Sûr de son fait, et prétendant un peu trop de ses forces, Rached Ghannouchi obtient de son Conseil de la Choura qu'il le mandate pour enclencher des consultations avec le Président de la république et les autres composantes du paysage politique, y compris les organisations nationales, dans le sens de la destitution du gouvernement Fakhfakh. Il va sans dire que Rached Ghannouchi veut, essentiellement, la tête de Fakhfakh. En cela, il a cru pouvoir se suffire de l'appui de Qalb Tounes et à l'excroissance du bras d'Ennahdha, la Coalition Al Karama, dont Seifeddine Makhlouf continue de faire des siennes. Sans doute, peut-être, Rached Ghannouchi a-t-il été trop vite en besogne après l'entrevue, samedi, avec le Président de la république. Il a cru avoir compris que Kaïs Saïed n'était pas contre la destitution de Fakhfakh. De surcroît, avec un Président qui s'arrange tactiquement de toujours laisser le Président de l'ARP dans le flou, Ghannouchi devait bien deviner que son « ennemi chronique » n'allait pas lui révéler le fond de sa pensée. Formalisme juridique et stratégie politique De sorte que, très sûr de lui, Rached Ghannouchi obtenait de son Conseil de la Choura qu'il entamât des pourparlers pour en finir avec ce Fakhfakh revêche, très peu enclin à satisfaire ses injonctions quant à l'élargissement de cette satanée ceinture gouvernementale et qui, le 25 juin dernier, lançait la fameuse fronde du désormais célèbre « Yabta Chouaya » (traduisez : Vous pouvez toujours rêver). On pourrait, logiquement, se demander d'où Fakhfakh tire autant d'assurance, hormis la tempête de cette affaire de présomptions de conflits d'intérêts. Mais, il y a un minimum de formalisme à respecter. D'abord, l'éthique qui place la présomption d'innocence en principe de base, tant que les commissions (intergouvernementale et parlementaire) n'auront pas achevé leur travail de dépouillement du dossier. Et, d'ailleurs, on ne comprend pas l'acharnement de Iyadh Elloumi à transgresser le droit de réserve et le secret de l'instruction, continuant à avancer des chiffres et faisant de nouvelles révélations (cette histoire des 140 millions de dinars) que les sociétés dans lesquelles Fakhfakh détient des parts ont démentis à travers un communiqué avec menu-détails. Et, puis, au-delà des commissions, il y a une affaire en justice qui, normalement, prendra du temps pour rendre son verdict. Kaïs Saïed, auquel on reproche un excès de formalisme juridique et constitutionnel, a donc été logique avec lui-même. Rien, pour le moment, ne se justifie un désaveu de son propre « poulain ». Pas plus qu'il ne s'amusera à actionner un vote de confiance pour le gouvernement, ni à décider la dissolution de l'ARP et, partant, des élections anticipées. Dans d'autres conditions, lui qui juge le système politique actuel obsolète, aurait enclenché la machine. Mais il sait que ce n'est pas le moment, au vu de ce qui se passe au Sud du pays. Son souci majeur, pour le moment, c'est la stabilité gouvernementale, dénonçant par ailleurs ceux qui « mettent le feu aux institutions de l'Etat ». Mais, on sait, tous, qu'il voue une sainte horreur à l'endroit de ce Parlement qu'il ne juge en rien représentatif du peuple. « Son » peuple à lui, n'est pas à l'ARP. Et, quand bien même Noureddine Taboubi aurait appelé à des élections anticipées, Kaïs Saïed lui aurait expliqué, lundi -avec Fakhfakh qui écoutait- que cela représenterait un saut, pour le moment, mortel. Kaïs Saïed attendra son heure.... Entre temps, entre son entrevue, samedi, avec Ghannouchi qui criait ingénument victoire, et l'audience accordée à Fakhfakh et Taboubi, le lundi, Kaïs Saïed aura opéré ce que les spécialistes en matière de football appellent « un jeu de jambes », ou, pour mieux illustrer l'image, ce « passement de jambes », spécialité du Ronaldo brésilien. Cela consiste à dribbler en vitesse, à dépasser deux trois adversaires les laissant cloués su place et qui n'y voient que du feu. A force de jouer aux apprentis-sorciers... Voilà donc que le Conseil de la Choura est renvoyé à ses chères études. Grand camouflet, aussi, pour Rached Ghannouchi, que ses propres « fidèles » dépeignent en « grand stratège », mais qui a fait comme font les « apprentis-sorciers ». Et, d'ailleurs, au sein même de ses rangs nahdhaouis qu'on dit « disciplinés », seuls 54 membres ont voté pour le retrait de confiance à Fakhfakh et 38 étaient contre. « Le grand rassembleur », « le maitre spirituel », « Le cheikh suprême » y laisse donc des plumes. Un signe avant-coureur d'une démystification, signe aussi, par extrapolation, qu'il n'est plus en odeur de sainteté et que le prochain congrès du Mouvement pourrait le pousser à l'abdication... Indirectement, au moyen de sa technique de la résistance passive (la stratégie de Ghandi), Kaïs Saïed aura provoqué cette démystification. Pire : Rached Ghannouchi qui voulait la tête de Fakhfakh et sa destitution par des moyens politiques -il n'a pas demandé au Président de mettre en branle l'arsenal constitutionnel- se retrouve, aujourd'hui, avec une motion visant sa propre destitution comme Président de l'ARP ; motion ayant déjà récolté le tiers des signatures des députés, et mise en circulation par quatre blocs parlementaires. Cela suffit pour organiser une plénière, à moins que le tout puissant directeur de cabinet de Ghannouchi ne lui réserve une entourloupe des siennes. Voilà donc le « grand sorcier » redevenu « apprenti-sorcier ». Maintenant, c'est Ghannouchi qui risque gros, et non plus Fakhfakh. Curieux retour des choses, l'espace du week-end dernier ! Mais, il ya mieux. Vraisemblablement requinqué par le renouvellement de la confiance du Président, et vraisemblablement appuyé par l'UGTT, Fakhfakh monte résolument au créneau. Il annonce un remaniement ministériel -supposant l'éjection des ministres d'Ennahdha- non sans s'être préalablement penché sur les mécanismes juridiques. Le règlement de l'ARP dit qu'il faut, dans ce cas, solliciter un vote de confiance au sein de l'hémicycle. La constitution, d'après des publicistes de premier plan, n'y oppose pas ce préalable. Or, la Constitution prime. Les jours à venir seront décisifs, au volet politique. Maintenant, le peuple n'en peut plus. Ses problèmes sont autrement plus compliqués que les gradations faussement idéologiques qui se meuvent au Bardo. Les sorciers, il n'en veut plus. Une atmosphère de fin de règne pour ces sorciers, justement. Et, dans tous les cas de figures, la fin de la magie noire qui, durant près d'une décennie, aura ébranlé toute rationalité, tout en vidant les institutions de l'Etat de toute leur sève. Kaïs Saïed a-t-il, enfin, sonné la fin de la récréation ? R.K.