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Kalthoum Meziou : Egalité dans l'héritage dans le droit national et comparé
Publié dans Leaders le 07 - 02 - 2019

La visite d'Etat effectuée par le président Caïd Essebsi à Malte les 5 et 6 février 2019, a été marquée par une conférence de haut niveau sur l'égalité des genres. Organisée à Malte le 6 février 2019, par l'Académie méditerranéenne des études diplomatiques (Medac), elle avait réuni en invités d'honneur du côté tunisiens les Professeurs Kalthoum Meziou et Slim Laghmani, ainsi que Me Bochra Belhadj Hmida, députée (El Machrou) et présidente de la Colibe.Ci-après la conférence donnée par le Professeur Meziou, intitulée : Le renforcement de l'égalité de genre. Egalité dans l'héritage dans le droit national et comparé.
Une perspective historique révèle qu'en Orient comme en Occident, l'inégalité des sexes était constamment adoptée comme fondement de l'organisation familiale et sociale. L'émergence du principe d'égalité dans le droit de la famille s'est faite tardivement, elle a accompagné les bouleversements sociaux et économiques qui se sont accélérés à partir du 19em siècle et a profondément transformé la perception juridique de la famille.
Le concept d'égalité en matière d'héritage est encore plus récent. Historiquement, différents systèmes reproduisent différents types d'inégalité. Ainsi les privilèges de masculinité, de primogéniture, de premier lit ont longtemps été consacrés dans la plupart des pays. C'est seulement à partir de la révolution française que l'on commence timidement à repenser, en Occident, le système successoral sur une base égalitaire. Plus tard, une fois le principe d'égalité admis, le privilège de masculinité et le droit d'ainesse sont abolis, les discriminations entre héritiers de même rang sont balayées ; au terme de l'évolution, à partir de la deuxième moitié du 20em siècle, il n'y a plus de différence fondée sur le genre, la religion, la race ou la naissance. Mais les pays de tradition juridique musulmane sont restés longtemps imperméables à ce principe.
Dans le milieu où l'Islam est né et s'est développé, la prééminence accordée au masculin correspondait au modèle patriarcal et à l'ordre social patrilinéaire dominant. Alors que l'Islam avait apporté au moment de la Révélation une amélioration de la condition féminine en donnant certains droits aux femmes, en limitant la polygamie, en leur accordant une part successorale ce qu'elles n'avaient pas auparavant, alors que ce changement aurait pu, aurait du, être considéré comme un point de départ pour des avancées dans le sens d'une plus grande égalité… la conjugaison de l'Islam et des coutumes existantes aboutit à des constructions doctrinales cristallisant une situation qui va perdurer pendant des siècles, une situation qui consacre une condition inférieure généralisée des femmes. Ce n'est qu'au milieu du 19em siècle que des voix s'élèvent appelant à la contextualisation de l'Islam et à une lecture évolutive des textes religieux. Et au 20em siècle dans les pays arabes qui se dotent d'une constitution, le principe d'égalité est affirmé.
Des évolutions, timides il est vrai, ont dès lors pu être constatées pour accorder quelques droits aux femmes mais ces évolutions n'ont point concerné le droit des successions. Dans cette matière, les données scripturaires ne se contentent pas d'indications générales et ne se ramènent pas à des principes d'actions, elles entrent dans le détail et laissent apparemment peu de place à l'interprétation. L'idée qu'il s'agit de règles intangibles auxquelles il convient de se plier est fortement ancrée dans les esprits. Pour la plupart, la question relève du dogme. Aussi, partout dans les pays arabes, du Maghreb au Machrek, les législations reproduisent les solutions du droit musulman et celles-ci sont profondément inégalitaires.
I-Droit musulman
Le schéma en droit musulman est bien connu. Les règles de dévolution sont impératives, l'actif successoral se trouve nécessairement réparti selon des règles préétablies entre les membres de la famille.
Ces règles établissent différentes inégalités en raison du genre. Le cercle des successibles est plus large pour les hommes que pour les femmes alors que les héritières sont strictement déterminées par la loi, les agnats, c'est-à-dire les hommes parents par les hommes, sont héritiers à l'infini. Ainsi, en l'absence de descendants et de collatéraux directs frères et sœurs, l'oncle, le neveu, les cousins éloignés peuvent hériter alors que la tante, la nièce et la cousine se trouvent exclues de la succession. Dans d'autres cas, des agnats éloignés se trouvent en concours avec des femmes plus proches. Si le défunt laisse un fils, celui-ci hérite de la totalité de la succession, s'il laisse une ou plusieurs filles, elles seront concurrencer par les agnats, oncles cousins, neveux…Enfin, à vocation successorale égale et sauf rares exceptions, les hommes héritent du double de la femme, ainsi en est-il pour le fils et la fille, l'époux et l'épouse, le frère et la sœur, l'inégalité en raison du genre est flagrante.
Ces règles ne sont pas neutres, la dévolution successorale traduit nécessairement un mode d'organisation sociale, elle traduit une certaine conception de la propriété et de la famille. Expression des devoirs de l'individu envers sa famille, la succession doit se répartir selon certaines règles. Il s'agit de conférer aux proches des parts, celles qui correspondent pour chacun à son statut dans le groupe familial. Dans le droit musulman, ce sont les agnats qui perpétuent la famille et son patrimoine, c'est envers eux que l'individu a des devoirs. Cette vision correspondait bien à la société dans la péninsule arabique au temps de la Révélation, elle demeure cependant encore en place, de nos jours, dans tous les pays arabes en dépit des évolutions sociales constatées ici et là. Les inégalités en raison du genre telles que décrites précédemment sont toujours en vigueur dans tous les pays arabes. Le législateur tunisien a, quant à lui, apporté un changement.
