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Cette arme magique dont on ne veut user
Publié dans Leaders le 21 - 12 - 2012

Si la Tunisie est en pleine guerre contre un passé tenace, elle l'est aussi contre elle-même; et c'est la plus décisive des batailles, de celles dont la perte est fatale. Nos élites ont l'arme magique en vue d'un triomphe assuré; mais elles ne veulent en user ! Et c'est l'une des difficultés de cette guerre contre soi qu'il faut gagner avant de triompher de celle engagée contre la pauvreté et pour la prospérité économique.
Samson en politique
Cette arme s'inscrit dans l'arsenal qu'impose l'état des rapports internationaux aujourd'hui en notre village global. La Tunisie faisant partie d'un ensemble comme un élément d'un système, elle ne peut y échapper; mais pour y assumer pleinement son rôle, ses devoirs et ses droits, elle doit revendiquer le statut que lui confère une telle présence.
La Tunisie est membre de fait comme de droit d'une union, celle de la Méditerranée, qui se devait d'être une Union majeure méditerranéenne et qui n'est plus, pour des raisons de politicaillerie européenne, qu'une Union mineure pour la Méditerranée.
Il n'empêche que notre pays reste une pièce maîtresse de cette zone géographique et son sort ne saurait ne pas intéresser légitimement les grands de ce monde. Ce que fit l'oncle Sam pour s'assurer une présence active chez nous, et ce dès que le peuple imposa à la dictature sous laquelle il croupissait sa Volonté par son fameux Coup du 17 décembre-14 janvier et que nous célébrons ces jours-ci dans une bien désolante morosité.
L'oncle d'Europe, dont les intérêts ne sont pas moins compromis en cette Tunisie officielle attirée par les chants de sirène du Golfe pour de mirifiques déserts de la pensée et de la foi, n'est toujours pas près d'empêcher la bascule dans le chaos comme si pareille issue pouvait servir ses intérêts véritables. Manifestement, l'Europe agit comme le héros biblique, préférant voir la Tunisie flirter avec l'intégrisme pour contrarier les visées américaines et espérer ainsi remettre en selle les élites occidentalisées, pro-européennes. Ce faisant, elle ne se doute pas qu'elle risque de perdre toute emprise sur un pays livré à un extrémisme échappant à tout contrôle et abandonner, par contrecoup, sa propre société aux griffes du mal.
Car si la Tunisie rate sa transition démocratique, c'est l'Europe qui en payera aussi le prix, voyant s'installer à ses portes un foyer durable de tensions, terreau des pires excès nourris des plus sévères désespérances. Ainsi, s'appliquant avec art à faire d'un pays paisible dans l'âme une boîte de Pandore, l'Europe ratera sa vocation qu'on vient pourtant de saluer avec un prix de Nobel, et qu'elle peut s'appliquer à mériter en changeant incontinent sa politique actuelle de gribouille.

Une vérité qui dérange
Rappelons aux mémoires courtes qu'hier encore, les instances européennes saluaient le dictateur tunisien déchu, l'assurant pompeusement, mais assez hypocritement, que tous les avantages de l'Union étaient garantis à la Tunisie, à l'exclusion de celui de l'adhésion. Bien évidemment, elles ne disaient rien sur la raison réelle de l'empêchement pour la Tunisie à franchir le pas de l'adhésion, se cachant derrière la feuille de vigne de l'appartenance géographique du pays.
C'est qu'il était évident pour les Tunisiens que le motif véritable de pareil veto était d'ordre culturel, ou disons encore cultuel; c'était la tradition judéo-chrétienne de l'Europe. Mais cela satisfaisait tout le monde : une Europe engoncée dans ses contradictions, avec de temps en temps une confusion réelle des valeurs, et une Tunisie livrée à une maffia au pouvoir dont les intérêts se suffisaient de l'état de dépendance du pays, se plaisant à y maximiser à outrance le danger islamiste pour faire durer sa prédation.
Or, aujourd'hui, le danger est réel d'un islam mal compris, intégriste au sens de xénophobe et non de retour au sens véritable de cette religion par essence humaniste. Et ce danger est d'autant plus grave qu'une expérience est en cours, qui peut réussir, faisant de la Tunisie l'exemple le plus original de l'assomption du nec plus ultra dans l'islam avec le meilleur dans la politique, la démocratie et le pluralisme.
