Par Abdelhamid GMATI On a beaucoup parlé de la Tunisie et de sa « transition démocratique », ces derniers jours à Washington, à l'occasion de la visite officielle du président Béji Caïd Essebsi. Pour le président américain, Barack Obama, « les Etats-Unis croient en la Tunisie. Le lieu où le printemps arabe a commencé est aussi celui où nous avons vu les progrès les plus extraordinaires ». Des commentaires positifs, dans l'ensemble, mais aussi des interrogations.« La Tunisie est-elle un pays exceptionnel ou un pays modèle ? », s'interroge l'ambassadeur William Taylor, président de l'Institut américain pour la paix. Ce à quoi le président Caïd Essebsi a répondu : « Nous sommes pour le moment l'exception, ce qui n'est pas notre souhait. Parce que notre réelle volonté est d'offrir un modèle que d'autres pays pourraient adopter et enrichir ». En quoi consiste cette « exception » ? Selon le constitutionnaliste Ghazi Gherairi, « cette exception tunisienne est d'abord civile, parce qu'à aucun moment de la transition, l'armée n'est intervenue dans les affaires politiques... et en dépit de périodes très critiques d'incertitudes, l'armée a résisté aux chant des sirènes représentées par des Tunisiens dépités qui demandaient à l'armée de « sauver le pays». C'est là une spécificité tunisienne dans le monde arabe « (voir notre journal de vendredi dernier). Soit mais peut on parler d'une transition réussie ? Pour Caïd Essebsi, « la Tunisie se trouve « au milieu du gué »... La Tunisie est confrontée depuis la révolution de 2011 à l'essor d'une mouvance jihadiste armée responsable de la mort de plusieurs dizaines de policiers et de militaires. Si vous (les hommes d'affaires américains) étiez venus nous voir il y a un an et demi pour nous dire que vous comptez investir en Tunisie, je vous l'aurais déconseillé. Aujourd'hui, la réponse est oui. Un nouveau système se met en place. Il n'est pas encore tout à fait abouti, mais il se réalise. Toutes les réformes sont amorcées à un degré avancé d'adoption. La vision est claire : faire de la Tunisie un pays moderne, ouvert, connecté à l'économie internationale ». Et il explique : « Grâce au consensus, il a été possible de dépasser la polarisation politique qui a marqué l'étape de l'élaboration de la Constitution entre islamistes et laïcs pour parvenir à la rédaction d'une Constitution pionnière à caractère civil. Ceci outre la mise en place des institutions de la IIe République à travers des élections législatives et présidentielle transparentes et la formation d'un gouvernement représentant une grande partie de la classe politique ». D'aucuns s'interrogent sur la solidité de ce consensus qui a abouti à une participation de quatre partis au gouvernement. Le citoyen tunisien, lui, ne voit rien venir et se trouve déboussolé devant la situation socioéconomique désastreuse de son pays. Un constat : le 14 janvier 2011 a bouleversé la société tunisienne. L'Etat est affaibli, les lois ne sont plus respectées, émergence de la violence, du terrorisme, des assassinats politiques, islamistes et salafistes font ce qu'ils veulent dans les mosquées et les écoles coraniques, recrutement de jihadistes pour la Syrie et la Libye, agressions mortelles contre les militaires et les forces de l'ordre, terrorisme, économie en déliquescence, entreprises à l'arrêt, grèves à répétition... On ne constate qu'une course effrénée et déclarée au pouvoir, balayant tout sur son passage. Même les organisations civiles et les syndicats s'y mettent. Ainsi en est-il de l'Ugtt, qui, délaissant son rôle essentiel de s'occuper de ses adhérents travailleurs, s'occupe de politique et veut être partie prenante dans chaque décision du gouvernement. Résultat : les récentes grèves sauvages à la Sncft et à la Steg, dénoncées par la centrale syndicale elle-même : « L'Ugtt est décidée à sanctionner les auteurs des grèves sauvages, a déclaré Samir Cheffi, secrétaire général adjoint de la centrale. Autant, nous appuyons les grèves légales et légitimes, autant nous rejetons les actions qui décrédibilisent les revendications légitimes des travailleurs ». Et il a précisé que la commission administrative va prendre des mesures contre des responsables syndicaux et notamment ceux de la Steg et de la Sncft, mesures qui pourraient aller jusqu'au gel de leurs activités ». Idem pour ce qui se passe à Gafsa où « les pertes de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) sont énormes et sont évaluées à 10 millions de dinars par jour, selon le ministre de l'Industrie. Et lorsque le gouvernement veut appliquer la loi, la centrale syndicale veut être consultée. Au vu de la situation très critique que traverse le pays, peut-on parler d'une transition réussie ? Le chef du gouvernement demande un délai d'une année pour que la situation s'améliore. Encore faudra-t-il restaurer le prestige de l'Etat et le respect des lois. Encore faudra-t-il que certains réduisent leurs appétits et leurs ambitions démesurées. Sans parler « des pêcheurs en eau trouble » qui ne savent que dénigrer et détruire.