Il ne s'agit plus de grands déballages publics, de linge sale à laver, puisqu'il n'y a plus rien à laver. Dans des conditions normales de gouvernance, de gestion transparente des affaires de l'Etat, Olfa Hamdi n'aurait pas eu tant « d'honneurs » et n'aurait pas réussi à polariser l'attention durant un peu plus d'un mois à la tête d'une entreprise (Tunisair) traversée, depuis déjà un certain temps, par d'irrépressibles « trous d'air ». De quelle planète est-elle venue et qui lui a suggéré d'atterrir sur la piste la plus impraticable de l'aéroport ? Ce qui est sûr, c'est que la Tunisie n'en est pas à un charlatan près, ni à un(faux) messie près. Olfa Hamdi ne sera toujours que la énième illustration d'un certain amateurisme gangrénant le patrimoine national. Et quand l'amateurisme est couplé à l'affairisme, au clientélisme politique, il n'y a pas d'échappatoire possible : tout doit être repris de fond en comble. Y compris, notre démocratie douillette et sa mauvaise conscience : cette constitution et ce régime ramant à contre-courant des besoins existentiels du peuple. Et, l'ennui, c'est que tous les débats se meuvent invariablement sur le terrain du Politique, terreau privilégié de ceux qui sont aux commandes du pays depuis le départ de Ben Ali. On ne voyait pas en effet s'avancer la bête immonde, d'un pas ferme et résolu. On s'étonne, dès lors, de ce que la plupart de nos politologues concluent à « la crise politique », et exclusivement politique pour expliquer les discordances, sinon carrément l'affrontement, au niveau des « trois présidences ». En soi, cette formule, « les trois présidences », rajoute à la confusion. Elle n'en reflète pas vraiment les pesanteurs, ni les enjeux. C'est même une sémantique importée : elle est valable au Liban, pour les besoins ethniques et religieux juste formels mais, dans la psychè tunisienne, elle ne fait qu'alimenter le flou et les confusions. Qui préside ? Qui gouverne réellement dans notre pays ? Très commode, en effet, de parler de « crise politique », dans le pur style italien. Or, en Italie, les crises politiques représentent, après Le Calcio, un sport national. Qu'elles déclinent à droite ou à gauche, où qu'elles basculent dans les mouvements populistes, elles épargnent parcimonieusement les équilibres de l'Etat. Elles se heurtent inévitablement à certains garde-fous. Or, chez nous, en l'état actuel des choses, ce « garde » existe bien quelque part, mais il est supplanté par « les fous », juste pour jouer sur les métaphores. « Certains politiques hypocrites... » Et voilà que, face à une crise asphyxiante et qui n'aurait jamais existé, si le régime de la IIème République n'était pas aussi lamentablement hybride, les composantes de la Société civile s'impliquent, proposent une large plateforme de « Dialogue national », sous l'égide du Président de la république. Organisations féministes, Ordre national des avocats, UTAP, en plus du socle inamovible que représentent l'UGTT et l'UTICA, tous se sont rendus chez Kaïs Saïed pour le convaincre quant au bienfondé de ce « Dialogue ». Dans toutes ces consultations, le Président parut plutôt vague dans ses approches. Parce que ses « convictions » sont établies. Il ne dialogue pas non plus avec « certains partis ». Curieux tout de même que des caciques d'Ennahdha continuent à prôner « le dialogue », leur fameux concept du «Tawafok» (le consensus), exaltant même les mérites du Quartet et du Nobel de la paix, alors que, justement, ce Quartet sauvait le pays de leur Troika et que la consécration du Nobel portait en elle la symbolique de l'anti-islamisme d'Etat ! Du reste, Kaïs Saïed, cet homme atypique et qui ne croit pas vraiment en ce régime et en cette constitution (grâce à laquelle il est devenu Président de la république), ce Kaïs Saïed précisément veut toujours donner l'impression de planer. Il n'est pas de ce monde. Sinon, ce monde à lui, c'est le peuple. Il y a certes une part de