Dick Cheney reçu par le roi Abdallah à Riadh le 25 novembre 2006 La pendaison de Saddam Hussein, le 30 décembre est d'un point de vue américain le signal qu'une page est définitivement tournée, celle du nationalisme arabe, du Baâth et de son régime de terreur. Mais cette pendaison ouvre aussi une autre page, celle d'une montée en puissance des Chiites en Irak adossés à un Iran en voie de se doter de l'armement nucléaire. De quoi inspirer de grandes inquiétudes aux Etats sunnites voisins de l'Irak et de l'Iran, dont l'Arabie saoudite qui, pour prévenir la contagion du désordre irakien, a décidé de mettre en place l'une des barrières les plus importantes et les plus sécurisées du monde le long de sa frontière septentrionale. La guerre civile qui ravage aujourd'hui l'Irak est devenue en quelques années l'une des problématiques majeures pour la sécurité régionale, et, au delà, une question sérieuse pour l'approvisionnement en hydrocarbures des pays industrialisés. En effet, le cocktail multiconfessionnel et multiethnique irakien n'est pas un cas unique dans la région. La contagion du désordre pourrait, si on n'y prend garde, affecter tout le Golfe et en redessiner la carte.
Le renforcement de l'influence chiite et iranienne en Irak Depuis la chute du régime de Saddam Husseïn et l'aggravation de la situation sécuritaire en Irak, les officiels saoudiens ne cessent d'exprimer leur inquiétude face au renforcement de l'influence chiite et iranienne dans ce pays, qui auparavant faisait tampon entre le royaume wahhabite et l'Iran, et risque de pénétrer encore plus les communautés chiites d'Arabie Saoudite et des autres états du Golfe. La révolution islamiste iranienne avait encouragé, en 1979, tous les chiites du Golfe à renverser leurs dirigeants, et de violentes émeutes s'en étaient suivies parmi la communauté chiite d'Arabie Saoudite. Celle-ci, estimée entre 1 et 2 millions de personnes parmi 17 millions de Saoudiens, est installée au cœur même de la province pétrolière du Hassa qui court sur 550 kilomètres le long du golfe Persique, à l'Est des déserts d'Al-Dahna et d'Al-Sulb, et le Hassa est la principale source de la richesse du royaume et son cœur économique. Pour les chiites du royaume, la difficulté de se sentir aujourd'hui «saoudites» est d'autant plus marquée qu'ils se sentent encore discriminés et tenus à l'écart de la fonction publique, malgré les promesses des rois Fahd et Abdallah à réévaluer leurs droits, et que leur religion est toujours considérée comme une hérésie par les autorités religieuses sunnites. Si la guerre intérieure contre le réseau terroriste Al-Qaïda a offert au royaume saoudien une chance de combattre le sectarisme en rapprochant, dans l'appel aux réformes, la part non-violente et libérale des deux Islam, sunnite et chiite, la guerre en Irak a poussé dans une direction opposée. Encouragés par l'exemple des chiites irakiens, certains chiites saoudiens pourraient être tentés d'aller plus loin dans la revendication de leurs droits au moment même ou la dominance chiite en Irak accroît et renforce l'inquiétude et la suspicion des sunnites saoudiens. Au cœur même du royaume, le retour en Arabie Saoudite de plusieurs centaines de combattants jihadistes sunnites, partis combattre américains et chiites d'Irak, pourrait bien aussi ouvrir une véritable guerre intérieure contre les chiites. En septembre dernier, le ministre saoudien des Affaires étrangères, le Prince Saoud Al-Fayçal, a cru devoir avertir l'administration américaine: «la principale crainte de tous les voisins est que la potentielle désintégration de l'Irak en des Etats sunnite, chiite et kurde pourrait entraîner les autres pays de la région dans le conflit... C'est une très dangereuse situation, une très menaçante situation». Avant même l'invasion américaine en Irak, Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue Arabe avait déjà prévenu que la guerre pourrait «ouvrir les portes de l'enfer». Trois ans après, dans le chaos de l'aventure irakienne de l'administration Bush, les Etats sunnites de la région ne peuvent que constater que la guerre et le maelström intérieur irakien ont aidé l'Iran chiite à accroître son influence régionale menaçant de plus en plus la sécurité intérieure de ceux d'entre eux qui abritent une minorité chiite, à savoir l'Arabie Saoudite, Oman, Bahreïn, Liban, Yémen, Koweït, Syrie et Emirats Arabes Unis. Loin d'arranger les choses, la pendaison de Saddam Hussein, le 30 décembre, aboutissement d'un processus juridique pour le moins discutable, est d'un point de vue américain le signal qu'une page est définitivement tournée, celle du nationalisme arabe, du Baâth et de son régime de terreur. Mais cette pendaison ouvre aussi une autre page, celle d'une montée en puissance des Chiites en Irak. Devant la «tyrannie» de la majorité chiite arabe ayant enfin triomphé de la tyrannie de la minorité sunnite arabe, le reste du monde arabe majoritairement sunnite s'inquiète des développements à venir pour la sécurité du Golfe, avec le spectre d'un Iran nucléaire tapis dans l'ombre. Avec l'ingérence du voisin chiite iranien dans les affaires irakiennes et les exactions répétées de miliciens chiites pro-iraniens contre la minorité arabe sunnite, les pays arabes voisins de l'Irak ont de bonnes raisons de s'inquiéter. C'est le cas de l'Arabie saoudite qui cherche à endiguer la «contagion irakienne». Ces inquiétudes saoudiennes devant le bourbier irakien, l'éventualité d'un retrait américain et les ambitions régionales de l'Iran ont été exprimées dans une tribune publiée le 29 novembre dans le ''Washington Post'', signé par le conseiller saoudien Nawaf Obeïd, un proche de l'ambassadeur du royaume wahhabite aux Etats-Unis, Turki Al-Faiçal, lequel a quitté soudainement son poste à Washington, vers la mi-décembre. Selon le ''New York Times'' du 13 décembre, ces mêmes inquiétudes ont été exprimées par le roi Abdallah lors de sa dernière rencontre avec le vice-président américain Dick Cheney, à Riyad, le 25 novembre.
