A moins d'un rebond, l'interminable feuilleton « Awled Moufida » a connu son épilogue avec ceux qui sont allés au cimetière et ceux qui sont allés en prison. Il fallait en finir, en effet. On notera, au passage, que la HAICA avait intimé l'ordre à la chaine Al Hiwar Ettounsi d'en supprimer les scènes violentes et de reprogrammer la diffusion du feuilleton pour 22heures, histoire d'épargner aux enfants ces scènes qui, à priori-rien ne le prouve- les choqueraient ou qu'elles leur inspirent de mauvaises idées. Soit. Oui, mais, bon, « Awled Moufida », du moins dans l'esprit du scénario, est destiné à revivre un très long prologue, pour encore quatre ans, au sein de l'hémicycle. « Awled Moufida » n'est toujours qu'une fiction, comme en font les Américains, les Français ou, même, les Egyptiens. Il a néanmoins de beaux jours devant elle. Voilà qu'elle est, tout bonnement, transposée dans l'enceinte du Parlement. Si les techniques changent, l'esprit de la vindicte et de la haine y est en plein. Pour autant, les plénières systématiquement retransmises en direct par la chaine nationale, s'apparentent à une espèce de téléréalité, heurtant aussi la sensibilité des adultes, impliqués, malgré eux, dans l'effondrement des valeurs morales, dans l'effritement de ce « contrat social » (Rousseau encore décidément) est impassibles face à l'exhibitionnisme qui se meut au sein de ce dôme parlementaire, censé transposer et refléter leurs choix et leurs motivations électorales. S'y reconnaissent-ils ? Alors là, pas le moins du monde. Et, de surcroît, les enjeux qui s'y déploient devant leurs yeux, ne les concernent pas, si ce n'est qu'ils les désorientent copieusement. Bourguiba, l'enjeu dans la bataille Moussi / Makhlouf Avec ces deux personnages tout aussi décapant l'un que l'autre, nous sommes comme entrainés dans une longue chasse poursuite, comme dans un remake du célèbre film « Point limite zéro ». Donc, pas de limite à ce chassé-croisé dont on eut dit qu'il était instantanément programmé dès l'annonce des résultats des urnes. Plus encore, les arguments d'Abir Moussi et de Seifeddine Makhlouf ne tiennent pas, comme on pourrait le croire, à des divergences d'ordre idéologiques. Ça a plutôt l'air d'être viscéral, viral même. Abir Moussi bâtit toute sa stratégie sur la défense du legs bourguibien. Sur les fondements laïques de l'Etat moderne insufflé par le génie du grand homme. Par ricochet, elle part en croisade contre « Les Frères musulmans » (« les khouangias » comme elle les appelle, placardant systématiquement « Sidhoum Echeikh », Rached Ghannouchi et son parti, qu'elle juge inféodés à l'internationale islamiste, dont l'épicentre n'est plus le Caire, mais bel et bien Ankara, avec le soutien logistique de Doha. Rien, dans ses conceptions, de que nous ne sachions déjà. Puisque, de toutes les manières, en pleine effronterie, le bureau de l'ARP laisse sommeiller dans les tiroirs des projets de loi datant de 2017 et n'en dépoussière que deux autres, tactiquement bien « ciblés », favorisant une forte percussion hégémonique de la Turquie et du Qatar. Mais, elle n'a pas été la seule à se dresser contre. Abir Moussi est, certes, en train de se faire une aura populaire, ralliant à sa cause un forte déferlante sur Facebook, véritable catalyseur chimique de la sensibilité populaire. Or, soyons logiques, n'a-t-elle pas abattu ses cartes un peu trop tôt ? Non qu'elle doive nécessairement discuter ou, même s'entendre, sur certains points, avec ses ennemis au Parlement. Sauf qu'une stratégie se nourrit d'abord de tactiques inhérentes à chaque phase de jeu, comme dans la logique du football de hauts standards. Et, puis, cette question fondamentale, ce nœud gordien auquel elle ne répond jamais : quel lien génétique entre le PSD de Bourguiba et le RCD de Ben Ali ? De laquelle des deux machines émane-t-elle vraiment ? Ce qui est sûr, c'est que « le Combattant suprême » survit à travers les âges et les générations. Sa stature plane, ses enseignements hantent et taraudent tous les