schizophrénie, entre l'utilisation de cette démocratie qui l'a propulsé à Carthage et, aussitôt, le déni et le rejet de ses mécanismes. En tous les cas, il ne plane pas tant que ça, lorsqu'il refuse de nommer des ministres ayant obtenu la confiance du Parlement. Il a ses petits calculs à lui. Et, à l'évidence, le fauteuil du Président, il s'y sent à l'étroit. Il n'empêche. Alors que les partis veulent s'en remettre à « La rue », Kaïs Saïed se rabat sur ses électeurs (ils sont au nombre de 2,7 millions et sa côte de popularité remonte). Pour lui, la Société civile est le pendant de sa propre légitimité. Et, pour rappeler tout cela, comme première réponse à la marche qu'organisera Ennahdha, le 27 février prochain, il reçoit un activiste de la Société civile, ne manquant pas, encore une fois, d'étaler sa culture arabo-musulmane, évoquant un certain Abdallah ibn Obey ibn Saloul, chef de file des hypocrites à Médine au 9ème siècle de l'Hégire. Et voilà le message : « Certains politiciens sont des hypocrites (NDLR : comme le personnage suscité) ...Ils sont rejetés par le peuple et ils iront dans la poubelle de l'Histoire ». Vous parlez encore de « Dialogue » ... ? Un air de fin de règne nahdhaoui Le panorama politique est ainsi contrasté qu'une singulière effervescence est en train de s'installer avec frénésie et dans des relents pour le moins obsessionnels. Ça bouge de partout. Comme par l'effet d'une plaque tectonique, alors que le gouvernement se retrouve au milieu de certains enjeux dont il se serait volontiers passé. Dans notre édition d'hier (mardi) Le Temps a analysé « La démonstration de force du PDL à Sousse ». Abir Moussi y épingle tout le monde, y compris le Président lui-même. Mais surtout et principalement Ennahdha et l'Islam politique ! Le style de toujours en somme. En l'occurrence, a-t-elle joué sur l'anticipation, comme on le dit dans le jargon du football. Par extrapolation, son meeting tendait en filigrane à chahuter (toujours par anticipation) la marche annoncée par Ennahdha, pour samedi prochain. Hasard du calendrier ? Pas le moins du monde, parce cela intervient juste deux jours après que Rached Ghannouchi eût publié, sur les colonnes du journal « USA Today », une véritable complainte à l'adresse de Joe Biden ! Cela fait déjà un moment que les tribuns d'Ennahdha sonnaient les tambours. Sans doute par effroi. Dans sa tribune sur le journal américain, Rached Ghannouchi rappelle à Joe Biden que c'est l'administration Obama (Biden en était le vice-Président) qui avait aidé Ennahdha à conquérir le pouvoir en 2011. Il appelle Biden à lui éviter d'en être balayé en 2021 par « la montée des mouvements rétrogrades, nostalgiques de l'ancien régime ». Or, ce que Rached Ghannouchi ne veut pas voir, c'est que les Démocrates ont entretemps révisé leur copie. Ils se sentent même coupables d'avoir confondu entre Islam politique et terrorisme. Et entre islam politique et Printemps arabe. Que Rached Ghannouchi appelle l'Amérique en aide pour « sauver la démocratie tunisienne », cela signifie aussi que ses traditionnels alliés qataris et turcs commencent, eux aussi, à voir les choses autrement. La montée en puissance du PDL commence, pour sa part, à exercer certains effets de résonnance outre-frontières. Or, Rached Ghannouchi et Ennahdha ont deux sérieux problèmes : le PDL et Kaïs Saïed. Et, extrême « magnanimité », leurs bases descendront dans la rue pour « sauver les institutions de l'Etat » comme l'a déclaré Imed Khémiri. Mouvement de protestation, ou mouvement de soutien ? Samir Dilou s'est ouvertement déclaré contre le recours à la rue, hier sur Diwan fm, et cela en dit long sur l'état de décomposition de tout le corps nahdhaoui. Un parti (Ennahdha) ayant trop longtemps vécu dans l'ivresse du Pouvoir. Et qui a épuisé tous ses atouts. On affublera l'Amérique de tous les maux, de toutes les erreurs stratégiques, sauf qu'elle ne commet jamais la même faute deux fois de suite. R.K.