Par M'hamed JAIBI «Âahd Ettanmia», document conceptuel et didactique de 65 pages, est un programme de gouvernement en bonne et due forme soumis récemment par Nida Tounès à Habib Essid. Mais les concepteurs de la stratégie économique et sociale du parti du président de la République sont réalistes, ils savent qu'ils devront compter avec la volonté de garder le contrôle qu'affiche le chef du gouvernement, et les retouches, nuances et contestations de fond ou de forme que ne manqueront pas de susciter les autres partis appuyant le cabinet Essid et les indépendants membres de l'équipe. Ainsi que les critiques et exigences attendues que ne se priveront sûrement pas de formuler le FMI et la Banque mondiale, ainsi que les investisseurs potentiels et les bailleurs de fonds qui font confiance à la Tunisie. Créer le choc de confiance Ce programme de référence soumis à un gouvernement lui-même en pleine cogitation pour enfanter une stratégie de synthèse pour la relance du développement, propose pas moins de 15 grandes réformes «pour créer le choc de confiance et aller de l'avant». Deux impératifs intimement liés, comme le montrent bien les événements en cours dans le bassin minier, suite, paradoxalement, à un Conseil ministériel ayant pris de nombreuses bonnes mesures pour la région. Se définissant comme «une contribution à la Note d'orientation du programme économique et social 2016-2020, en cours de préparation par le gouvernement», le document de Nida Tounès propose, en termes d'objectifs, d'atteindre une croissance moyenne de 5,5% sur l'ensemble de la période, avec un taux modeste de 3,5% en 2016, et un couronnement à hauteur de 7,5% en 2020. Grâce à un effort massif d'investissements publics et privés de 125 milliards de dinars sur les cinq ans, et 15 grandes réformes stratégiques déclinées en quatre axes : «l'initiative pour la croissance et l'emploi», «le plan ambition-régions», «le plan vert » et «le nouveau contrat social», auxquels s'adjoindra un cinquième axe, celui des réformes engagées consensuellement en matière de sécurité, de justice et de gouvernance. La croissance et l'emploi Six réformes majeures sont proposées dans ce domaine. La première concerne les textes devant rendre le cadre institutionnel plus attractif, tels celui du Code d'incitation aux investissements, que le document souhaite voir «renforcer la politique d'encouragement du développement régional», «octroyer des avantages spécifiques aux projets à fort contenu technologique» et «maintenir l'encouragement des entreprises exportatrices» en renonçant à les soumettre à une imposition à 10% qui nuirait à notre attractivité et n'aurait qu'un effet budgétaire négligeable, le texte du partenariat public-privé (PPP) qui gagnerait, selon Nida Tounès, à être retouché pour ne plus se limiter aux grandes infrastructures mais permettre, en fonction des types de projets bien définis, une réalisation effective des partenariats public-privé dont la Tunisie a besoin, et notamment dans les régions, ainsi qu'une réforme fiscale audacieuse permettant de simplifier et réduire les taxes douanières pour lutter contre le fléau de la contrebande, et mettre en place le concept d'«opérateur agréé» fiscal et douanier qui permettrait d'avoir désormais affaire à plusieurs milliers d'entreprises agréées dans notre pays. Des banques au service des promoteurs des régions La deuxième réforme majeure est celle du système financier, par la création de la Banque des régions et des PME, qui remplacerait l'actuelle Bfpme et mettra en place une ligne de crédit à taux zéro d'un milliard de dinars destinée aux régions et aux PME. Et cette Brpme dépassera le statut d'établissement financier pour être un catalyseur de l'initiative fédérant le réseau des institutions d'appui à la PME. Cette mutation sera doublée par le parrainage de chacun des 14 gouvernorats de l'intérieur par une banque appropriée au service des promoteurs. Cela parallèlement à la restructuration des banques publiques par l'ouverture partielle déjà décidée, et la dynamisation de la Caisse des dépots et consignations devant jouer un rôle moteur dans les grands projets structurants. La 3e réforme concerne les politiques industrielles et technologiques. S'impose à nous, en effet, la mise en œuvre d'un programme national pour le développement technologique devant assurer un ancrage «par le haut» dans l'économie mondiale. Une centaine de mesures sont prévues à ce niveau selon des instruments sectoriels ou horizontaux. Viennent ensuite les réformes du tourisme, puis des systèmes d'éducation, de formation et d'enseignement supérieur et, enfin, celles des mécanismes d'insertion des jeunes. Le plan ambition-régions Il s'agit d'une réforme volontariste des politiques de développement régional dans le sens d'un développement inclusif mettant en œuvre des investissements à hauteur de 50 milliards de dinars sur cinq ans : 30 milliards par le secteur public et 20 milliards par le secteur privé. Cette réforme prévoit quatre dimensions. D'abord le décloisonnement physique des régions, qui verra le réseau autoroutier passer de 420 à 1.240 km, celui des fibres optiques atteindre 30.000 km, un allongement des voies ferrées de 50% et la généralisation du gaz naturel. Ensuite, l'aménagement de 10 pôles d'attractivité qui représenteront des îlots de dynamisme économique par un environnement intégré adéquat (zone industrielle, zone d'habitation, zone de services, zone de formation et de recherche). Parallèlement à une amélioration planifiée des conditions de vie des zones défavorisées par une action de discrimination positive. Le Plan vert, troisième axe du projet, concernera l'énergie, l'agriculture et l'environnement. La réforme des politiques énergétiques devra instaurer une relation de confiance avec les investisseurs des hydrocarbures par le rétablissement de la sécurité des opérations et la protection des sites sensibles, ainsi que par la clarification de l'article 13 de la Constitution. Il faudra également multiplier par quatre la part des énergies renouvelables dans la production d'électricité. D'autres détails fort instructifs sur la vision de Nida Tounès quant à l'avenir de l'agriculture et de l'environement mériterait développement, ainsi que «le nouveau contrat social», mais il est bien clair, à travers déjà les volets économiques et de développement régional, que le parti majoritaire défend un programme complet et qu'il le défendra et qu'il s'apprête à le mettre en avant dans les débats au sein du gouvernement en vue de l'adoption du programme commun définitif.