«Les Etats-Unis d'Amérique considèrent la Tunisie comme un partenaire démocratique important et continueront à lui apporter un soutien plus substantiel et à long terme.» C'est ce qu'affirme l'ambassadeur américain à Tunis, Donald Blome, dans une interview exclusive accordée à Leaders. S'agissant de l'appui des Etats-Unis aux négociations que la Tunisie mène actuellement avec le Fonds monétaire international, Washington estime que « ce dialogue est crucial » et qu'il bénéficiera de son soutien. Il appartient cependant à la Tunisie, alors que le temps se fait plus court et plus pressant, de relever ses défis économiques, de changer de modèle et d'engager les réformes nécessaires. L'entente entre le gouvernement, l'Ugtt et l'Utica, auxquels il conviendrait d'associer la société civile, enverra un signal fort de crédibilité à l'adresse des Etats-Unis et des bailleurs de fonds. Si l'ambassadeur n'a pas donné de réponse à la question d'une nouvelle garantie financière américaine à la Tunisie pour lui permettre de sortir sur le marché financier international, il a tout de même souligné que l'examen de cette question est lié à l'avancement des réformes. Le message américain est clair : des partenaires de longue date et à long terme, mais consolidez votre entente, changez de modèle, engagez des réformes. Notre soutien en sera plus fort. Interrogé sur la prochaine session du dialogue stratégique entre les deux pays, l'ambassadeur Blome a indiqué qu'aucune date précise n'a encore été fixée. Quant à l'invitation de la Tunisie au Sommet de la démocratie promu par le président Biden, rien n'est encore annoncé au sujet de l'organisation de cette rencontre, a-t-il indiqué. La menace terroriste persiste en Tunisie, provenant de diverses sources, relève le diplomate américain, mais le pays a accompli des avancées significatives en renforçant ses capacités dans la lutte contre le terrorisme, notamment en matière de surveillance des frontières et leur protection. Il a annoncé qu'une troisième phase du système de surveillance électronique et des barrières est amorcée. Tout en se félicitant de la collaboration étroite menée entre la Tunisie et les Etats-Unis au sein du Conseil de sécurité, l'ambassadeur américain a déclaré que les deux pays œuvreront davantage ensemble sur des questions de paix et de changements climatiques. La restauration de l'aide américaine aux Palestiniens (235 millions de dollars) constitue, selon l'ambassadeur, un signal fort et un premier pas dans un changement significatif. Au sujet de l'Iran, les Etats-Unis l'accusent d'être le premier Etat qui soutient le terrorisme dans la région et s'imposent le devoir d'y faire face. Quant à la Chine, considérée comme« un acteur économique significatif » et «un partenaire », « elle suscite de nombreux défis, non seulement pour les Etats-Unis mais aussi pour de nombreux autres pays... Là où elle intervient, elle laisse une série de déceptions ». L'ambassadeur Donald Blome reste optimiste quant à l'avenir de la Tunisie. Tant qu'elle s'adapte, comme les autres sociétés qui en tireront le plus de bénéfices, aux mutations profondes et rapides. Tant que cette démocratie ouvre des perspectives à son peuple. Surtout que « la jeunesse tunisienne aspire à faire partie de ces sociétés et agir.» Interview. Le soutien américain à la Tunisie s'est accru ces dernières années. Connaîtra-t-il une augmentation substantielle sous la nouvelle Administration Biden? L'Administration Biden a fixé les axes de sa politique étrangère en les fondant sur les alliances et les valeurs. Il s'agit des partenaires historiques et traditionnels, de la démocratie, des droits de l'homme, des changements climatiques en évitant leurs répercussions, du libre-échange, de la compétition technologique et de la sortie de crise de la pandémie du Covid, en œuvrant contre sa propagation et ses séquelles. La Tunisie constitue pour les Etats-Unis un partenaire démocratique important auquel nous apportons un soutien encore plus substantiel et à long terme. Nombre des membres de l'Administration Biden connaissent bien la Tunisie. Notre soutien sera plus important et plus fort. D'ores et déjà, nous avons un grand nombre d'accords de coopération et nous travaillons sur de nouveaux projets dans divers domaines. Un don de 400 millions de dollars a été octroyé à la Tunisie au titre du Défi du