Chaque rentrée est porteuse d'espoirs mais aussi de voeux pieux. Le monde littéraire ne progresse pas malgré un flot d'oeuvres insuffisantes et brouillonnes. Les écrivains véritables ne courent pas les rues alors que les livres circulent peu dans un environnement dominé par les éditions à compte d'auteur. Regards sur une littérature qui tourne en rond et peine à trouver ses repères... La publication de livres à compte d'auteur est en train de faire des ravages dans la littérature tunisienne. Désormais, les ouvrages se comptent par centaines alors que leur valeur littéraire laisse fort à désirer. C'est aussi bien dans le domaine du roman que dans celui de la poésie que cette tendance est observable. Les auteurs sont nombreux et les écrivains véritables de plus en plus rares. Nous sommes loin du bouillonnement des années antérieures De rares éditeurs continuent à maintenir un cap littéraire et même dans ce cas, les oeuvres restent relativement faibles et redondantes et, souvent, émaillées de coquilles et d'approximations. A quelques exceptions près, il n'existe aucune direction littéraire véritable qui puisse séparer le grain des textes laborieux et, trop fréquemment, nos livres les plus médiatisés sont écrits par des universitaires, des professeurs de lettres qui, s'ils maîtrisent les codes littéraires n'en peinent pas moins lorsqu'il s'agit de ressorts romanesques. Dans le monde de la poésie, trop de textes - dans les deux langues - relèvent du travail d'apprentissage et plus de rigueur devrait présider dans ce domaine. C'est vrai, tout le monde peut écrire, rimailler, mais n'est pas Aboulkacem Chebbi qui veut. A lire certains recueils, on se rend compte bien entendu de la bonne volonté de leurs auteurs mais aussi que ce sont des balbutiements poétiques qui sont publiés sans relecture préalable et parfois avec des erreurs grotesques. A l'autre bout de la chaîne, le lecteur demeure introuvable et la critique littéraire presque totalement absente. Il est difficile de progresser dans un contexte pareil et il est tout aussi ardu d'évaluer ses propres capacités en littérature. Plus symptomatique, la plus élémentaire information littéraire n'est pas vraiment disponible et il est quasiment impossible de suivre le cours des parutions et mesurer en amont l'attrait des textes. Notre critique actuelle se contente de dresser des listes et répertorier tout ce qui paraît. En soi, cet effort est louable mais il demeure largement insuffisant. Pire, il a pour conséquence un effet ravageur qui induit que le nombre de textes parus sur une année suffit à mesurer la bonne santé d'une littérature sans repères, sans ténors et sans projet palpable autre que celui des carrières individuelles des auteurs. Ainsi, sur notre place littéraire, il n'existe ni tendances ni groupes d'affinités, ni éditeurs engagés en faveur d'un courant ni d'auteurs développant un discours novateur. Nous sommes loin du bouillonnement des années antérieures et des différentes écoles qui animaient le monde des lettres. En ce sens, la responsabilité des écrivains est pleinement engagée mais qui oserait leur jeter la pierre, eux qui remuent ciel et terre pour simplement être publiés? L'effritement est de plus en plus remarquable et, sauf en de rares exceptions, nos écrivains n'arrivent pas à changer de paradigme et ouvrir une page nouvelle dans la vie littéraire. La reconstruction du travail critique Cette rentrée qui se profile à l'horizon ne devrait pas être différente de celles qui l'ont précédée ces dernières années. De nouveau, nous allons être confrontés à une avalanche de livres sans qualité, à des écrivains qui étouffent dans un environnement pesant et à une quête effrénée de lecteurs introuvables. C'est bien dommage car, après 2011, le champ s'est largement ouvert devant notre littérature désormais sans entraves mais les défricheurs d'avenir se sont avérés rares ou clairement nombrilistes. Il n'en reste pas moins que nous attendons beaucoup des écrivains de la génération montante. C'est à eux de prendre le relais et promouvoir une nouvelle littérature, un roman libéré et une poésie puissante. L'époque est la leur et il est essentiel qu'ils et elles le prennent en considération pour pousser notre littérature de l'avant. C'est aussi à eux de témoigner de la qualité des textes actuels qui, en règle générale, noient les oeuvres intéressantes dans un flot permanent d'écrits médiocres. Ce renouveau attendu passe par la reconstruction du travail critique et la recherche de nouveaux équilibres autres qu'arithmétiques pour témoigner de la vitalité de notre littérature. Où sont les manifestes? Où sont les textes critiques? Où sont les polémiques porteuses de progrès? A force d'attendre le peu ponctuel Godot, nous ratons les trains l'un après l'autre, alors que passent les caravanes littéraires... Dès lors, rêvons d'un frémissement porteur d'espoir en cette veille de rentrée.