On parlait hier de démocratie chrétienne et la Tunisie est en passe de vivre aujourd'hui une démocratie islamique authentique; certes, pas de l'ordre de celle à laquelle nous font penser aussitôt nos réflexes conditionnés, mais une véritable démocratie, ouverte à l'altérité, tolérante et relevant de son temps.
L'expérience en cours consiste moins, comme d'aucuns continuent de conseiller à tort, de faire sortir l'islam de l'islamisme que de faire rentrer l'islamisme dans l'islam. Il s'agit, bien évidemment, d'un islam authentifié par le soufisme, cet humanisme de grand format, et qui a su incarner l'esprit vrai de notre religionà un moment majeur de l'histoire arabo-musulmane.
Il n'est plus possible, aujourd'hui, de prendre le Coran pour ce qu'il n'est pas, le texte d'un passé magico-religieux et de la superstition; en cela, il n'est pas l'égal de la Bible, car il renvoie à une expérience vécue — et qui fut une épopée, — par le peuple où a eu lieu son épiphanie. Que nos élites éclairées se le disent donc une bonne fois pour toutes : l'islam n'est pas le résultat de ce processus de concrétion auquel ils se réfèrent inconsciemment, et qui est propre aux matériaux légendaires, fruits des errances de l'esprit humain !
Je démontre dans mes écrits, et notamment sur mon blog Tunisie Nouvelle République, à quel point on peut retrouver les thématiques les plus novatrices du temps présent en procédant à une lecture authentique de notre religion, comme le fait que l'homosexualité — cette question ô combien symbolique, témoin du degré de notre acceptation de la différence, âme de l'esprit démocratique — n'y est point interdite ou l'apostasie — autre indice de tolérance attestée — n'y est nullement criminalisée.
Notre intelligentsia ne doit pas reproduire les errements de celle des Lumières européennes; elle doit se référer à nos propres Lumières qui ne leur cèdent en rien, ayant alimenté même la Renaissance. Elle ne peut évacuer du champ du savoir la dimension essentielle de l'ontologie arabe musulmane. C'est à ce préjugé dogmatique que je m'attaque avec le renouvellement que je propose du questionnement de la foi en notre postmodernité.
Aujourd'hui, c'est un tel retour au riche legs de la spiritualité islamique qui risque de capoter en Tunisie si l'Europe, son plus proche voisin, continue de faire l'autiste et n'aide pas le pays à s'engager résolument et sans appréhension ni remords dans la voie de la nouvelle modernité politique. Comment? En ouvrant ses portes à l'adhésion de la Tunisie.
Retour sur un tabou
Les Européens ne doivent plus être « les idiots du village planétaire »,pour reprendre l'expression du ministre français, Arnaud Montebourg ! C'est que personne ne doute que l'avenir du processus démocratique actuel en Tunisie ne puisse se passer de relations bien plus consistantes avec l'Europe nécessitant plus de sérieux de la part de l'UE dans sa volonté affichée d'instauration d'une démocratie véritable au sud de la Méditerranée.
Au-delà du test pour l'Europe, un rappel à ses propres valeurs ainsi qu'une mise en garde contre l'abandon de la Tunisie aux démons extrémistes qui cherchent à s'en saisir, en faire un foyer de graves périls sur sa frontière sud, mon plaidoyer pour l'adhésion de la Tunisie à l'UE est aussi une évaluation de la sincère volonté du gouvernement tunisien à rompre avec ses références d'un autre temps afin de s'engager irrévocablement pour l'avènement en Tunisie d'une démocratie véritable dans le cadre d'un islam paisible que je nomme postmoderne.
Certes, on est bien loin, trop loin, de pareil objectif; mais ce n'est pas une raison pour ne pas l'indiquer en ces temps de doute, et surtout de démagogie et de désillusions, où les vérités ne sont plus bonnes à dire, où l'on marche sur nos têtes et à reculons.
Concevant l'acte politique dans sa noblesse comme un défrichement de chemin en éclaireur des pistes les plus prometteuses dans les dédales des jungles des intérêts et des arrière-pensées, je pratique l'optimisme comme un pessimisme raisonné; et pareil optimisme — un volontarisme en fait — est d'autant plus de rigueur que l'horizon est sombre, sinon menaçant, comme le démontre cette période censée être de festivités et qui est triste à mourir.
