Ils sont américains, australiens, jamaïcains, français, allemands, belges... Nés de parents chrétiens, juifs ou athées... Fraîchement convertis à l'islam le plus rigoriste par des imams extrémistes, ils ont gagné les camps d'entraînement de Bosnie et d'Afghanistan, où ils ont acquis une solide formation militaire, avant de devenir des «petits soldats du jihad» contre l'Occident mécréant. Certains sont morts dans les montagnes de Tora Bora ou en Irak. D'autres ont été arrêtés dans le cadre de la campagne internationale de lutte contre le terrorisme, jugés et écroués. Leurs parcours, qui se ressemblent en plusieurs points, peuvent être résumés en deux formules: quête désespérée de soi et folie destructrice. Dans ce cinquième article de la série, nous présentons John Walker Lindh, l'Américain converti à l'islam qui a rejoint les rangs des taliban afghans avant d'être capturé à Kunduz, près de Mazar-e-Sharif, dans le nord de l'Afghanistan, lors de la campagne militaire américaine lancée contre le régime du mollah Omar après les attentats du 11 septembre 2001.
«C'est un gentil garçon et il a dû subir un lavage de cerveau», dit Marylin Walker, mère de John Walker Lindh, la voix étranglée par la douleur. La vidéo, filmée par un combattant anti-taliban américain, montre un homme jeune au visage émacié, les mains liées dans le dos. A ses côtés, un agent de la CIA, Johnny Spann, lui pose des questions. Mais John Walker, les yeux fixes et la mâchoire fermée, ne dit rien. Imperturbable. Ces images sont les premières de celui qui deviendra aux yeux du monde le «taliban américain». La scène se passe le 25 novembre 2001 dans la forteresse de Qalae-Janghi, près de Mazar-i-Sharif, en Afghanistan. Une heure plus tard, le destin des deux hommes va changer à jamais. Pris de court par une rébellion des prisonniers talibans, Johnny Spann sera la première victime américaine de la guerre en Afghanistan. John Walker, lui, se réfugie pendant une semaine dans une cave, avant de se rendre et d'être découvert par un journaliste de ''Newsweek'' le 2 décembre. En quelques heures, son nom sera sur toutes les télévisions. «Un sale rat» et un «traître à la patrie» pour la presse populaire. «Un pauvre bougre qui a été trompé et a perdu son chemin», selon George W. Bush.
Accusé d'avoir aidé le régime des Taliban
Moins d'un an plus tard, le 4 octobre 2002, à l'issue d'une audience de deux heures et demie, John Walker est condamné à vingt ans de réclusion. Un accord passé trois mois auparavant entre ses avocats et l'accusation lui a permis d'échapper à la prison à vie. Le jeune homme avait été contraint d'admettre non seulement sa culpabilité mais également de renoncer à faire appel et de collaborer avec les enquêteurs pour échapper à la perpétuité. Lindh, aujourd'hui âgé de 25 ans, était notamment accusé d'avoir «aidé le régime des Taliban». Le jeune Américain converti à l'islam et parti en Afghanistan combattre aux côtés des Taliban avait d'abord choisi de plaider non coupable des dix chefs d'inculpation retenue contre lui. Il était notamment accusé de complot en vue de tuer des Américains et de complot avec les Taliban et Al-Qaïda, l'organisation terroriste d'Oussama Ben Laden. Des accusations pouvant être passibles de la peine capitale. John Walker a cependant reconnu avoir «rendu des services aux Taliban» et avoir violé la loi américaine en combattant à leurs côtés, armé d'un fusil de type Kalashnikov et de deux grenades, tout en soulignant qu'il «n'a jamais tiré et n'a jamais tué d'Américains». Quelques minutes avant l'annonce de sa condamnation, le jeune homme, très ému, a éclaté en sanglots en se livrant à une poignante confession. Vêtu d'une combinaison verte de prisonnier, il a exprimé «ses remords pour ce qui est arrivé». «Je n'ai jamais compris le djihad comme de l'anti-américanisme ou du terrorisme», a-t-il affirmé, en soulignant qu'«il condamnait sans ambiguïté le terrorisme à tous les niveaux». La voix brisée par l'émotion, il a également déclaré que «les attentats de Ben Laden sont totalement contraires à toutes les règles du jihad et sans la moindre justification». John Walker a par ailleurs tenté d'expliquer son engagement auprès du régime du mollah Omar. «Je suis allé en Afghanistan parce que je croyais que c'était mon devoir religieux d'aider militairement mes frères musulmans dans leur jihad», a-t-il déclaré tout en soulignant que s'il avait compris plus tôt la nature des Taliban, il n'aurait jamais rejoint leurs rangs. «Je comprends pourquoi tant d'Américains ont été furieux lors de ma capture en Afghanistan», a-t-il également déclaré. «Je sais que beaucoup le sont encore, a-t-il ajouté, mais j'espère qu'avec le temps et de la compréhension, ces sentiments changeront».
