Mourad Guellaty estime que « le problème, c'est qu'en face d'Ennahda, l'opposition est très divisée. Elle essaye pour l'instant de se réunir, mais je pense que cette alliance explosera après les élections ». Interrogé par Pauline Hoffman pour Francetv Info (Groupe France Télévision). Il considère que : « Seul le parti Nidaa Tounès peut faire contrepoids. Mais son fondateur, Béji Caïd Essebsi, risque de ne pas pouvoir se présenter car il est trop âgé ». Au sujet de la pression exercée par les manifestations et sit-in sur le parti au pouvoir, Guellaty, déclare : C'est une chimère de dire qu'Ennahda va s'effondrer. Les manifestations fragilisent le parti, mais ce n'est pas sa fin pour autant. Pour l'instant, les islamistes s'accrochent au pouvoir ». Interview. Francetv info : Les manifestations des derniers jours sonnent-elles la fin d'Ennahda ?
Mourad Guellaty : C'est une chimère de dire qu'Ennahda va s'effondrer. Les manifestations fragilisent le parti, mais ce n'est pas sa fin pour autant. Pour l'instant, les islamistes s'accrochent au pouvoir. Ben Ali a été jeté dehors par la rue, donc si la pression des manifestants s'accentue, Ennahda ne pourra pas rester. Mais 40 000 personnes, ce n'est pas suffisant pour faire tomber un régime.
De plus, Ennahda garde un socle très solide au sein de la population. Un quart des Tunisiens continuent à le soutenir, pour une question d'identité, d'islamisation de la société. Mais il est vrai que le parti islamiste a beaucoup perdu dans l'exercice du pouvoir, beaucoup de ceux qui ont voté pour lui se sont détournés aujourd'hui. La raison est simple : l'économie s'est effondrée pendant ces deux ans. La situation financière des plus pauvres s'est aggravée, or l'électorat populaire constitue une base importante pour le mouvement islamiste.
La décision de suspendre l'Assemblée nationale constituante n'a-t-elle pas profondément ébranlé les assises d'Ennahda ?
Si, politiquement, Ennahda est très affaibli. L'Assemblée nationale constituante (ANC) a été suspendue par le président de la coalition, la troïka. C'est un coup dur car il s'agit d'une initiative personnelle du président de cette troïka. Il était pourtant un allié des premiers jours, connu pour être de centre-gauche. Son soutien donnait une crédibilité à Ennahda. A cela s'ajoute que 62 députés (sur 217) ont suspendu leur participation à l'ANC. La légitimité de l'Assemblée, où Ennahda est majoritaire, est désormais en question.
Au fond, était-ce une bonne idée pour Ennahda d'arriver au pouvoir juste après la révolution ?
Il aurait mieux valu pour le parti qu'il ne se fasse pas élire directement et qu'il attende un peu. En deux ans, son électorat a sombré et certains de ses opposants se sont ragaillardis. Mais Ennahda était pressé et s'est jeté sur le pouvoir. Son calcul était simple : une fois élu, il pensait infiltrer les centres de décision. C'est ce qu'il a fait, mais cela s'est retourné contre lui. Ses dirigeants ont mis en poste des personnes incompétentes, incapables d'améliorer la situation économique du pays, et cela ne trompe personne en Tunisie.
Le parti islamiste est-il obligé à présent d'organiser des élections ?
Les élections sont un vrai dilemme pour Ennahda. Si les islamistes organisent un scrutin rapidement, ils se mettent en danger, car les sondages ne leur donnent pas plus de 25-26% des voix. Mais plus ils restent au pouvoir, plus ils perdent en popularité. Dans tous les cas, des élections sont attendues dans les prochains mois [pas avant avril 2014, selon d'autres experts]. Une fois la Constitution adoptée, Ennahda devra lâcher le pouvoir. Et cela ne devrait pas tarder, puisque le texte est quasiment finalisé.
Le problème, c'est qu'en face d'Ennahda, l'opposition est très divisée. Elle essaye pour l'instant de se réunir, mais je pense que cette alliance explosera après les élections. Seul le parti Nidaa Tounès peut faire contrepoids. Mais son fondateur, Béji Caïd Essebsi, risque de ne pas pouvoir se présenter car il est trop âgé.