Nommés ksour, les greniers fortifiés du sud tunisien sont composés de ghorfas étagées et constituent un élément représentatif de notre architecture vernaculaire. Dans une démarche qui induit leur restauration et leur prochaine mise en valeur, le ministère des Affaires culturelles escompte leur inscription au patrimoine mondial de l'Unesco. Un projet qui pourrait signifier un renouveau archéologique en Tunisie car ces édifices au nombre d'une centaine sont souvent délaissés en termes de conservation patrimoniale. A suivre... Le ministère des Affaires culturelles envisage l'inscription des ksour du sud tunisien sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco. C'est le ministre en personne qui a annoncé cette perspective lors de sa récente visite à Tataouine à l'occasion du festival de théâtre dédié à Amor Khalfa. Cette annonce est rassurante car elle constitue un premier pas dans la bonne direction, celle qui permettrait d'entamer un travail de restauration en profondeur de ces greniers fortifiés disséminés dans le sud tunisien, en particulier dans les gouvernorats de Médenine et Tataouine. La situation des ksour du sud laisse à désirer En effet, la situation actuelle des ksour du sud n'est pas reluisante. Souvent abandonnés, ils se trouvent parfois dans un état de délabrement avancé. Dans d'autres cas, ils sont exploités à des fins touristiques et sont dans certains cas littéralement défigurés. S'il ne fait aucun doute que la démarche de leur inscription au patrimoine mondial est légitime, il n'en reste pas moins que l'urgence véritable est constituée par leur recensement raisonné et la mise en place d'une véritable stratégie de valorisation. Dans cette optique, il est clair que cette démarche auprès de l'Unesco va clarifier un tant soit peu la situation de ces ksour qui font partie de notre patrimoine monumental sans être véritablement considérés comme tel à cause du statut de propriété privée de la plupart d'entre eux. Ces ksour étaient dans le passé des greniers fortifiés et appartenaient à des fractions de tribus du sud. Ce statut s'est maintenu et dans plusieurs cas, la situation foncière est inextricable. Dès lors, il devient urgent de définir un statut à ces monuments incontournables de notre héritage et qu'on retrouve uniquement en Tunisie et en Libye. Le terme de "ksour" est le pluriel de "ksar". Ces ksour sont ainsi des ghorfas regroupées, une ghorfa étant une simple cellule d'un ksar. Les ghorfas sont construites de manière à former des ensembles que l'on voit souvent dans le sud au-dessus des collines ou dans des villes de plaine comme à Médenine ou Métameur. Parmi ces ghorfas, celles de Ksar Ouled Debbab ou Ksar Ouled Soltane comptent parmi les plus impressionnantes. C'est aussi le cas de Ksar Djouama ou Ksar Haddada qui a servi de plateau de tournage pour la série "Star Wars". D'autres ksour sont depuis longtemps abandonnés comme Ksar Béni Barka et d'autres encore dont l'origine peut remonter au treizième et quatorzième siècle. Certains comme Ksar Sedra sont en ruines et sont plutôt difficiles d'accès. Pour une nouvelle vulgate archéologique globale et inclusive Comme on peut le constater, même si ces ksour sont nombreux - à peu près une centaine -, ils ne sont pas véritablement l'objet d'une politique patrimoniale clairement définie. De fait, ils ne sont pas vraiment considérés comme des édifices relevant de l'archéologie et leur conservation est des plus aléatoires. Pourtant, ils sont uniques et témoignent de l'époque où les Tunisiens du sud-est s'étaient réfugiés sur les hauteurs alors que les Hilaliens envahissaient le pays qui leur avait été offert par les Fatimides repliés en Egypte. De fait, ces monuments peuvent être considérés comme un exemple d'architecture autochtone qui emprunterait à divers modèles antérieurs. Ces ksour ne sont pas le seul élément particulier dans cette partie de la Tunisie. En effet, les maisons troglodytiques de Matmata ou les "kalaa" de montagne comme Chenini, Guermessa, Douiret ou Ghomrassen sont d'autres témoins de cette époque troublée. En ce sens, la mise en valeur des ksour induite par la démarche du ministère des Affaires culturelles est aussi une manière de revenir à ce patrimoine global et lui offrir une embellie. Il est en effet temps de se tourner vers ces monuments du sud qui restent solitaires car les archéologues ne les considèrent pas pleinement comme des objets de recherche, restauration et conservation. Ces ensembles de ghorfa sont un pan représentatif de notre histoire mais restent largement ignorés alors qu'au contraire, tous les sites antiques sont parfaitement cartographiés et protégés quelque soit leurs taille et importance. Ce paradoxe de notre archéologie est en soi saisissant car c'est en général la mémoire des faits coloniaux successifs qui est amplement préservée alors que ces édifices autochtones uniques du sud tunisien ne le sont pas. Dès lors, cette approche nouvelle pourrait être porteuse d'un renouveau global dans l'archéologie tunisienne et d'un rééquilibrage patrimonial décisif. Répétons-le: s'adresser à l'Unesco pour inscrire les ksour sudistes au patrimoine mondial est louable mais insuffisant. Ce qui importe le plus, c'est la définition d'une nouvelle vulgate archéologique inclusive qui puisse rénover notre regard sur le patrimoine et englober patrimoine antique et médiéval, héritage arabe et berbère, monuments du sud et du nord de la Tunisie. En tout état de cause, c'est un pas dans la bonne direction que vient de faire le ministère de tutelle par ailleurs très actif sur ce front du patrimoine mondial. En effet, des démarches similaires existent en ce qui concerne le classement de la "Muqadima" d'Ibn Khaldoun et aussi la Table de Jugurtha.