Le président de la République Kaïs Saïed a finalement réalisé un coup de maître dans la guerre larvée l'opposant à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) ou, plus précisément, aux forces majoritaires du Parlement, en chargeant le ministre de l'Intérieur, Hichem Méchichi, de former un nouveau gouvernement. Cet outsider qui a été déjà imposé par le locataire du palais de Carthage aux commandes du ministre de l'Intérieur dans le gouvernement sortant n'a pas figuré dans les petits papiers des partis politiques qui ont présenté au chef de l'Etat une longue liste de prétendants. Homme de confiance du président, ce juriste âgé de 46 ans, qui a occupé le poste de conseiller du président chargé des affaires juridiques, dispose d'un mois pour former un gouvernement dans un contexte politique tendu et obtenir la confiance d'un parlement composé d'une myriade ces courants antagonistes. Enarque et chef de cabinet à cinq reprises depuis la révolution, Hichem Méchichi devra consulter à tour de bras pour définir le type de gouvernement à mettre en place, tout en jonglant entre les pièges des uns et les conseils attentionnés des autres. Dans ce cadre, plusieurs options sont possibles : un gouvernement restreint formé de compétences indépendantes à condition d'obtenir l'aval des principales forces parlementaires, un gouvernement de compétences nationales agrémenté de membres proposés par des partis ou encore un gouvernement hautement politique adossé à une majorité parlementaire claire et homogène. S'il est vrai que la majorité des partis ont soit salué la désignation de Méchichi, soit ont affirmé qu'ils n'ont pas d'objection contre lui, il n'en demeure pas moins que le chef du gouvernement désigné qui n'a jusqu'ici revendiqué aucune affiliation politique n'aura pas les mains libres. Isoler les islamistes Plusieurs partis ont déjà esquissé la forme du futur exécutif. Ainsi, le mouvement du peuple (Echaâb) a appelé par la voix de son secrétaire, Zouheir Maghzaoui, à constituer un gouvernement sans Ennahdha «dans la mesure où les Tunisiens respireront à pleins poumons au cas où le parti islamiste ne ferait pas partie du prochain gouvernement». De son côté, le député du mouvement du peuple Khaled Krichi a évoqué la possibilité de former un gouvernement soutenu par son parti, le Courant démocrate, Tahya Tounes, Qalb Tounes et du bloc de la réforme nationale. Il a ajouté que le mouvement du peuple n'a pas une position hostile envers Qalb Tounes, qui a été instrumentalisé pour faire pression sur le gouvernement d'Elyès Fakhfakh. Le courant démocrate (Attayar) ne souhaite pas, lui aussi, faire à nouveau partie d'une coalition gouvernementale avec le mouvement Ennahdha. «Ennahdha a montré qu'elle ne peut pas gouverner. Nous voulons un gouvernement sans Ennahdha», a martelé son secrétaire général et ministre la Gouvernance et de la lutte contre la corruption, Mohamed Abbou. Foncièrement anti-islamiste, la présidente du Parti destourien libre (PDL), Abir Moussi, a conditionné son soutien au gouvernement Méchichi par la mise à l'écart d'Ennahdha. «Nos députés accorderont leur confiance au gouvernement qui sera formé par Méchichi à condition qu'il ne comprenne aucun représentant nahdhaoui ou un pseudo-indépendant qui se révélera appartenir à Ennahdha», a-t-elle affirmé. Et d'ajouter : «Mais si le chef du gouvernement désigné fait des concertations avec les Frères et signe le retour du consensus, ce serait dommage. Nous ne participerons pas aux concertations dans ce cas». Arithmétiquement possible Sur le plan purement arithmétique, un gouvernement est possible. Une opération d'addition des députés du mouvement Echaâb (16 députés) Attayar (22), de Qalb Tounes(27), du bloc de la Réforme nationale (16), du bloc National (11) et de Tahya Tounes (9) et du bloc Al-Mostakbal (9) donne un résultat de 110 députés, soit une voix de plus que la majorité absolue nécessaire au vote de confiance. Cette coalition pourrait aussi bénéficier du soutien du bloc du PDL (16 députés) et des voix de plusieurs députés qui n'appartiennent à aucun bloc. Au bout du compte, le gouvernement pourrait obtenir dans ce cas de figure la confiance de plus de 130 députés. Alors que les palabres ont commencé hier à Dar Dhiafa, un petit palais situé à Carthage où se déroulent toutes les tractations relatives à la formation des gouvernements depuis la révolution, le parti islamiste Ennahdha paraît plus que jamais isolé. Son président Rached Ghannouchi risque même de se faire destituer du perchoir le jeudi 30 juillet. Une motion de défiance sera soumise au vote le 30 juillet. Un scénario qui pourrait redistribuer les cartes. Ennahdha, qui a fait partie de tous les gouvernements successifs depuis 2011, a vu son poids s'éroder à l'Assemblée. Le parti a vu le nombre de ses députés chuter de 89 députés en 2011 à 69 en 2014, puis à 54 élus en 2019. W.K.