maximalistes des outrances idéologiques. Au final, son histoire et son génie ne sont pas mis en équation, quoi qu'ait fait Ben Ali pour les prêter au révisionnisme historique. Et quoi qu'ait fait Sihem Ben Sédrine pour lui implanter un tribunal de l'inquisition. Disons-le quand même sans détour : l'idée d'Abir Moussi de placer systématiquement le portrait de Bourguiba sur son pupitre est contre-productive. Cela s'apparente autant à l'instrumentalisation qu'à une espèce de paganisme. Cela actionne même les réflexes de vindicte à reculons des ennemis historiques, à son endroit. Si, au Parlement, on refuse de réciter la Fatiha à la mémoire de Bourguiba et qu'on la récite à celle de Morsi, eh bien les choses sont claires : Bourguiba, c'est leur cauchemar. Avec, ou sans Abir Moussi ! Le Lucky Luke de chez nous… Abir Moussi n'est peut-être pas un épiphénomène. Mais, Seifeddine Makhlouf ne représente ni un épiphénomène, ni un phénomène tout court. Lui, il ne sait que dégainer, véritable parodie de Lucky Luke ce légendaire Cowboy de bande dessinée qui tire plus rapidement que son ombre. L'appellation même de son parti « Al Karama », relève d'une espèce d'euphémisme. « Al Karama » (traduisez : la dignité), c'est aussi le respect d'une civilisation trois fois millénaire, le respect envers tous ceux qui se sont battus et sont morts pour l'indépendance de ce pays. Remettre en cause tous les sacrifices consentis pour la décolonisation du pays, relève là aussi d'un pernicieux révisionnisme historique. Voilà donc, que Seifeddine Makhlouf nous apprend que l'Indépendance du pays est un leurre, un masque pour une recolonisation française. Voilà qu'il y met son grain de sel, au propre comme au figuré, au nom de la souveraineté des richesses naturelles du pays. Voilà qu'il oublie la nationalisation des terres décidées par Bourguiba en 1964 et qui nous a valu le courroux de Charles de Gaulle. Voilà qu'il oublie Sakiet Sidi Youssef, voilà qu'il oublie la Bataille de Bizerte. Voilà qu'il oublie aussi l'Enseignement et les bases de l'Education nationale mises en place par Bourguiba… et qui lui vaut d'être devenu avocat ! Voilà qu'il oublie les bases de l'édification de la Santé publique par Bourguiba, et ce vaccin du BCG, dont les scientifiques disent qu'il a contribué en large partie à prémunir les Tunisiens contre la contamination au Covid-19. Le BCG, tout le monde en a été vacciné : même Makhlouf et les ennemis de Bourguiba, parmi les islamistes. Du moins, ils lui doivent quelque chose à ce niveau…. Mais, Seifeddine Makhlouf, opposant à tout, sauf à Ennahdha, est aussi aujourd'hui un électron libre qui écume les plateaux pour tirer sur tout ce qui bouge, pour se faire l'extension du bras de Ghannouchi et, pour lancer des avertissements à l'endroit du Chef de l'Etat. Si, Abir Moussi appelle à la destitution de Ghannouchi, Seifeddine Makhlouf, lui, verrait d'un bon œil celle de Kaïs Saïed, un Président qui place la légitimité populaire au-dessus de la représentativité parlementaire. Et il vient encore d'en rééditer le concept à l'Académie militaire de Fondouk Jédid, en parfaite continuation de ce qu'il avait déjà dit à Kébili. Là, où Seifeddine Makhlouf est sorti de ses gonds. Et, il l'a confirmé vendredi à Midi Show, traitant, par ailleurs, notre confrère Haykal Mekki de tous les noms de chiens. Il nous sort même une initiative législative pour les radios : plus de licence, mais une simple déclaration, soit la voie libre à toutes les chaines pirates et endoctrinées. En tous les cas, ses cibles au sein du Parlement sont connues : Abir Moussi et, à un degré moindre, Samia Abbou. Tous ceux qui se mettent en travers de son chemin, représentent, à ses yeux des « cas pathologiques ». En fait, quand il parle de cas pathologiques, il devient convaincant. Voilà, donc, ce que retiennent les Tunisiens de notre Parlement : le haut lieu de l'acharnement idéologique. Banditisme et démonstrations de force. Et, au diable les institutions de l'Etat. « Awled Moufida » à la sauce politique !