Du hip-hop au jihad afghan en passant par Malcolm X et les ''Black muslims'' Comment, John Walker, cet adolescent californien timide, bon élève, élevé par des parents catholiques tendance «baba cool» a-t-il trouvé le chemin du jihad ? Fils de Frank Lindh, avocat d'une compagnie électrique de San Francisco, séparé d'avec son épouse depuis 1998, issu donc d'une famille plutôt aisée, John Walker passe toute son enfance à Mill Valley, dans le comté de Marin, au nord de San Francisco. L'endroit est connu pour être «de gauche», le refuge d'anciens hippies qui ont réussi et roulent en Porsche ou en Audi. La mère est une adepte du bouddhisme et a appelé son fils John en souvenir de Lennon. Quand l'adolescent refuse une éducation catholique, il est envoyé dans une école «alternative» où il est libre de ses choix scolaires. Jusqu'à l'âge de 15 ans, John Walker n'est guère différent des autres adolescents. Passionné de hip-hop, il passe son temps dans sa chambre à échanger des e-mails et à participer à des forums de discussion sur la musique. Tout va changer un an plus tard, quand John lit l'autobiographie de Malcom X, l'ancien leader noir devenu musulman. «A partir de ce moment-là, il s'est passionné pour l'islam», dit son père. Sur l'Internet, les messages de John ne sont plus les mêmes. Dans un forum, il se fait passer pour un jeune Noir: «Ce n'est pas notre négritude qui pousse les Blancs à nous haïr, c'est leur racisme.» Il se demande aussi si la musique va de pair avec le Coran et s'enquiert un jour dans un e-mail si «certains instruments de musique sont interdits par l'islam». En quelques semaines, la transformation est radicale. John veut s'appeler Suleyman. Il prendra plus tard le nom de guerre d'Abdul Hamid en Afghanistan. Il porte la robe traditionnelle musulmane, laisse pousser sa barbe et fréquente assidûment le centre islamique de Mill Valley. «Il était incroyablement déterminé, explique à ''Libération'' (17 décembre 2001) Abdoullah Nana, l'un de ses amis au centre. Il disait vouloir être le plus musulman de nous tous. Il s'entraînait à apprendre le Coran par coeur. Une fois, il m'a dit qu'il ne supportait plus l'existence superficielle de la Californie et qu'il voulait aller ''aux sources de l'islam''.» Dès lors, tout va aller très vite. A ses parents qui sont en plein divorce, Suleyman dit qu'il veut partir au Yémen, en expliquant, selon ''Newsweek'', que «l'arabe yéménite est le langage le plus proche de celui du Coran». Il y reste plusieurs mois avant de rencontrer un missionnaire pakistanais lors d'un bref séjour en Californie. Finalement, courant 2000, il choisit de se rendre dans une madrasa de Bannu, un village dans la province de la frontière nord-ouest, au Pakistan. Là, son instructeur, le mufti Mohammad Iltimas, assure qu'il est un «élève modèle, totalement voué à l'islam». Il vit dans des conditions spartiates, refuse qu'on lui installe un système d'air conditionné jugé «décadent». Lors d'un échange d'e-mails avec son père qui s'indigne de l'attentat contre l'USS Cole au Yémen, en décembre 2000, John répond qu'«envoyer un bâtiment américain dans un port du Yémen est un acte de guerre contre l'islam». Le dernier e-mail à ses parents depuis la madrasa de Bannu date d'avril 2001. John y dit simplement qu'il veut rejoindre «l'air plus frais des montagnes». En mai, il part pour l'Afghanistan. Il aurait alors été recruté par Al-Qaïda pour aller s'entraîner dans l'un de ses camps, dirigé par Ben Laden. Il aurait aussi combattu au Cachemire avec les Pakistanais durant l'été 2001, si l'on en croit la brève interview qu'il a accordée à CNN avant son arrestation. Puis, durant la guerre, il est envoyé à Kunduz, pour combattre l'Alliance du Nord conduite par le Commandant Massoud. «C'est vrai, tout cela est difficile à comprendre, admet Bill Jones, un ami de Frank Lindh, joint en Californie. Quand j'ai rencontré John, c'était un adolescent sérieux, intelligent. Il pensait certainement faire du bien à l'Afghanistan en rejoignant les talibans. Apparemment, il a commencé comme interprète, car il parlait plusieurs langues. Mais je ne pense pas qu'il ait jamais tiré sur un soldat américain.» La suite, on la connaît... A sa sortie de prison en 2022, John Walker aura quarante et un ans. Il devra de plus vivre six ans en liberté surveillée. «La vie consiste à faire des choix et vous avez fait le mauvais choix en rejoignant les Taliban», a expliqué le magistrat du tribunal fédéral d'Alexandria, en Virginie, près de Washington. Demain 6 : Hervé-Djamel Loiseau : le petit soldat d'Allah