En Tunisie comme ailleurs, les décideurs politiques du monde sont confrontés à un dilemme : confiner et provoquer un effondrement de l'économie, avec son corollaire de faillites d'entreprises d'envolée du chômage, ou déconfiner et faire face à une submersion des hôpitaux et à une hausse vertigineuse des décès. Mais ils manquent de données sur l'évolution probable de l'épidémie. Dans cet entretien, le Professeur Amine Slim, ancien chef de service du laboratoire de virologie de l'hôpital Charles Nicolle de Tunis et actuel expert auprès de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), nous apporte plus de précisions sur les raisons de la faible prévalence du virus dans nos murs, les facteurs qui pourraient favoriser une montée des contaminations et l'effet du climat sur la situation épidémiologique. . LE TEMPS : En comparaison avec ses voisins européens, où le nombre de décès liés au Covid-19 se comptent par dizaines de milliers, la Tunisie semble jusqu'ici relativement épargnée par la pandémie mondiale. Comment expliquez-vous le nombre peu élevé des cas sous nos latitudes ? Pr Amine Slim : La propagation du coronavirus a été freinée en Tunisie, au Maroc et en Algérie, où la situation épidémiologique est presque la même. D'abord la fermeture précoce des frontières a ralenti l'importation des cas du SARS-CoV-2 des pays durement touchés et avec lesquels nous avons de forts liens économiques et humains, comme l'Italie, la France et l'Espagne. Ensuite, les mesures de distanciation sociale, le confinement et le port de masques ont permis de ralentir la transmission horizontale du virus. Il ne faut pas également oublier que la Tunisie a enregistré un nombre élevé de cas asymptomatiques ou peu symptomatiques qui ne sont pas très contagieux. Tous ces facteurs ont fait que le R0 », ou « taux de reproduction » de base, passe à entre 1 et 2 contre 5 ou 6 sans confinement et mesures barrières. Cela veut dire que chaque personne atteinte du Covid-19 contamine aujourd'hui une ou deux personnes au lieu de 5 ou 6 personnes. . Alors que le nombre des nouvelles contaminations à tendance à baisser de jour en jour et que celui des décès est quasiment stable, peut-on aujourd'hui dire que le pic de l'épidémie a été dépassé ? Tout ce qu'on peut dire à ce stade, c'est que nous avons réussi à aplatir la courbe des contaminations. Les mesures prises par les autorités ont fait que la première vague du nouveau coronavirus soit faible. Nous sommes aujourd'hui certains que la Tunisie n'enregistrera que des cas sporadiques de Covid-19 tant que les frontières resteront fermées. Mais combien de temps peut-on tenir ? Nous serons contraints dans quelques mois tout au plus à rouvrir nos frontières, et là on ne sait pas comment la situation va évoluer. . Avec le relâchement constaté ces derniers jours, peut-on craindre une remontée des contaminations ? Oui, c'est possible. Les gens ne supportent plus le confinement. Ils sont sortis faire leurs courses pour le Ramadan. Mais une hausse des contaminations durant les semaines à venir pourrait être à la fois une bonne et une mauvaise chose. . Comment une hausse des contaminations peut-être une bonne chose ? Elle va augmenter l'immunisation collective des citoyens. Car faute d'un niveau satisfaisant d'immunité de la population au nouveau coronavirus, une deuxième vague aura assurément lieu après le déconfinement. Pour stopper une nouvelle maladie virale, il faudrait que la majorité de la population soit touchée par ce virus pour qu'elle puisse développer cette immunité de groupe, baptisée aussi immunité grégaire ou collective. Le seuil idéal de l'immunité collective est généralement situé entre 60 et 70% . Certaines études suggèrent que la chaleur estivale est capable de ralentir la propagation du virus, voire de la stopper. Qu'en pensez-vous ? Il ne faut pas trop compter sur la hausse du mercure pour venir à bout du Covid-19, même si l'intensité de transmission des virus respiratoires a souvent tendance à baisser quand les beaux jours s'installent. Mais des cas de SARS-CoV-2 existent aussi dans des pays chauds en Afrique ou en Asie comme la Côte d'Ivoire, le Nigeria et l'Arabie Saoudite. En été, la climatisation des espaces clos comme les administrations, les grandes surfaces et les hôpitaux et les casernes pourrait accélérer la propagation du Covid-19. . Y a-t-il un risque élevé de contracter la maladie sur les plages qui sont des lieux ouverts ? Le risque est extrêmement faible sauf si on nage seulement à quelques centimètres d'une personne atteinte qui tousse ou éternue. Les plages sont des lieux ouverts et l'eau de mer est hyper-salée. . Que pensez-vous de l'hypothèse véhiculée par certains médecins selon laquelle le SARS-CoV-2 a circulé en Tunisie depuis le mois de janvier dernier et contaminé des milliers de personnes sans que l'on s'en aperçoive ? Cette hypothèse est très peu probable. En janvier et en février, ce sont la grippe H1N1 et la grippe saisonnière qui étaient à leur apogée. Des tests de Covid-19 effectués en février à l'Unité de virologie de l'hôpital Charles Nicolle de Tunis se sont révélés négatifs. Entretien réalisé par