Millénaire géré par la Millenium Challenge Corporation (MCC), en vue d'accroître la croissance économique, de réduire la pauvreté et de renforcer l'infrastructure. D'autres financements ont été consentis. L'appui à la Tunisie est maintenu et renforcé bien que l'aide américaine ait diminué pour certains autres pays. Comment les Etats-Unis d'Amérique comptent-ils soutenir la Tunisie dans ses négociations avec le FMI? Poursuivre les discussions entre la Tunisie et le FMI est crucial. Les Etats-Unis apporteront à la Tunisie leur plein soutien. Mais, il appartient à la Tunisie de relever ses défis économiques et de changer son modèle économique. La masse salariale dans le secteur public est très élevée. Des réformes sont nécessaires à opérer dans des entreprises publiques. La compensation des produits essentiels gagnerait à cibler davantage les populations nécessiteuses qui la méritent. Une plus grande équité fiscale. Le temps court très vite. Des gouvernements successifs n'y avaient pas réussi. Mais, à présent, le temps est encore plus rétréci, encore plus pressant pour que la Tunisie s'y engage fermement. Parmi les points positifs, le dialogue établi entre le gouvernement, l'Ugtt et l'Utica. Un dialogue auquel la société civile devrait être incluse. La Tunisie a besoin d'entente entre ses acteurs. Cette concorde donnera un signal fort de sa crédibilité aux Etats-Unis et aux bailleurs de fonds. Peut-on s'attendre à une réponse positive à la garantie financière demandée par la Tunisie pour ses crédits? Je ne peux pas, à l'heure actuelle, apporter une réponse précise. Je me dois cependant de souligner que les Etats-Unis avaient par le passé octroyé à la Tunisie une garantie financière à hauteur de 1.5 milliard de dollars. La question est aujourd'hui liée aux efforts de la Tunisie sur la voie des réformes. Dans l'ensemble, le principe est que le soutien sera poursuivi. Pensez-vous reprendre les négociations de l'accord de libre-échange commercial entre les deux pays? Sans doute, l'accord de libre-échange (Free Trade Agreement) sera bénéfique à nos deux pays. Nous œuvrons à l'accroissement du volume des échanges commerciaux ainsi qu'à la promotion des investissements directs américains en Tunisie. Il y a un autre levier utile, c'est le Système généralisé de préférences (GSP) qui permet aux produits tunisiens d'accéder au marché américain en exonération des droits douaniers et taxes. Grâce à ce système, des produits comme l'huile d'olive, les dattes ou l'artisanat gagnent une bonne place sur le marché américain. Sur cette même voie, nous explorons de nouvelles opportunités. A quand la reprise du dialogue stratégique de haut niveau entre les deux pays ? La dernière session remonte à juillet 2019. Aucune date n'a été pour le moment fixée. Mais, nous continuons à convenir d'un créneau approprié. Les hauts fonctionnaires dans les deux pays s'en chargent. La Tunisie figurera-t-elle parmi les pays qui seront invités au Sommet de la démocratie annoncé par le président Biden ? L'initiative du président Biden de tenir un Sommet de la démocratie est de réunir des démocraties en vue de débattre de leurs intérêts communs et des défis mondiaux. Parmi ces défis qui menacent les démocraties figurent la propagation de fausses nouvelles, la corruption, la malversation... L'objectif est de les contrer et de relever tous les défis. Aucune décision n'est annoncée quant à la tenue de ce sommet. La crise du Covid rend la programmation difficile. Pensez-vous que les récents développements en Libye pourraient avoir un impact bénéfique immédiat pour la Tunisie? C'est une évolution très positive pour la Tunisie et aussi une grande opportunité. Les premiers pas accomplis sont prometteurs et bénéfiques. La Tunisie est un voisin immédiat qui partage avec la Libye de nombreux liens. Comment appréhendez-vous l'ampleur de la menace terroriste contre la Tunisie? La lutte contre le terrorisme est à présent nettement meilleure que ce qu'elle était auparavant. La surveillance et la protection des frontières ont été renforcées. Les menaces terroristes persistent encore, et peuvent provenir de diverses sources. Mais, il faut inscrire en success story la capacité de la Tunisie à avoir développé ses potentialités en matière de lutte contre le terrorisme et de protection de ses frontières. Elle a accompli des avancées significatives