II-Droit tunisien
En 1956, le Code du statut personnel est promulgué, il constitue, à plus d'un titre, une véritable révolution. Trois réformes en particulier bouleversent le droit de la famille, le consentement de la fille à son mariage, l'interdiction de la polygamie et l'exigence pour la dissolution du mariage d'un divorce nécessairement judiciaire. Le législateur fait de l'émancipation féminine le levier de sa politique moderniste et tourne la page de la famille traditionnelle. Mais s'agissant de successions, il marque le pas, il reprend les règles classiques du droit musulman, ses mécanismes, ses catégories, les différentes quotes-parts et consacre l'inégalité en raison du genre.
Par la suite, l'action du législateur se caractérise par un interventionnisme marqué dans le droit de la famille, le législateur persévère sur la même voie, différentes réformes perpétuent la même politique législative, renforcement de la famille conjugale, tendance vers l'égalité des époux, protection de l'enfant, mais en matière de succession il n'intervient qu'une seule et unique fois en 1959. Cette intervention est à la fois limitée et importante. Limitée car elle ne vise qu'une seule situation, désormais, en l'absence de descendance masculine du défunt, les filles et les petites filles ne sont plus concurrencées par des agnats plus éloignés, elles ont droit à la totalité de la succession mais l'inégalité en raison du genre demeure et elle est assumée par le législateur. A cinq reprises, il affirme dans le Code que les femmes hériteront avec des hommes "sur la base du principe selon lequel l'héritier de sexe masculin a une part double de celle attribuée à un héritier de sexe féminin". La réforme est néanmoins importante. Le législateur réorganise en fait les priorités au sein de la famille, il affirme désormais que la classe des descendants même s'il s'agit de femmes prime la classe des collatéraux même s'il s'agit d'hommes. Ce faisant, il ouvre une brèche dans le fondement agnatique des successions devenu totalement anachronique. Mais il s'agit seulement d'une brèche, il en résulte un hiatus dans le système juridique tunisien entre le droit successoral et le reste du droit de la famille, il en résulte la juxtaposition dans le droit tunisien de deux types de famille, la famille agnatique et la famille conjugale. Soixante ans après la promulgation du Code du statut personnel, il est temps d'agir.
III- Proposition de loi
Aussi Monsieur le Président de la République a-t-il chargé une commission de préparer un rapport concernant les réformes législatives qu'il conviendrait d'adopter pour se mettre en accord avec la Constitution du 27 janvier 2014 et avec les engagements internationaux de la Tunisie, Constitution et engagements qui protègent les libertés individuelles et affirment tous un principe d'égalité. Après la fin des travaux de la Commission, il a pris l'initiative d'un projet de loi concernant les successions. Deux traits caractérisent ce projet, l'urgence et la prise en considération du contexte sociopolitique.
L'urgence commande une réforme en deux étapes. La première consiste à assurer rapidement l'égalité entre les héritiers les plus proches, les descendants, les ascendants, les époux et les frères et sœurs, ce qui constitue, en fait, la grande majorité des cas. Dans une étape ultérieure, il conviendrait de reprendre l'ensemble du droit successoral, la refonte devant se faire en écartant le système de l'agnation et en mettent en œuvre le principe d'égalité, ce qui est techniquement plus compliqué et demande plus de temps pour sa mise en œuvre.
Le contexte sociopolitique incite, quant à lui, à la prudence. Le législateur se doit d'apprécier le degré de réceptivité de la société pour procéder à un véritable changement au moindre cout social. L'égalité pure et simple peut paraitre trop radicale aux yeux de certains. Le système retenu permet l'affirmation de l'égalité mais aménage la possibilité de l'écarter. Des règles égalitaires sont prévues qui deviennent le droit commun. Mais le projet de lois laisse en place les règles anciennes et prévoit une option. Il permet à toute personne d'écarter l'application des règles nouvelles fondées sur l'égalité et lui permet d'affirmer sa volonté de faire appliquer à sa propre succession les règles anciennes. Toute personne peut ainsi régler sa succession en fonction de ses convictions. Il suffit pour cela d'en faire une déclaration par devant notaire. L'égalité devient ainsi la règle et l'inégalité l'exception.
Certes, l'on aboutit ainsi à un système dualiste, les mêmes règles ne s'appliquent pas à tous et les successions ne sont pas toutes régies par les mêmes dispositions, certes cette solution fait prévaloir en cas d'option pour l'application des règles anciennes, les convictions personnelles sur le droit à l'égalité prévu par la Constitution et les engagements internationaux , mais c'est bien cette démarche qui permet de faire des pas de plus sur le chemin de l'égalité.
Le projet de loi est aujourd'hui devant l'Assemblée des Représentants du Peuple, son adoption constituerait un moment aussi fort que la promulgation du Code du statut personnel. Une fois adopté, ce texte doit logiquement amener à la reforme totale du droit des successions, il doit amener plus tard à une refonte totale du droit de la famille.
Mais ses répercussions ne se limitent pas à la Tunisie, déjà le simple projet de lois suscite des débats parfois houleux dans le monde arabe, l'adoption de la réforme produirait des ondes de choc dans les systèmes juridiques de nombreux pays. C'est que, à tort ou à raison, la question de l'égalité successorale pose et repose de façon paroxysmique, l'obsédante question des rapports du droit positif et du droit musulman, question qui, pour beaucoup, n'est pas définitivement tranchée.


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