Or, l'essai, même maladroit, même naïf, est préférable à une abstention d'action, et bien pis de pensée, ce qui revient à une prime aux menées malfaisantes qui, elles, ne s'arrêtent jamais. Et quand on croit, comme tous les scientifiques sérieux aujourd'hui, à l'effet avéré de cette pensée qu'on appelle positive et qui est la concentration forte et déterminée sur un objectif précis, on ne peut plus ne pas s'y adonner avec force quitte à le faire en solitaire et dans le désintéressement, sinon la réprobation ambiante.
C'est qu'on néglige un peu trop l'importance de l'imaginaire dans la construction de nos perceptions, nos réalités les plus tangibles pouvant se révéler mythiques pour peu qu'on ne se décide pas à remettre en cause notre façon de les aborder, de les imaginer.
Penser à l'objectif et agir pour son advenue sans se laisser distraire par la distance qui nous en sépare revient inéluctablement à raccourcir une telle distance, la faire disparaître même! Et nous le voyons aux moments des bouleversements périodiques qui rythment l'histoire humaine. Ce qui est arrivéet reste à s'épiphaniser en Tunisie en est un exemple.
Plaidoyer pour la Tunisie en Europe
Je suis loin d'être le seul à avancer ce que d'aucuns prennent pour une hérésie; d'autres l'ont fait, ayant bien plus de qualité que moi. Je me limite ici à citer l'un d'eux, Sylvain Kahn, professeur d'histoire de l'intégration européenne à Sciences Po, en rappelant qu'il est l'auteur de Géopolitique de l'Union européenne et codirecteur du Dictionnaire critique de l'Union européenne.
Ce penseur émérite conclut ainsi un article publié au Monde, intitulé : Proposons à la Tunisie d'adhérer à l'Union européenne : « L'heure n'est plus aux dons et à la guerre anti-émigration. Avec les Tunisiens, il s'agit de conforter l'Etat de droit naissant, le dynamisme de la population et une économie sociale de marché libérée du népotisme, de la corruption et des monopoles prédateurs. Que l'UE place la Tunisie démocratique sur un pied d'égalité. Qu'elle lui propose d'adhérer. »
Bien sûr, il n'a pas manqué et il ne manquera pas des plumes pour s'y opposer, dénoncer une prétendue bêtise, quand elles ne font qu'étaler la leur, y compris probablement leur mauvaise foi.
Que disent-elles? Que la Tunisie dans l'UE, ce n'est pas sérieux ! Et elles citent le cas du Maroc qui a relevé le défi en déposant dans les années quatre-vingt sa candidature pour adhérer à la Communauté Economique Européenne et qui essuya un refus net en 1987 de la part des chefs d'Etat et de gouvernement européens.
Toutefois, il est possible de répondre à cela que, d'abord, le Roi du Maroc ne se faisait pas d'illusions quant à la réponse négative, mais agissait surtout pour des considérations de politique intérieure; et qu'en plus, il a réussi à susciter le débat et à en profiter pour glaner quelques avantages, couronnés par l'accès du Maroc, en premier, au statut d'associé avancé que la Tunisie, malgré ses avancées démocratiques récentes, peine à concrétiser. On doit aussi rappeler à ces esprits à la courte vue que la situation d'aujourd'hui n'est plus la même et que la géopolitique commande désormais à l'Europe de repenser ses rapports avec ses voisins du sud si elle veut y garder pied.
Pour réfuter la prétention pour un pays du Maghreb de rejoindre un jour les 27, on nous renvoie aussi à l'article 49 de la constitution européenne, stipulant comme condition pour postuler à l'adhésion à l'Europe le critère du respect des valeurs visées à l'article 2 et de l'engagement à les promouvoir. Or, il ne s'agit rien de moins ici que d'un argument ad hominem, puisque le meilleur moyen de respecter pareilles valeurs et d'encourager le processus en cours en Tunisie.
Certainement, on ne manque toujours pas, pour dénoncer le prétendu peu de sérieux de notre demande, de revenir à la sempiternelle ritournelle de la non-appartenance de la Tunisie à l'Europe. Toutefois, on se garde généralement de reconnaître qu'on ne dispose d'aucune définition juridique de ce qu'est un pays européen, terme utilisé dans l'article 49.
