« Je ris de tout, de rien et de moi-même ». Le mythique « Al Jahedh » les épinglait tous. Les historiens disent qu'il riait à pleines dents, au moment où il rendait l'âme, enseveli sous ses livres. Coluche, Thierry Le Luron, Fernand Reynaud, Guy Bedos et tous les autres s'interrogeaient sur un siècle tumultueux, strié par deux guerres et par la revanche des politiques sur les militaires. Et, chez nous, cet art, presque de la satire voltairienne, était mise en forme par « Jamaâet Taht Essour », sorte de confrérie intellectuelle, inspirant l'humour décapant d'un Salah Khemissi, parodiant un procès où il est inculpé pour avoir « consommé et bu », dans un restaurant et de n'avoir pas payé. Où en sommes-nous du rire, aujourd'hui ? La semaine dernière, le Théâtre Municipal de Tunis nous offrait un plateau de rire à pleines dents. Une semaine de rire, un peu comme une bouffée d'oxygène, en ces temps de sinistrose. Mais nous riions intelligent. Le rire est la conséquence d'un message que véhicule l'humour. Il suppose, bien sûr, une imagination sans limites, sans tabous, mais une mise en forme – les mots et les choses diraient, Foucault - respectant les règles premières de la pudeur, de la bienséance, du respect des valeurs et des gens. Sauf que, actuellement, la tendance est, quelque part, aux « singes savants », sur fond de populisme agressif et bluffeur. Est-ce de l'humour, est-ce du « one man show » que de caricaturer les gens, que de les comparer à des animaux ? Ne sont-ce pas là des singeries, sinon n'est-ce pas aussi une mimique sans relief et de bas étage ? Et puis, ce « faux-courage », faisant de l'humoriste le héros des esprits se disant « frustrés sous les pesanteurs socio-politiques » ; ou ceux qui fantasment, à moindre frais, croyant retrouver chez l'humoriste, cette « liberté d'expression », dont ils se croient « privés »... Mais une « liberté », à bien y réfléchir, assez souvent, fallacieuse. Une bricole faite de mots, de gestes, de la résurgence d'une certaine bédouinité, d'un langage tribal, ou alors de ce nouveau langage parallèle, « culture » dégradante d'une jeunesse sans repères... Non, il n'est pas normal que nos arènes et nos plateaux de télévision se transforment en hauts lieux du lynchage médiatique au nom de la liberté d'expression et de la liberté « du rire ». La force de Charlot, c'est qu'il nous fait pleurer en même temps qu'il nous fait rire : Il nous donne, ainsi, à réfléchir. Un humour qui n'en est pas un, un assemblage de mots frisant l'obscénité peuvent-ils nous faire réfléchir ? Autant zapper. Regarder « Friends », remonter jusqu'à Bill Cosby, sinon réécouter Salah Khemissi, relire Al Jahedh, Pierre Daninos et, même, Voltaire et Douagi. Des « humoristes » de chez-nous, en ont-ils entendu parler ?