Adapter les stratégies sécuritaires aux bouleversements en cours Quoi qu'il en soit, l'échec patent de la sécurisation de l'Irak par la coalition dirigée par Washington semble avoir entamé un processus plus ou moins «réussi» de déstabilisation des pays frontaliers. Pour ces pays, le principal danger est que des combattants aguerris en Irak puissent passer les frontières et importer idéologie et tactiques de guérilla poussant à la guerre civile les communautés chiites et sunnites qui y sont établies depuis longtemps. Prenant ces enjeux très au sérieux, les pays du Golfe se préparent à adapter leurs stratégies sécuritaires aux bouleversements en cours. C'est le cas notamment de l'Arabie saoudite, qui a décidé de mettre en place l'une des barrières parmi les plus importantes et les plus sécurisées du monde le long de sa frontière avec l'Irak. Depuis plusieurs années, un projet plus global, estimé à 12 milliards de dollars, regroupant des moyens terrestres, maritimes et aériens existe sous le nom de Miksa (acronyme de Ministry of Interior of the Kingdom of Saudi Arabia). Mais ce projet «éléphantesque», dont on a commencé à parler sérieusement dès 2000, tarde à se mettre en place, alors que la déstabilisation profonde de l'Irak est devenue un danger réel pour Riyad. Le projet Miksa consiste à bâtir une architecture globale pour la sécurité des frontières saoudiennes. Il se présente sous la forme d'un système centralisé de gestion de moyens de surveillance - radars, satellites, électroniques - susceptible de garantir au ministère de l'Intérieur une capacité d'observation optimale sur l'ensemble des 7 500 kilomètres de frontière du royaume. D'autres technologies seront déployées sur le site et sont aujourd'hui tenues secrètes. Même le commandement central des Forces américaines dans le Golfe n'aurait pas été informé de leur nature. En revanche, les Etats-Unis devraient signer incessamment, s'ils ne l'ont déjà fait, un nouveau contrat d'équipement avec la Garde nationale saoudienne à hauteur de 84 millions de dollars. Il s'agit essentiellement de matériels de communication radio. Cette somme vient s'ajouter au 1,8 milliard de dollars que le Royaume a dépensé depuis 2004 pour contrôler sa frontière avec l'Irak. La nouvelle barrière, qui devrait coûter, à elle seule, quelque 500 millions de dollars, permettra également à l'Arabie de faire face à l'immigration clandestine, aux trafics d'armes et de drogue et même à des réseaux de prostitution, qui peuvent tous servir de soutiens et de vecteurs aux réseaux terroristes.
Miksa ou «le contrat du siècle» Le groupe d'électronique français Thales, ex-Thomson-CSF, qui a déjà vendu à l'Arabie saoudite des frégates Sawari 1 en 1980, des missiles Crotale NG pour près de 5,3 milliards d'euros en 1984 (contrat Al-Thakeb) et des frégates antiaériennes Sawari 2, vendues en 1995 pour plus de 3 milliards, a montré son intérêt pour ce contrat depuis le 22 juillet 2000, date à laquelle la direction internationale du groupe a adressé une lettre en ce sens au ministre de l'Intérieur saoudien. Plus récemment, au cours de sa visite à Riyad, début mars 2006, le président français Jacques Chirac a évoqué - et seulement évoqué - avec ses hôtes saoudiens le contrat « Miksa ». A l'occasion du Salon de l'armement Eurosatory, qui s'est déroulé à Paris, en juin, le fils du roi d'Arabie Saoudite et commandant de la Garde nationale saoudienne, Mitaeb bin Abdallah, a évoqué, de son côté, avec ses homologues français, les marchés de défense, notamment les moyens de faire progresser le projet Miksa. En réalité, le «contrat du siècle» ne fait plus l'objet d'une négociation de gré à gré entre la France et l'Arabie Saoudite. Les Saoudiens avaient décidé, depuis décembre 2004, de le transformer en un marché ouvert, soumis à une procédure d'appel d'offre internationale. La France est ainsi ramenée au niveau de ses principaux concurrents, notamment américains, mais aussi anglais, allemands, espagnols, italiens et russes. Cependant, selon les informations de source diplomatique, le roi Abdallah d'Arabie Saoudite préparerait une tournée européenne en décembre ou janvier, et choisirait comme première étape la France. C'est, en tous les cas, ce qui serait prévu après la conversation téléphonique que le monarque saoudien a eue avec le président Jacques Chirac, le 16 novembre. Les Français espèrent que les vives tensions qui opposent actuellement Riyad à Londres inciteraient les Saoudiens à réviser leurs contrats de défense avec Paris et, peut-être, à reconsidérer les procédures d'octroi de celui relatif au projet Miksa.