Cannabis par ci, cannabis par là. Aujourd'hui, plus que jamais, ce mot est sur toutes les langues et fait débat. Doit-on ou pas dépénaliser le cannabis en Tunisie ? Si la question continue de diviser les Tunisiens, le président de la République et le président du Gouvernement se sont tout récemment prononcés en faveur d'une abrogation de la loi 52 pour la lutte contre la consommation et le trafic de stupéfiants, condamnant chaque année des milliers de citoyens à une peine de prison, funeste héritage du régime dictatorial de Ben Ali qui utilisait cette loi comme moyen de répression. Dimanche dernier, lors de l'interview accordée à Nessma TV et des radios régionales, le président Béji Caïed Sebsi a annoncé qu'il réunirait le Conseil supérieur de la sécurité nationale en vue de demander de ne plus arrêter les jeunes primo consommateurs de cannabis. Il s'est dit conscient que la sentence d'emprisonnement était destructrice et catastrophique notamment pour les jeunes. Il a également affirmé avoir présenté, depuis une année au moins, une proposition de nouvelle loi sur les drogues mais que la lenteur des procédures ainsi que les avis divergents des différents partis politiques sur la question avaient retardé son examen et sa validation ou non par l'Assemblée des Représentants du peuple (ARP). Ses déclarations n'ont pas manqué de susciter une polémique et nombreux ont estimé que le président dépassait cette fois-ci ses prérogatives et qu'il n'est pas de son ressort de demander la non application d'une loi encore valide. Il a par contre le droit de gracier les détenus condamnés à la prison ou encore de demander à ce que tous les présumés consommateurs comparaissent devant la cour, lors de leurs procès, en état de liberté. Mais la polémique ne s'est pas arrêtée là puisque certains n'y sont pas allés de main molle dans leurs commentaires pour condamner la légalisation du cannabis qui aurait, d'après eux, un impact néfaste sur les jeunes générations et mènerait inexorablement à une hausse de la criminalité. Légalisation ? Mais qui a parlé de légalisation ? Dépénaliser n'est pas légaliser Dans la langue française, il existe une différence énorme entre les deux termes. Juridiquement aussi. Dépénaliser c'est le fait d'abolir les sanctions pénales pour certains faits et actes, quoique des amendes peuvent toujours s'appliquer. En optant pour faire évoluer sa législation sur la consommation du cannabis, la Tunisie est donc face à deux choix : dépénaliser ou légaliser. Ceux qui défendent la dépénalisation évoquent la vie brisée des jeunes détenus à cause de la prison et le risque accru de radicalisation à l'intérieur de ces structures carcérales, qui sont d'ailleurs encombrées, en plus du coût élevé de chaque prisonnier pour l'Etat. Ceux qui défendent la légalisation évoquent le danger des réseaux de vente illicites, la faible dangerosité de cette substance, les expériences réussies des pays ayant légalisé le cannabis et ayant, notamment, drainé des bénéfices financiers considérables et enfin la liberté de chacun de disposer de son corps. Le débat aujourd'hui continue et chacun campe sur sa position, multipliant les arguments, quoique l'orientation générale des décideurs soit plutôt vers la dépénalisation et non la légalisation. Les jours à venir détermineront sûrement dans quel sens va se pencher la balance. L'expérience islandaise Depuis l'entrée en vigueur en mai 1992 de la loi 52, près de 120.000 individus ont été condamnés à une peine de prison pour consommation de cannabis. En 2016, 5744 affaires ont été enregistrées, presque le double du nombre d'affaires en 2015. Parmi les consommateurs, une majorité de jeunes. Un véritable phénomène de société qui inquiète et désoriente les familles, les médecins, les sociologues et l'Etat. La solution serait-elle de dépénaliser ou encore de légaliser ? Non, ou du moins pas seulement, répondent les spécialistes qui estiment qu'il faut remonter aux sources de cette problématique pour la traiter dans sa globalité et non pas seulement juridiquement. C'est ce qui a été fait en Islande. En 1998, la proportion des 15-16 ans ayant consommé du cannabis était de 17%. Depuis, elle a considérablement baissé et n'est plus aujourd'hui que de 7%. Le taux de fumeurs de cigarettes de la même tranche d'âge a également chuté de 23% à 3% actuellement. Il en est de même pour ceux qui ont bu jusqu'à l'ivresse durant le mois en cours. S'il était de 42% en 1998, il n'est plus que de 5% aujourd'hui. Mais comment a fait l'Islande pour détourner ses jeunes des addictions ? La réponse repose sur trois éléments essentiels : instaurer un couvre-feu pour les adolescents, faciliter la pratique artistique ou sportive et enfin, étudier la chimie du cerveau des enfants pour mieux la comprendre. Mais pour arriver à identifier de telles mesures, une enquête à large échelle a été menée. Ainsi, en 1992 puis en 1995 et 1997, chaque jeune Islandais a dû remplir un questionnaire portant sur sa consommation d'alcool, de tabac, de cannabis mais aussi sur sa relation avec ses proches, ses amis ou encore les sports et les arts qu'ils pratiquent. A l'issue de cette enquête, un plan national a été progressivement mis en place, incluant notamment la modification de certaines lois, la sensibilisation des parents et le renforcement des liens entre les familles et les établissements scolaires. Parmi les mesures adoptées, un couvre-feu assez spécial. Ainsi, et jusqu'à aujourd'hui, il est interdit aux jeunes âgés entre 13 à 16 ans d'être dehors après 22 heures en hiver et après minuit en été. De plus, un énorme budget a été dédié aux pratiques sportives et artistiques encadrées. Dans ce cadre, chaque enfant issu d'une famille modeste ou pauvre a reçu, une carte de loisir, valable une année et d'une valeur de 280 € (environ 600 D) pour pouvoir s'inscrire à des clubs et pratiquer les activités qui lui plaisent. Un programme ambitieux puisque ses résultats positifs ne se sont pas faits attendre. Qu'attend-on en Tunisie pour s'en inspirer, loin des débats byzantins et des fausses polémiques ?