Beji Caïd Essebsi (BCE) a fait lors de son dernier entretien télévisé une déclaration tonitruante - comme il sait le faire-, il dit en substance: «JE pense qu'Ennahdha n'appartient pas aux frères musulmans». BCE qui a le sens de la formule ne faisait pas dans l'humour! Une petite phrase qui a eu de grands effets, elle a causé sinon de la gêne du moins des dommages collatéraux. Les réseaux sociaux achevèrent d'amplifier l'onde de choc. Ils se sont déchaînés, qui condamne, qui exprime sa déception, qui spécule, quand d'autres se sont tus, pris entre stupeur et incompréhension. Les protestations fusèrent avec des conclusions hâtives qui tinrent lieu d'analyse. On a assisté à des effets similaires à la suite d'une rencontre d'une ostensible discrétion entre les deux «diabolisés» BCE et Ghannouchi que d'aucuns qualifièrent de flirt contre-nature dans un hôtel parisien. Un constat frappant: les partis d'opposition, Nidaa compris n'ont pas commenté la sortie du vieux briscard, silence gêné des amis, prudence de mise pour d'autres qui ne font pas mystère de la finesse politique de celui qui pourrait derrière ses propos leur tendre un piège. Certains voyaient dans cette déclaration la préfiguration d'un pacte entre «deux diables» en vue de sceller le sort des prochaines élections sous forme d'une cohabitation Nahdhoui-nidaiste. Conscients que ni l'un ni l'autre ne pourrait disposer de majorité pour gouverner, les deux pôles s'entendraient autour d'une coalition postélectorale, ils écarteraient par la même tous les autres à gauche et à droite de l'échiquierpolitique, laissant ainsi apparaitreune bipolarisation partisane de bonne politique dans les vieilles démocraties. C'en sera ainsi fini du CPR et du Ettakattol, resterait aux autres petits partis satellites de se soumettre ou de se contenter de s'opposer mollement avec leurs faibles moyens. La thèse semble séduisante. Toutefois, rétorquent les puristes «canaux historiques», le mariage de la carpe et du lapin est peu fécond, il ne pourrait au mieux qu'engendrer un monstre. BCE n'est pas coutumier de l'improvisation, ses propos ne sont pas sortis de leur contexte comme aimeraient le défendre maladroitement quelques afficionados. Il ne s'agit pas d'une opinion expriméeà l'emporte-pièce, BCE l'a volontairement formulée dans le contexte, pesée, envoyée en tir groupé avec accusé de réception à plusieurs destinataires dont Ghannouchi en personne. Quels seraient les effets attendus d'un tel soutien improbable qui prend à contre-pied amis comme adversaires politiques? Ennahdha est un parti islamiste sorti affaibli d'une expérience gouvernementale qui a lamentablement échoué sur les plans :économique, social, sécuritaire. Désormais dépourvu du soutien des frères Egyptiens neutralisés par le retour des militaires, il est fragilisé par ses dissensions internes, troublé par les guéguerres fratricides etdéfections, celle de l'ex 1erministre Jbali précède d'autres démissions. La LPR, soutien de poids est désormais sous pression du nouveau gouvernement, certains frères s'en émeuvent. Le parti de BCE soutenu par les autres partis de l'opposition et de la société civile a imposé à Ennahdha de se retirer du gouvernement. BCE est désormais convaincu que l'équilibre des forces politiquesqu'il aréussi à imposer en moins de trois ans lui donne la légitimité du fondateur et autorise une alternance en faveur du rassemblement qu'il a voulu. La déclaration de BCE n'apas visé la Troïka, il n'est pas du genre à gaspiller des cartouches pour tirer sur une ambulance. Mais alors pourquoi BCE viendrait-il au secours de son ennemi intime? Un début de réponse vient justement du contexte qui a changé de bénéficiaires. Un état de disgrâce a frappé la Troïka – Ennahdha en particulier- un semblant d'état de grâce précaire conforte le gouvernement Jomaa. Deux fragilités qui ouvrent un espace à Nidaa pour continuer de peser sur la l'agenda politique