Certes, comme le dit Moreau Defarge de l'Institut Français des Relations Internationales (IFRI), « il existe une définition schématique pour dire que c'est un territoire qui irait de l'Atlantique à l'Oural. Le sud de la Méditerranée n'en a jamais fait parti ». Là encore, c'est la conception surannée qui prédomine en un monde qui a changé, où la frontière la plus pertinente est celle de l'adhésion aux valeurs du pluralisme et de la démocratie. On n'appartient plus, en postmodernité, à une aire géographique, on relève d'une communauté de pensée et de valeurs. On ne parle plus d'appartenance, mais d'apparentement. Et il ne s'agit de rien d'autre que d'aider la Tunisie à s'installer en démocratie en lui ouvrant les portes de l'Europe.
Il ne nous est plus possible, sauf à manquer de sérieux, d'être aveugle aux réalités actuelles du monde dans la totale imbrication de ses différentes parties. La seule nationalité qui vaille aujourd'hui est celle de la démocratie, et le seul territoire pertinent est non pas géographique mais idéologique. Sinon, on verse dans un quasi-racisme politique fondé sur l'appartenance à un continent, comme on prétendait naguère distinguer les humains par leur prétendue race.
Pour revenir à Sylvain Kahn, notons qu'il évoque à juste titre les exemples expressifs de la Grèce, du Portugal et de l'Espagne qui, par la perspective d'une adhésion à la CEE, ont vu leurs efforts soutenus et encouragés dans leur difficile transition démocratique à la fin des années soixante-dix au sortir de la dictature. Bien sûr, diraient les ergoteurs, l'européanité de ces pays ne laissait aucun doute; mais nous leur répondons que c'était un temps révolu, un monde englouti. Aujourd'hui, l'européanité véritable est ce que je qualifierais du néologisme de « démocratialité»; sinon ce sont les intégrismes de toutes sortes qui mettront à nu, à leur manière, la conception actuelle antique et obsolète renouant sans vergogne avec un européocentrisme mort depuis longtemps.
Evidemment, on ne peut ici ne pas évoquer le cas de la Turquie qui a vu le Conseil européen autoriser, en 2004, l'ouverture de négociations officielles en vue de son adhésion. Accepter ainsi la candidature d'Ankara était-ce donc seulement lui reconnaître le statut d'Etat européen? N'a-t-on pas fait qu'ancrer la Turquie dans le système démocratique mondialnonobstantl'argument que le pays a été considéré comme juridiquement européen?
Je préfère assurément la première raison, et c'est celle qui compte aujourd'hui, bien plus que le fait qu'une partie du territoire turc soit située dans l'Europe géographique. Car s'arrêter à cet argument et oublier la dimension géostratégique, c'est faire montre d'inconscience et d'irréalisme, sans parler de cet ergotage revenant à tenir des comptes de boutiquier politique quand il est question, plus que jamais, de paix et de solidarité mondiales.
L'Europe est d'ailleurs consciente de sa dimension méditerranéenne; et son initiative relative à 'Union Pour la Méditerranée n'a fait que le confirmer, même si l'idée initiale a été vidée de toute pertinence, se transformant en cache-sexe cherchant à retarder l'inéluctable. Mais, rappelons-le encore, tout cela se passait avant la révolution tunisienne et le printemps des peuples arabes qui a suivi et qui ont changé radicalement la donne.
Il reste enfin à se demander où est l'idéalisme dans l'attitude européenne actuelle, où est passé l'esprit de conquête de l'Europe qui a fait d'elle ce qu'elle est devenue? Assurément, elle renouera avec pareil esprit en osant offrir à la Tunisie ce que les dirigeants tunisiens n'osent lui demander. Car si la Tunisie, si proche, si familière et réellement paisible dans l'âme s'installe dans la liberté, ce sera tout simplement l'épiphanie des valeurs des droits de l'Homme à l'échelle arabe, ces valeurs qui sont censées être l'âme de l'Europe, notamment depuis la décolonisation et le Traité de Rome.
Il est sûr, en effet, que la perspective de l'adhésion de la Tunisie à l'Europe modifiera profondément non seulement la nature de l'UE, mais aussi celle de la géostratégie dans le monde, et en Méditerranée en premier lieu. La perspective d'une adhésion similaire tentera, à n'en pas douter, plus d'un pays en Méditerranée pour agir activement afin de répondre aux critères démocratiques exigés par l'Europe. Que belle sera alors la revanche de l'Europe sur le rival américain qui lui a damé le pion sur ce qu'elle croyait être sa chasse gardée !
