Le dernier remaniement ministériel opéré par le Chef du gouvernement d'union nationale, Youssef Chahed, a été l'occasion pour l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) de rappeler sa puissance tutélaire sur l'exécutif. Officiellement, le locataire du Palais de la Kasbah n'a fait qu'exercer son droit constitutionnel de limoger deux ministres qui auraient multiplié les bourdes. Mais, dans les faits, il s'agit d'une énième capitulation face à la puissante organisation nationale qui compte plus de 700.000 affiliés. Le limogeage du ministre de l'Education Néji Jalloul prouve s'il en est encore besoin que l'UGTT est en mesure de nommer et de démettre n'importe quel membre du gouvernement. Soutenus par Nouredine Taboubi, le nouvel homme fort de la centrale ouvrière, Lassaâd Yaâcoubi et Mastouri Gammoudi, les impétueux secrétaires généraux respectifs du syndicat général de l'enseignement secondaire et du syndicat général de l'enseignement de base, ne cachent pas leur joie de voir Néji Jalloul remercié. Les deux syndicats, qui ont multiplié les grèves, les rassemblements de protestation et les menaces de suspension des cours à quelques semaines des examens nationaux, ont finalement obtenu gain de cause L'UGTT est aussi bel et bien derrière la révocation de Lamia Zribi. Dans un communiqué publié lundi 24 avril 2017, le bureau exécutif de l'organisation ouvrière avait réclamé en des termes à peine voilés le départ de la ministre des Finances en qualifiant de «choquantes» les déclarations de cette ex-banquière (BFPME) qui s'est prononcé en faveur d'une dévaluation du dinar. «Ces propos gratuits et irresponsables ont eu pour conséquences une forte chute du cours du dinar et une panique sur le marché monétaire», avait martelé le Bureau exécutif de l'UGTT. En offrant les «têtes» de Jalloul et Zribi sur un plateau à la centrale syndicale, Chahed cherchait-il à obtenir l'aide de l'organisation pour calmer les protestations sociales qui secouent les régions intérieures ? Selon les observateurs, le pari du jeune Chef du gouvernement représente une véritable gageure dans la mesure où l'on imagine mal un syndicat se désolidariser de mouvements sociaux réclamant l'emploi et le développement. Rôle historique Quoi qu'il en soit, l'UGTT semble se plaire dans cette double casquette politique et syndicale qu'elle porte. L'organisation avait, par le passé, obtenu le limogeage de tous les ministres qui avaient des rapports tendus avec les syndicats, dont l'ex-ministre de la Santé Saïd El Aïdi, l'ancien ministre des Affaires religieuses Ahmed Khalil et l'ex- ministre des Finances Slim Chaker. Elle avait aussi imposé des ministres qui lui sont proches, comme l'actuel ministre des Affaires sociales Mohamed Trabelsi, l'ex-ministre de la Fonction publique et de la bonne gouvernance, Abid Briki, et l'ancien ministre des Affaires sociales, Ahmed Ammar Youmbaî. Bien que ses leaders continuent à jurer qu'ils ne veulent pas d'un «parti syndical » à l'image des partis travaillistes en Europe, l'UGTT semble déterminée à jouer un rôle politique de premier plan en profitant de l'affaiblissement des pouvoirs exécutif et législatif et des tensions sociales qui marquent la transition démocratique. Outre son rôle purement syndical, l'UGTT a historiquement été un acteur de premier ordre sur la scène politique tunisienne. L'organisation fondée le 20 janvier 1946 par le leader syndicaliste Farhat Hached a d'abord joué un rôle important dans la lutte pour l'indépendance, avant de former une coalition électorale avec le Néo-Destour dans le cadre d'un «Front national» regroupant aussi l'UTICA et l'UNA pour rafler la totalité des sièges à l'Assemblée constituante chargée d'instituer la première République. Plusieurs personnalités issues de l'UGTT sont ainsi devenues ministres. Sous le règne de Bourguiba, le syndicat historique a oscillé entre soumission au parti-Etat et velléités d'indépendance. Après l'accession de Ben Ali au pouvoir, la direction de l'UGTT s'est progressivement inféodée au pouvoir bien que plusieurs unions régionales et syndicats généraux y refusé de soutenir la candidature du président déchu aux présidentielles de 2004 et 2009. Cette tendance s'est poursuivie jusqu'aux derniers jours avant la fuite de Ben Ali. Au début des manifestations contre le chômage et la marginalisation à Sidi Bouzid, l'organisation avait soutenu timidement le mouvement avant d'appeler, sous la pression de ses cadres radicaux, à des grèves générales très suivies à Sfax le 12 janvier 2011 et à Tunis. Ces grèves générales qui ont précipité la chute de Ben Ali, ont redoré le blason terni de la centrale syndicale qui a joué un rôle très important dans la résolution de la crise politique ayant éclaté après l'assassinat des leaders de gauche Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.