Le laboratoire d'intégration économique internationale de la faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis récemment organisé un colloque international sur : « la mondialisation : intégration économique et croissance en Méditerranée occidentale », en partenariat avec le Crifes- Matisse du Centre d'Economie de la Sorbonne et l'UMR CNRS de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et avec le soutien de la Fondation allemande Hanns Seidel. Plusieurs experts et universitaires maghrébins ont, également, contribué à ce colloque. L'anniversaire de l'UMA vient à point nommé pour rappeler aux pays du Maghreb la nécessité de doubler d'efforts pour synchroniser et coordonner leurs politiques économiques et améliorer les conditions de leur intégration à leur environnement naturel qui est le monde arabe et le bassin méditerranéen.
La problématique Le choix de la problématique n'est pas fortuit. La question de la mondialisation et de la chute des barrières douanières a provoqué - et provoque encore - un large débat à l'échelle locale et internationale. Les plus sceptiques ont annoncé la couleur dès les premières heures de la Mondialisation pour crier au retour de l'hégémonisme et à la perte de la souveraineté nationale. Cette appréhension a été, récemment, affichée en Tunisie lors des analyses rétrospectives sur les conséquences de l'expiration en 2005 des accords multifibres dans le domaine des textiles sur l'industrie locale. Certains prédisaient un écroulement rapide des produits tunisiens face à l'ogre chinois. Rien de cela n'en fût et les textiles tunisiens ont résisté, et résistent encore, sur le marché international. D'ailleurs, selon les experts du colloque : « l'expérience a montré que la suppression des obstacles tarifaires et non tarifaires contribue à réaliser des taux de croissance plus importants suite à l'élargissement des marchés et à l'augmentation de la demande qui en découle avec des effets positifs au niveau de l'emploi et de l'amélioration des revenus. L'ouverture des économies nationales aux marchés internationaux, par le mouvement d'intégration, a pour conséquence le renforcement de la concurrence obligeant ainsi les entreprises à davantage de performances par l'amélioration de la productivité des facteurs et par le choix d'une spécialisation adéquate et par l'amélioration de l'environnement des affaires qui concerne aussi bien les firmes nationales que les firmes multinationales de plus en plus dominantes. ». Donc, seule l'étude des expériences d'intégration régionale ou multilatérale peut permettre aux experts de valider, ou d'invalider, les arguments des uns et des autres et de porter une évaluation objective des conditions de réussite de cette si mal nommée Mondialisation. D'ailleurs, le délégué de la Fondation Hanns Seidel, le Professeur Jürgen Theres, a expliqué dans son allocution lors de l'ouverture du colloque que : « Ce colloque se présente comme un forum pour débattre de ces questions et enrichir la réflexion pour éclairer les décideurs afin d'élaborer des stratégies appropriées pour réaliser l'objectif d'une croissance soutenue au profit de toutes les parties prenantes. Cependant, ce souci d'ouverture doit être tel pour que celle-ci soit profitable à tous. Pour cela il faut créer un cadre qui garantit un avantage pour chaque pays coéchangiste. L'ouverture par un mouvement d'intégration permet de maximiser les avantages qu'on peut tirer de cette ouverture. L'intégration peut se faire soit au niveau régional (Union Européenne, UMA, Mercosur) ou bien au niveau mondial suite aux accords de l'OMC. Cette forme d'ouverture basée sur les négociations, donne à tous les pays la possibilité de faire valoir leur avantage comparatif et renforcer ainsi leur croissance. Notre expérience en Europe illustre bien cette démarche. En effet, la procédure adoptée par les pays européens était progressive: de la communauté européenne du charbon et de l'acier avec 6 pays à une Europe de 27. ». Il a poursuivi : « Que l'intégration soit sous forme régionale ou multilatérale, elle offre aux parties impliquées l'occasion de multiplier les échanges, de renforcer leurs activités et surtout de permettre le rattrapage pour les pays qui accusent du retard. C'est là une opportunité pour les pays du Maghreb de renforcer leur propre intégration et celle avec les pays d'Europe afin de bénéficier d'un marché élargi de nature à renforcer la croissance par des gains de productivité. De plus, l'intégration est appelée à autoriser des transferts tant de technologie que de savoir-faire. Mais d'un autre côté, si l'ouverture par l'intégration peut aussi engendrer des risques importants sur le plan social pour les pays qui ne parviennent pas à faire face à la concurrence. ». C'est cet ordre du jour qui a été adopté par le colloque. Lequel a procédé à une évaluation de l'intégration des pays du Maghreb à l'Union Européenne suivant des angles différents en fonction des cas, tunisien, algérien et marocain. La différence des approches a enrichi le débat et a fait du colloque un véritable tour d'horizon par rapport à la Mondialisation. Il a été, aussi, une opportunité pour évaluer les étapes franchies dans la réalisation de la Politique Européenne de Voisinage prônée par l'UE et différemment conçue par les pays du Maghreb.