À l'Europe de ne plus perdre trop de temps pour réaliser que le monde a changé et que les concepts obsolètes du passé ne sont, sous leurs dehors cérémonieux, que la face hiératique d'une momie. Et il n'est que temps de comprendre que les extrémismes se nourrissent de pareille inconscience doublée d'une navrante arrogance fondée sur un égoïsme national suicidaire.
Que l'Europe comprenne qu'elle peut faire en sorte que la Tunisie devienne la vitrine d'un pays où cohabitent paisiblement démocratie et spiritualité, liberté et religion, attachement à une identité et ouverture à l'altérité, une authenticité revendiquée dans une communion assumée à l'œcuménisme.
Le merveilleux scientifique
Ayons le courage de le dire, quitte à passer pour un illuminé ou un hurluberlu : ce qui se joue en Tunisie, aujourd'hui, ce n'est rien de moins que le destin du monde, l'apparence future des rapports entre nations et cultures. La Tunisie est aujourd'hui le laboratoire de ce qui se peut faire de meilleur en politique hic et nunc.
Que les véritables démocrates saisissent le sens et la portée de ces paroles qui sont moins visionnaires que trempées dans l'humus humain quand il sait s'élever au-dessus d'une condition voulue réductrice alors qu'elle est en mesure de toujours se sublimer, la matérialité, les intérêts contingents se spiritualisant, faisant des idéaux, de la transcendance une immanence assumée, un divin social postmoderne.
En Tunisie, la démocratie ne se stabilisera que grâce à la renaissance de l'espoir chez le peuple; et il peut ne dépendre, bien plus qu'on n'ose le croire, que d'un geste, pour peu qu'il soit éminemment symbolique.
Ce que je propose est un acte à double détente. D'abord, la liberté de mouvement à octroyer aux Tunisiens dans le cadre d'un visa biométrique de circulation qui ne cède en rien aux considérations majeures de sécurité européenne. Ensuite, l'encouragement des efforts actuels pour l'assomption d'un islam humaniste, pluraliste et tolérant articulée nécessairement à la perspective de l'adhésion à l'Europe, synonyme de voie balisée vers la démocratie.
On verra alors que la force de croire au meilleur fera sortir nos jeunes désabusés des griffes de l'obscurantisme pour la mise en œuvre d'une autre façon de croire, en totale symbiose avec les exigences d'une démocrate de notre temps. Aider à l'éclosion d'un pareil islam, c'est barrer la route à toutes les déviations possibles vers la haine et l'exclusion de l'autre, et qui doit commencer, pour l'Europe, par la rupture avec sa propre politique d'exclusion envers les pays de la rive sud du lac commun qu'est la Méditerranée. La Tunisie lui donne l'occasion de le faire et le Nobel qu'elle vient d'avoir l'y incite.
Car on doit se persuader qu'actuellement, en Tunisie, il n'est question que de retrouvailles avec le merveilleux scientifique, pour reprendre le titre d'un ouvrage parlant de la thaumaturgie de Jésus Christ et publié en France à un moment où toute l'Europe était acquise au courant romantique allemand à la faveur de la redécouverte du domaine magico-religieux antique sous un nouveau jour, le faisant entrer dans celui de la psychologie et des sciences naturelles.
En notre pays, il s'agit moins d'une réinterprétation radicale de notre corpus religieux que d'une interprétation spirituelle, menée selon son esprit, libérée de sa lettre, et donc authentique, car conforme à la lecture qu'en faisaient les premiers musulmans à un moment où la lettre du Coran était en harmonie avec son esprit. Aujourd'hui, les temps ayant changé, mais l'esprit de l'islam demeurant le même, étant éternel, c'est à la lumière de celui-ci que l'on doit lire la lettre du Coran, comme le faisait le Salaf, puisqu'il est pour tout temps, valable sous toute latitude; ainsi s'affirment indubitablement sa scientificité et son universalité. Ainsi l'islam reste la révolution qu'il fut et qu'il est, un islam de son temps, l'islam postmoderne.
Nous sommes à un moment historique qu'il ne faut pas rater. Pour nos propres élites, surtout politiques, pareil moment commande d'avoir une faculté d'intuition morale quasi mystique autorisant cette capacité à sentir l'âme du peuple. De grâce, que toute conscience libre et honnête agisse pour ne point tuer le rêve qui n'a jamais été aussi loin de l'illusion, si proche de la réalité ! Soyons donc de vrais politiques compréhensifs faisant un art de notre pratique, osons faire possible l'impossible !


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