L'Académie Tunisienne des Sciences, des Lettres et des Arts, (Beit al –Hikma, Carthage), a organisé les 25 et 26 octobre dernier, un colloque international autour du thème : « La Tunisie sous la plume des voyageurs à l'époque moderne » (1492-1789), sous l'égide de Mmes, Raja Yassine Bahri, (directrice du Département des Lettres à Beit al-Hikma) et Alia Bournaz Baccar, (présidente scientifique du colloque). Une édifiante rencontre qui a réuni lors de ces deux journées, une pléiade d'éminents universitaires de Tunisie, (Mounir Fendri, Zine Ben Aissa, Emna Belhaj Yahia, Ahmed Saadaoui, Mounira Remadi Chapoutot, Abderrazak Sayadi, Monia Kallel, Leila Temime Blili...) ; de France, (Suzanne Guellouz, David Diop, Salma Lakhdar, et Pascale Pellegin) et d'Algérie, ( Aziza Lounis). Récit de voyage : réalité ou fiction ? Lors de son intervention, « Le monde des voyageurs « africains », et Tunis au bout du chemin », Mounira Chapoutot, professeur émérite d'histoire médiévale (Université de Tunis) a parlé du genre du récit de voyage et de son évolution à l'époque moderne et de la place de Tunis dans leurs récits. Raja Yassine Bahri, professeure de civilisation espagnole, a quant à elle présenté une communication intitulée : « Un soldat espagnol à la découverte de « l'Africa ». Le contexte historique de l'Ifriquiya ou Maghreb au XV et XVIème siècles, a favorisé, selon elle, l'afflux des étrangers dans cette région. Les guerres, la course et la piraterie se sont traduites par la présence de soldats, de captifs et d'esclaves. Quelques uns ont eu recours à la plume pour exprimer leur souffrance ou dresser une description détaillée du pays d'accueil dont, Geronimo de Pasamonte, Cervantès ou Marmol Carvajal, qui ont laissé une œuvre colossale sur l'histoire de l'Afrique. Selon Aziza Lounis, professeure de littérature française et francophone à l'université d'Alger 2, l'image d'un pays dépend de ses observateurs. Chaque voyageur, chaque témoin se trouve embarqué parfois malgré lui, dans une aventure qui dépasse son propre voyage et qui est en fait, l'histoire d'une découverte toujours inachevée. C'est à la confrontation de l'Europe avec le Nord de l'Afrique, que les textes nous font assister. La communication d'Alia Baccar Bournaz, (professeure honoraire des Universités, lettres françaises, XVIIème siècle) a porté quant à elle, sur le récit de voyage relatant l'histoire de l'esclavage d'un marchand de la ville de Cassis à Tunis. Le récit est le résultat d'une rencontre entre deux hommes en méditerranée et Les faits ont été racontés en 1679 par Jean Bonnet, à Antoine Galland. Or, à la lecture de cet ouvrage, plusieurs questions interpellent, selon Alia Baccar. Où se situent la véracité et la subjectivité de cette histoire évoquée d'un point de vue d'un esclave? Et, comment de l'oralité, ce récit est- il passé à l'écrit? Récit de voyage et découvertes Zine Ben Aissa, professeur d'enseignement supérieur de littérature française (moyen- âge-XVIème siècle) a présenté la Tunisie au naturel à travers les récits des voyageurs du XVI au XVIIIème siècle : comment les explorateurs, diplomates ou négociants européens, rendaient compte de la faune et la flore tunisiennes avant l'ère coloniale. « Les lieux de sociabilité de Tunis à l'époque ottomane : apports de la littérature du voyage et des archives locales », est le thème auquel s'est attaqué Ahmed Saadaoui, professeur d'histoire et d'archéologie, pour montrer qu'avec l'établissement des Ottomans dans le Maghreb au XVIème siècle, on a assisté à de grandes mutations des villes maghrébines en rapport avec les changements majeurs dans toute la méditerranée, qui correspondent à la fin du moyen-âge et aux débuts de l'époque moderne. Des changements qui ont touché plusieurs aspects de la vie urbaine et notamment les lieux de sociabilité en prenant l'exemple de la ville de Tunis. D'autres performantes interventions ont fait l'objet du colloque international, « La Tunisie sous la plume des voyageurs à l'époque moderne » (1492-1789, jetant ainsi la lumière, tant sur des aspects de la réalité sociale, politique et économique du pays, que sur l'image que s'en faisaient les visiteurs de l'époque. Un regard curieux sur les mœurs et les coutumes des peuples musulmans de la rive sud de la Méditerranée. Ce regard fasciné et lucide témoigne, selon Abderrazak Sayadi, (professeur de lettres françaises), d'une autre forme de dialogue islamo-chrétien qui a existé au XVIIème siècle et qui était faite de volonté de compréhension et d'analyse, et en même temps, d'opposition et de méfiance de part et d'autre. Les Chrétiens qui tombent entre les mains des corsaires, se retrouvent certes, humiliés par la captivité, mais il n'est pas rare qu'ils prennent le dessus sur leurs maîtres et qu'ils deviennent irremplaçables grâce à leur intelligence et savoir- faire dans certains domaines importants : politiques et diplomatiques. C'est cette dialectique de l'esclave et du maître, que l'universitaire Abderrazak Sayadi, a proposé d'examiner Maîtres et esclaves dans « l'Histoire de Barbarie et de ses corsaires des royaumes d'Alger, de Tunis, de salé et de tripoli » ; un ouvrage paru en 1649 et qui reste à ce jour, l'une des œuvres les plus riches et les plus instructives de la littérature de voyage, et une source inépuisable pour les chercheurs sur les rapports entre les deux rives de la Méditerranée au XVIIème siècle.