'ont pu faire le déplacement. Il était prévu que l'un d'eux donne la réplique à l'auteur française Blandine Savetier qui se penche sur une adaptation de l'œuvre de Pamuk « Neige ». C'est finalement l'écrivain et cinéaste Afghan Atiq Rahimi qui a partagé la lecture d'un extrait où se confrontent un enseignant universitaire et un étudiant islamiste, et où chacun ne peut échapper à son sort. Les mots ont été déterminants dans les lectures de ces textes, car écrits par des maîtres qui savent mettre chaque terme à sa place. Ils ne l'ont malheureusement pas été comme il se doit en cette deuxième Journée d'Al Kalimat, éparpillée et perdue dans les à-côtés, plus que dans l'essence des Kalimat. Une journée qui résume mal l'esprit de la manifestation et qui aurait pu être plus aboutie. A bon entendeur! N.T.