depuis 2015. Un dispositif de surveillance des frontières avec la Libye a été installé. Je l'ai moi-même visité et je me suis rendu compte de son importance. Nous avons finalisé ses deux premières étapes et abordons à présent la troisième. Il s'agit du système de surveillance électronique doté d'une technologie avancée et de barrières diverses, ainsi que de la formation des gardes-frontières à une riposte immédiate et efficace contre toute menace. Je dois souligner que la coopération sécuritaire entre la Tunisie et les Etats-Unis couvre différents aspects, tels que la formation, le partage des renseignements et autres. Nous sommes fiers des résultats enregistrés. De grands objectifs sont atteints par la Tunisie en la matière. Comment appréciez-vous l'action de la Tunisie au sein du Conseil de sécurité de l'ONU? La Tunisie entreprend du bon travail au Conseil de sécurité, fruit d'une longue période de préparation avant d'y accéder. Nous travaillons ensemble, en étroite collaboration. La mission tunisienne auprès de l'ONU à New York assume son rôle avec toute l'attention nécessaire, enchaînant préparation, concertation et un bon programme. Cela nous laisse une bonne impression d'une mission professionnelle et laborieuse. Historiquement, la Tunisie a toujours joué un rôle diplomatique nettement supérieur à sa taille. Nous sommes ravis d'avoir un partenaire de cette qualité. Dans quels domaines particuliers la Tunisie et les Etats-Unis peuvent-ils collaborer davantage dans les instances internationales? La paix globale et les changements climatiques viennent en tête des priorités. De grands engagements ont été pris dans ces domaines par l'Administration Biden. Ils auront leur impact au sein de l'ONU et du Conseil de sécurité, notamment pour ce qui est des changements climatiques. Nous aurons sans doute à travailler ensemble sur ces dossiers pour générer un plus grand impact au sein du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis viennent de restaurer leur aide aux Palestiniens avec un don de 235 millions de dollars. Est-ce un premier pas dans la révision de la position américaine en faveur d'une politique plus équilibrée avec l'Autorité palestinienne? Le rétablissement de l'aide américaine en faveur des Palestiniens est un signal clair. L'Administration Biden s'appuie sur une approche différente de celle qui l'avait précédée. La reprise des programmes de développement et des aides marque un changement en faveur du peuple palestinien. Comment les Etats-Unis peuvent-ils reprendre le dialogue avec l'Iran tout en maintenant les sanctions à son encontre? C'est le premier Etat qui soutient le terrorisme dans la région. Sa menace persiste. Il est de notre devoir d'y faire face et nous demeurons engagés à poursuivre les discussions sur ces questions. Comment traitez-vous avec la Chine? C'est un acteur économique significatif. Elle suscite de nombreux défis, non seulement pour les Etats-Unis mais aussi pour de nombreux autres pays. C'est aussi pour nous un partenaire. Les défis qu'elle pose méritent que nous y fassions face. En fait, ils concernent tous les pays démocratiques. Le modèle économique chinois est différent de tous les autres. Là où la Chine intervient dans une économie, elle laisse une série de déceptions. Il appartient aux pays comme la Tunisie d'explorer les opportunités d'investissement que lui offrent d'autres partenaires, notamment dans les domaines des technologies et des industries innovantes qui permettent de mieux utiliser ses ressources créatives. L'ouverture de la Tunisie sur l'extérieur et sa démocratie constituent des points forts. La Tunisie gagnerait à renforcer une infrastructure sécurisée qui protège les données personnelles et respectent la propriété intellectuelle et en faire le fer de lance de son développement. Vous connaissez bien la Tunisie. Etes-vous optimiste quant à son avenir? Nous vivons désormais dans un monde qui change à un rythme accéléré. Les sociétés qui ne sauront pas s'adapter à ces mutations profondes n'en bénéficieront pas beaucoup. Ce sont les pays démocratiques qui vont prospérer à l'avenir. La raison est claire: parce qu'ils ouvrent de larges perspectives devant leurs peuples. La jeunesse tunisienne aspire à faire partie de ces sociétés et agir. C'est ce qui me laisse optimiste quant à cette réussite.. Propos recueillis par Fatma Hentati