« Nous n'avons bradé aucun objectif » Bertrand marchand est un entraîneur comblé. Depuis qu'il a pris en main les destinées techniques de l'Etoile du Sahel, au début du mois de juin 2007, il ne fait que récolter les lauriers, retirer des satisfactions et vivre de grandes émotions jubilatoires. A titre personnel, il a été élu meilleur coach français exerçant à l'étranger. Avec ses poulains étoilés, il a brillamment conquis un titre continental majeur. En Coupe du monde des clubs au Japon, son équipe s'est honorablement comportée et a raté de peu le podium. En championnat national, avec deux matches en moins, les Sahéliens réalisent un parcours plus que flatteur. Tout cela ne lui fait pas pour autant perdre la tête. Prié de dresser un bilan à l'aube de cette longue trêve, le technicien français analyse la situation sans triomphalisme et estime que son équipe sera mise à rude épreuve par une concurrence de plus en plus âpre. Ecoutons-le évoquer plusieurs sujets !
- Le Temps : Après 11 journées de l'aller et deux de la phase retour, quel bilan dressez-vous pour l'Etoile ? - Bertrand Marchand : Nous avons récolté 30 points sur les 39 possibles. Je pense que c'est très flatteur eu égard aux diverses difficultés rencontrées pour gérer trois compétitions aussi rudes les unes que les autres. Le championnat national, faut-il l'avouer, n'était pas notre priorité à court terme. Notre objectif majeur était la Champion's League. Aussitôt après, il y avait la Coupe du monde des clubs, une épreuve de grande dimension qu'il fallait sérieusement et minutieusement préparer. Revenir sur terre et être confronté à la réalité des matches locaux n'était pas une mince affaire. Rappelez-vous ce qui était arrivé au CSS l'année dernière. Ayant délaissé le championnat de Tunisie au profit de la Champion's League, et suite à l'amère désillusion continentale, les Sfaxiens ont complètement disparu de la circulation. L'Etoile, par contre, sans doute aidée par sa consécration africaine et sa magnifique épopée nipponne, est restée dans la dynamique des victoires grâce à un remarquable esprit de solidarité, de générosité et d'abnégation. Mis à part le revers subi face au Stade Tunisien dans les conditions que vous connaissez, je pense que l'ESS est sur la voie royale. Arracher par exemple un nul à Tunis devant le Club Africain, et de surcroît sans Narry, Gilson, Ogunbiyi et Bukari après seulement quatre jours de notre retour du Caire est une performance en soi.
- Quelles sont les principales satisfactions que vous retenez ? - Sans la moindre hésitation, je citerai en premier lieu la force de caractère du groupe. Nous avons disputé les trois compétitions signalées plus haut avec 25 joueurs. Tout le monde se sentait impliqué. Entre titulaires et remplaçants, il n'y avait pas de barrière. Regardez le jeune Hatem Béjaoui, chaque fois que le besoin s'est fait sentir, il a répondu présent à l'appel. Ammar Jmel n'avait pratiquement pas joué mais, sollicité au Caire et face à 80.000 spectateurs, il avait réalisé une sortie héroïque. Prenez également l'exemple de Radhouène Felhi. L'année dernière, il se contentait de faire la doublure. Depuis la blessure de Mejdi Ben Mohamed, il n'a raté aucun match, toutes compétitions confondues. Des sorties sans bavures et d'excellente facture. Le fait qu'il ait été sélectionné n'est pas le fruit du hasard. Je ne peux pas non plus passer sous silence le cas de Mehdi Ben Dhifallah. C'est un joueur qui vient de Zarzis. Souvent remplaçant, il ne s'en plaignait jamais. Il travaillait en silence. Aujourd'hui, il s'impose comme l'une des cartes clés du dispositif étoilé. C'est avec cette mentalité que le groupe se soude de jour en jour et acquiert la culture de la victoire et de la performance.
- Quelques lacunes à combler, quelques déceptions à relever ? - Nul n'est parfait, mais je dois reconnaître que certains parmi les fans de l'Etoile voient que le Ghanéen Sudat Bukari, jusqu'à preuve du contraire, ne mérite pas la campagne médiatique qui avait précédé son recrutement. Je les comprends. Personnellement, je suis persuadé que c'est un joueur de talent. C'était une star dans son pays. Il débarque à Sousse, incognito et met du temps pour s'adapter. Ensuite, il se blesse à deux reprises. Maintenant, et après avoir dépassé ces contrariétés, il est déterminé à refaire le terrain perdu. Je le compare un peu au Sénégalais El Hadji Diouf qui, à ses débuts en France, avait connu les mêmes problèmes d'adaptation. Patientons donc un peu avec lui, et je vous promets que vous verrez un joueur de grande classe.
- Roger Lemerre a convoqué neuf joueurs de l'Etoile en Equipe Nationale. Comment vous jugez ce choix ? - Il faut voir cela du bon côté. C'est un témoignage de reconnaissance envers la qualité du travail au sein de l'Etoile. Mais il faut s'attendre à ce que peu de joueurs puissent aspirer à une place de titulaire. Ils peuvent bénéficier d'un temps de récupération sur le plan physique tout en restant sous pression mentale. Le sélectionneur national a tablé sur l'esprit de groupe en convoquant autant de joueurs. C'est un noyau qui peut apporter son enthousiasme, sa dynamique de victoire et sa générosité à l'EN. Regardons les équipes nationales africaines, la Côte d'Ivoire et le Ghana par exemple, elles regorgent de talents, mais là où le bât blesse c'est que ces stars viennent d'horizons divers. Il est difficile d'y insuffler un esprit de groupe. C'est ce qui explique qu'elles réussissent peu dans les compétitions internationales. Si belle est leur machine, faute de solidarité, elle finit par se dérégler. Donc, les joueurs de l'Etoile, gonflés à bloc, sont capables de communiquer leur flamme aux autres.
- Justement, revenons à la CAN 2008 au Ghana. Comment voyez-vous les chances des équipes présentes et de la Tunisie en particulier ? - De tous les continents, je crois que l'Afrique est celui qui progresse à pas de géants en Football. L'Europe et l'Amérique latine sont arrivés à un plafond. Maintenant, on comprend pourquoi, ils investissent beaucoup au Sénégal, en Côte d'Ivoire et au Ghana pour former les futurs talents. Les pays arabes du Maghreb ont des championnats locaux plus relevés et des structures sportives plus solides. C'est pourquoi ils dominent les compétitions des clubs. Mais au niveau des nations, l'Afrique « Black », surtout à domicile, est nettement avantagée pour s'octroyer le trophée. Ses joueurs évoluent dans les championnats européens les plus huppés et possèdent un niveau supérieur aux joueurs maghrébins. La Tunisie évolue dans un groupe de qualité. Elle a les moyens de faire un bon bout de chemin au Ghana, à condition de savoir utiliser l'effectif sélectionné. Si elle arrive à passer le premier tour des groupes tout est permis. Bonne chance ! Propos recueillis par Mounir GAIDA