et donner le tempo. L'arrivée du gouvernement Ben Jomaa a fragilisé davantage la position d'Ennahdha, malgré des précautions sémantiques et des tournures polies, le 1er ministre a affirmé que l'état de l'économie et des finances est catastrophique, comprendra qui pourra qui a mené le pays dans ce marasme. Tout le monde a compris. C'est dans ce contexte de départ d'Ennahdha qui a quitté une partie du pouvoir sur la pointe des pieds, que le nouveau gouvernement pourrait être tenté par s'émanciper totalement du poids d' Ennahdha encore prégnant, en prenant l'opinion à témoin. Mr BCE le sait bien, il se saisit de l'occasion pour mettre Ghannouchi dans l'embarras lui donnant le satisfecit d' islamiste modéré «democratico compatible», répétant à l'envi que Nidaa n'exclut aucun parti qui respecte les règles du jeu démocratique. C'est dans ce même contexte que BCE appela Mr Ben Jomaa à appliquer la feuille de route dans sa lettre et dans son esprit. Ne vient-il pas de déclarer que le gouvernement Ben Jomaa a avancé sur la route mais devrait regarder la feuille attentivement du côté des désignations au ministère de l'intérieur. Cette formulation a aussi un sens dans la bouche du BCE, elle est directement lié à sa déclaration «trop sympathique pour être vraie» vis-à-vis des Nahdhaouis. Le message subliminal viserait à élargir les divergences entre les desideratas de Ghannouchi et le volontarisme prudent de 1er ministre. Le ministère de l'intérieur occupé par Mr Ben Jeddou est un enjeu majeur. Couper le cordon sanitaire pro nahdhaoui autour de ce ministèreserait plus conforme à l'esprit de neutralité des organes de sécurité et de justice appelé par la feuille de route. L'éventuelle désignation de Ghannouchi comme chef (Morchid) de l'internationale islamiste n'a pas échappé à BCE qui se saisit de l'aubaine pour enfoncer un coin entre la droite et la gauche de Cheikh, de lui infliger le supplice d'Ecartèlement. La déclaration «bienveillante» de BCE s'apparente à la corde qui soutient le pendu. Le baiser de la mort. Ennahdha comme Ghannouchi semblent piégés.Pour preuve, ils n'ont pas commenté cette déclaration. Comment en irait-il autrement ? Soit Ghannouchi confirme qu'Ennahdha n'appartient pas aux frères musulmans et risque de s'aliéner une grande frange de ses sympathisants et se couper de ses soutiens étrangers (Qatar, Turquie), soit, il rejette l'affirmation de BCE et se déclare solidaire de ses frères considérés comme mouvement terroriste par l'Arabie Saoudite. Le dilemme est cornélien. BCE ne serait pas mécontent de semer la zizanie dans un parti en proie depuis des mois à des déchirements intestinaux. Par ricochet, A.N. Chebbi,l'un des premiers à théoriser la normalisation des rapports avec Ennahdha se trouve spolié d'un fonds de commerce qu'il pensait le sien en propre. Cette déclaration est aussi un bon test pour évaluer l'attelage nidaiste, avant de partir en campagne on réunit son camp, et pour se faire il faut s'assurer de la loyauté des siens. Le radeau a tenu. Quelques semaines se sont écoulées depuis que cette déclaration a été formulée, il ne s'est rien passé d irréversible, le coup semble avoir atteint ses cibles à divers degrés. L'absence de réaction des protagonistes autorise le stratège à avancer d'autres pions. Il est fort à parier que d'autresballes sont le barillet , ils partiront au moment que le chef jugera opportun . Pas contré, j'avance! En politique c'est celui qui parle le premier qui a souvent raison parce qu'il donne le ton,oriente les débats vers les champs où il est le mieux armé. Les semaines qui viennent montreront si le coup assené par le vieux puncheur était imparable, pour l'heure tous semblent avoir encaissé, les surfeurs sur Facebook sont passés à autre chose. Quitte ou double? Dans tous les cas ,c'est bien joué! Mohedine Bejaoui Tags : Ennahdha Rached Ghannouchi Beji Caïd Essebssi Troïka Mehdi Jomaa Nidaa Tounes CPR Ettakattol