Les angles Les interventions des Professeurs Roland Lantner, Bernard Haudeville, Tahar Ben Marzouka et Abdeljabar B'saies lors de la séance inaugurale du colloque, ont posé les problématiques induites par la Mondialisation aussi bien aux pays développés qu'émergents. En effet, ce nouvel ordre économique a apporté des avantages assortis toutefois de contraintes. Ce régime multilatéral a innové en matière de structures, qu'elles soient de production ( augmentation de la capacité et réduction des coûts), de commercialisation (niveau de protection et coût de la distribution) et de financement (coût de change). D'ailleurs, ces procédés sont à la base de l'amélioration de la compétitivité de chaque produit, quelle que soit son origine. Ainsi, les quatre interventions ont été complémentaires. D'abord, le Professeur Roland Lantner s'est interrogé si la Mondialisation signifie un prolongement ou une rupture de la théorie classique de l'économie internationale ? Ensuite, le Professeur Bernard Haudeville a développé la contribution des échanges scientifiques et techniques dans l'intégration. Quant au Professeur Tahar Ben Marzouka, il a présenté le nouveau système commercial multilatéral et ses contraintes. Enfin, le Professeur Abdeljabar B'saies a introduit la relation entre l'intégration, la technologie et la compétitivité. Donc, cette séance plénière a placé la Mondialisation dans sa conjoncture historique (Professeur Lantner) ; elle a expliqué les données scientifiques et techniques qui l'ont accompagnée (Professeur Haudeville) ; elle a présenté l'évolution économique qui a engendré le nouveau système multilatéral (Professeur Ben Marzouka) et elle a explicité la relation entre ces différents éléments (Professeur B'saies).
Le nouveau système Par ailleurs, le Professeur Ben Marzouka a développé une intervention précisant les modifications qui ont été à la base de la naissance du nouveau système commercial multilatéral. Il a précisé que : « Les changements ont touché le circuit de production à travers l'introduction de hautes technologies (robotique, informatique, une nouvelle technologie d'ordre numérique, etc ). L'appareil productif a été, ainsi, restructuré et il utilise, désormais, une main-d'œuvre qualifiée nécessaire au fonctionnement de cette high-tech. Ces nouvelles procédures ont entraîné dans leur sillage l'amélioration de la productivité des facteurs et par conséquent, de l'augmentation des investissements source de croissance. Ces nouvelles données ont influé sur les négociations qui avaient mené aux accords du GATT de 1994. Ces accords ont placé comme objectif le développement du commerce international d'une manière durable et équitable. Ils se fondent sur un cadre institutionnel de négociations selon le principe de consensus et de multilatéralisme et adoptent une politique interne et externe conséquente avec ces objectifs. Ainsi, le recours au marché international devient un impératif pour les économies qui ont adopté des mesures d'ajustement et qui sont à la recherche d'accélérer la croissance par l'amélioration de leur compétitivité. Cependant, il faut satisfaire les nouvelles contraintes de la compétitivité imposées par le nouveau cadre institutionnel régi par les Accords du Gatt 1994. Ces nouvelles exigences concernent : d'abord, les contraintes du marché qui favorisent les économies innovantes par l'introduction des nouvelles technologies et de la main-d'œuvre qualifiée. Il faut avoir alors la capacité à faire face à la concurrence internationale. Ensuite, le respect des nouvelles règles en particulier : La protection de l'économie nationale par le droit de douane sans recourir au mesures d'ordre non tarifaire, ainsi que l'application des règles de concurrence du marché c'est-à-dire ne pas recourir aux subventions ni aux pratiques du dumping ou de contre façon ou le non respect des conventions internationales. Enfin, l'accélération des mouvements de capitaux au titre d'IDE et de portefeuille avec prudence (convertibilité de la monnaie nationale) ». En terme pratique, les sociétés émergentes ont toutes à l'ordre du jour un besoin pressant de résoudre la problématique de l'emploi. Pour ce faire, se pose la nécessité de promouvoir la croissance. Or, comme leur consommation n'est pas très développée, elles doivent recourir à l'exportation. Or, les pays du Nord sont les marchés potentiels de cette exportation et ils ont leurs propres conditions. Donc, les pays du Sud sont contraints à s'astreindre aux conditions de leurs marchés potentiels. Ceci commence à l'échelle régionale pour ensuite s'étendre à l'échelle mondiale. Autrement dit, la mondialisation galopante commence par l'intégration régionale. Pour le Maghreb, c'est d'abord l'intégration à la zone méditerranéenne et à l'UE. L'intervention du Professeur Ben Marzouka a posé le cadre général du colloque et a servi de référence aux débats dans les six ateliers où se sont succédé plus de 40 intervenants. Ce colloque a valu, aussi, par la confrontation des idées entre la thèse algérienne qui défend chèrement la « souveraineté nationale» et la thèse tuniso-marocaine qui prône une adhésion réfléchie à l'approche inéluctable de l'intégration économique de l'UMA à l'UE. Une chose est certaine, c'est que la flambée des cours du pétrole a sensiblement influé sur la position algérienne. Les experts algériens n'avaient pas réagi ainsi lorsqu'ils négociaient le rééchelonnement de leurs dettes avec le club de Paris. Il n'empêche que la conclusion générale ressortant de ce colloque, est que la l'intégration économique régionale est une passerelle inévitable pour réussir à franchir les obstacles de la Mondialisation.