Par Habib Bouhawel Il n'y a pas de mots absolument clairs et particulièrement signifiants pour décrire la faillite et avouer la débâcle. Cela fait plus de quatre ans que nous sommes inscrits à l'école révolutionnaire, usant des libertés et des outils démocratiques, ceux là mêmes que nous avons longtemps enviés aux nations privilégiées. L'histoire nous a consenti une chance et nous a lancé un défi, et nous n'avons pas su tirer avantage de la première, ni pu relever le second. Sans fatalisme, osons avouer que la passivité, l'opportunisme et le calcul à court terme sont des composantes enracinées dans nos gènes rétives, qui se refusent, par une étrange ironie du sort, aux glorieuses entreprises. On finirait par croire que nous sommes un peuple de plaines, et que les hauteurs nous seraient à jamais suspectes, parce qu'étrangères à notre raisonnement siégeant au ras des pâquerettes et dans des limites qui ne prédisposent pas à l'aventure et n'autorisent pas le périple audacieux. Nous sommes un peuple de marchands à la sauvette, du moins, nous en avons la mentalité, les réflexes. On se rappelle, aux lendemains du 14 janvier, cette première et opportuniste ruée vers la création de partis, comme on se rappelle, plus tard, le chant des sirènes de la présidentielle qui nous gratifia de cette pléthore inénarrable de prétendantes et de prétendants, ayant soulevé en nous de cruels questionnements quant à la validité de nos projets présumés «révolutionnaires». On se rappellera, de même, la caste des «légitimes», celle qui s'est prévalue de la légitimité révolutionnaire, surtout ces «mouhajirin» de Paris, de Londres et d'ailleurs. Ceux là qui prirent la relève «novembriste» et qui donnèrent ses lettres de noblesse à la nouvelle génération des pique-assiette politiques, drapés qu'ils étaient d'une honorabilité de tartuffes et de faux dévots. Ils étaient relayés, plus tard, par le côté pile de la même monnaie de singe, soit cette Commedia dell'arte révolutionnaire, faite de faux et d'usagers de faux. Dès les premières semaines, ils ont réussi à résilier le contrat de confiance qui les liait aux électeurs et à saper les piliers de crédibilité qui faisaient d'eux, abusivement, les outils majeurs du changement tant souhaité et les artisans du véritable démarrage de cette Tunisie, depuis longtemps en attente d'un projet devenu de plus en plus irréel et improbable. Mais le peuple n'était pas du reste. Tel maître tel valet ! Les bas instincts confisquèrent la nouvelle et inédite liberté, au nom de laquelle on justifia tous les abus, et la combine malsaine prit le pas sur les valeurs citoyennes. Non, personne n'est innocent, et personne ne sortira indemne de cette course à l'échalote, qui nous entraînera immanquablement vers des désaveux attendus et vers des déceptions certaines. On ne confond pas impunément, libertés et chaos, démocratie et débordements nuisibles, révolution et imposture. La révolution, on l'attendait dans les comportements, dans la mentalité, dans la production d'idées et de concepts, dans tout ce qui peut transformer ce Tunisien très commun, en citoyen digne, porteur de projet et d'espoir. C'est dans ce sens qu'on a appelé à une réflexion qui mobilise et à des actions qui, comme les graines du petit Poucet, signalent le chemin du salut. A défaut, on continue à tourner en rond et à ergoter, chacun dans son espace fermé,jetant l'anathème sur son prochain et refusant de croire que la faute est partagée et que tous, nous faisons partie de l'erreur et de la déviation révolutionnaire. En attendant, la faute enfle et devient crime, et la passivité ouvre royalement la voie à la déconfiture. Dans cet échiquier du destin, une pièce majeure manque à l'appel. C'est l'intellectuel, le visionnaire, c'est-à-dire ce dieu porteur de l'esquisse d'un projet, celui qui propose les horizons nouveaux, invite au bouleversement des idées et pousse à l'audace qui génère le renouveau et l'homme tant espéré du futur. Certes, les tentatives ne manquèrent pas, mais cafouillèrent dans l'incohérence et s'inscrivirent surtout dans le marginal. Parce qu'elles étaient mal relayées par la classe de ces nouveaux dirigeants politiques, davantage porteurs de soucis pour le pays que de projets. Davantage concernés par ces partages de fiefs de pouvoir, considérés comme prise de guerre et qui mobilisent toute l'énergie « révolutionnaire», que par un destin national mobilisateur et par une action d'envergure historique. Le pays donne de plus en plus l'impression d'être partagé entre seigneurs de guerre qui se livrent continuellement à des escarmouches de terrain, bien loin de ce fameux destin, chanté par Abul Kacim Echhebbi, et qui devrait plier par la seule volonté du peuple. Une révolution culturelle s'impose, avec des chevaliers sans peur et sans reproche, qui sillonneront au fil de mois et d'années s'il le faut, les voies et les pistes reliant le nord au sud, créant cet axe que j'appelle de tous mes vœux, un axe culturel et fédérateur, Tunis-Tataouine. Ils propageront la « bonne nouvelle » et forceront le destin. Ils seront artistes-plasticiens, hommes de théâtre, cinéastes, poètes et écrivains, philosophes et tous les messagers de l'idée nouvelle et mobilisatrice. Une marche culturelle qui changera l'aspect du pays et forcera la banalité politique à retrouver sa véritable et unique vocation révolutionnaire : bâtir un pays nouveau et partir à la conquête de l'impossible.