Qu'ils soient des terroristes ou des âmes innocentes, les Tunisiens résidant en Libye subissent désormais les pires des traitements. Triste réalité dont nul ne peut prévoir l'issue... Récit dramatique d'un Tunisien ayant fui ce pays D'emblée, cette question lancinante : en réalité, combien de Tunisiens sont actuellement arrêtés en Libye ? Une centaine et quelques poussières, à en croire notre ministère des Affaires étrangères. «Faux», rétorquent plusieurs sources concordantes au ministère de l'Intérieur qui parlent de «centaines d'otages tunisiens capturés un peu partout dans ce vaste pays voisin, et plus particulièrement dans les villes de Tripoli, Syrte, Sobrata, Mosrata et Derna». Cette révélation, à la fois sensationnelle et malheureuse, est d'ailleurs corroborée par plusieurs de nos compatriotes contraints de rentrer précipitamment au bercail, ainsi que par des familles libyennes venues récemment s'installer, à leur corps défendant, dans nos murs, pour fuir ce qu'ils appellent fatalement «l'enfer libyen». Détails terrifiants. Si quelqu'un bouge, je tire... Dans cette Libye livrée aujourd'hui à la guerre civile et où le chaos est roi, on ne comprend plus rien, et plus personne ne sait qui fait quoi. Voilà une vérité que partage avec nous, les yeux fermés, un jeune travailleur tunisien basé à Tripoli, et qui a dû malgré lui regagner le pays, la semaine dernière. Refusant catégoriquement de décliner son identité, sans doute par crainte de «représailles», il a accepté de se confesser. «Avant la révolution qui a éliminé Kadhafi, on se la coulait douce dans ce pays», entame-t-il, nostalgique, son récit qui a tout d'une odyssée. «On gagnait bien, à l'époque, notre vie», souligne-t-il, visiblement encore attaché à des souvenirs impérissables qui se transformeront, hélas, en drame. «C'est surtout en 2012, se remémore-t-il, que tout a changé, avec une insécurité qui commençait à s'installer, avant de le céder graduellement au chaos. A Tripoli où je menais la belle vie, la milice terroriste «Fajr Libya» allait faire cavalier seul, non seulement en s'emparant de tous les édifices publics et en imposant son fondamentalisme radical, mais aussi en semant la terreur parmi la population tant locale qu'étrangère : arrestations en cascade, perquisitions à répétition des domiciles, aménagement de nouveaux centres de détention provisoire, augmentation rampante des points de contrôle d'identité et de fouille des véhicules, limitation des bons d'achat, des denrées alimentaires, restrictions bancaires, rafles à gogo et j'en passe. Un jour que j'étais attablé dans un café, un bonhomme barbu s'amena et, sans crier gare, il brandit sa kalachnikov pour tirer une balle dans la tête d'un client. Une fois sa sale besogne accomplie, et au lieu de prendre la poudre d'escampette, il ne trouva mieux que de... commander un café auprès d'un garçon certes hébété mais forcément obéissant ! Des scènes pareilles, croyez-moi, se répétaient à Tripoli, et malheur à celui qui trouve à redire ? Je n'oublierai pas non plus ces autres démonstrations de force terroristes établies dans les magasins et points de vente où il n'est pas rare de voir un jihadiste faire irruption une kalachnikov sur l'épaule, pour se faire servir illico presto et gratis sans prendre la peine de faire la queue. Ah, qu'est-ce qu'elles sont longues ces queues quotidiennes engendrées par les fréquents problèmes de pénurie dans une ville où Fajr Libya a fait main basse sur tous les stocks d'approvisionnement (denrées alimentaires, produits pétroliers, banques...). Sur un autre plan, j'ai constaté que la colonie tunisienne basée à Tripoli était devenue, depuis l'année dernière, la cible n°1 de cette milice. En effet, pour un oui ou par un non des Tunisiens se faisaient arrêter qui sur la voie publique, qui dans un café, qui encore à domicile. Leur sort restait, très souvent, inconnu. Personnellement, j'en ai fait l'amère expérience lors de l'une de ces nuits épouvantables lorsque deux intrus armés de kalachnikovs vinrent me chercher chez moi. A leur entrée, l'un d'eux déchira le silence en me lançant : «Si quelqu'un bouge, je tire». Je n'avais, bien sûr, qu'à obtempérer. Après avoir confisqué mes papiers, ainsi que mes économies en argent, ils m'embarquèrent dans leur 4x4 tout-terrain, pour une destination mystérieuse. C'est seulement deux jours après que j'ai su qu'on me détenait dans une ferme abandonnée. Deux jours, pardon deux «siècles» durant, je n'ai pas dormi, ni mangé. Je ne me nourrissais que de peur, d'exactions et d'interminables séances d'interrogatoire. Ayant eu la conviction que je ne suis ni un terroriste, ni un contrebandier et que mes papiers étaient en règle, ils me libérèrent enfin, non sans confisquer mon argent». Seul Dieu le sait Retenant son souffle, notre interlocuteur s'offre une minute de répit, avant de poursuivre, les yeux mi-clos : «En réalité, je l'ai échappé belle. Mais, malheureusement, il n'en est pas de même pour des travailleurs tunisiens en Libye dont on n'a plus de nouvelles, depuis leur rapt, il y a quelques semaines pour certains, et quelques mois pour d'autres. Sont-ils encore aux mains de Fajr Libya ? Ou alors ont-ils été éliminés ? Si oui, où les a-t-on enterrés ? Seul Dieu le sait. Mais, ce que l'on sait tout de même est que des centaines, pour ne pas dire des milliers de nos concitoyens, sont aujourd'hui portés disparus dans ce pays où rien n'a encore filtré de leur sort. C'est pourquoi, je conseille tous les Tunisiens résidant encore en Libye de s'empresser de plier bagage pour rentrer au bercail, autrement dit pour sauver leur peau, avant qu'il ne soit trop tard. C'est que, franchement, ce pays est devenu invivable et au paysage apocalyptique».