Avec les problèmes de montée des prix mondiaux des céréales, des aliments du bétail..., et, en attendant la hausse des prix des matières grasses, des équipements, des engrais... en plus de ceux de l'énergie qui continuent à monter, il semble logique à tout un chacun de vouloir examiner de près "l'état de santé" de ce qu'on appelle, en agriculture, les facteurs de production et nos capacités de compter sur eux pour produire plus ou mieux. Sachant bien que le sol est le premier des 3 facteurs de production reconnus en agriculture, les deux autres étant l'homme et le capital ; et que si l'un vient à manquer, il ne faut plus compter sur une production agricole ; un constat devient rapidement évident ; c'est celui de la baisse de la fertilité des sols cultivables de plus en plus nette par suite de leur appauvrissement en humus. Cet appauvrissement risque d'avoir pour conséquence un affaiblissement de la capacité de ces sols de jouer le rôle de "facteur de production" qu'ils sont censés être. Il est vrai que, durant les dernières décennies, il a été développé ce qu'on appelle les cultures "sans sol", des cultures hydroponiques..., mais ce sont là des modes de cultures qui ne peuvent se pratiquer que sur des superficies limitées, pour des cultures très riches... mais non pour un usage en grandeur nature dans l'agriculture... on les utilisera peut-être un jour quand on habitera sur la lune ! Pour le moment, et comme on n'est pas encore sur la lune, le sol reste un facteur primordial pour qu'on puisse compter sérieusement sur une production agricole propre. Ceci aurait supposé, que chacun des facteurs de production aurait été utilisé à bon escient, le sol en premier ; et c'est de cela qu'on se propose de parler. La capacité de production d'un sol et la productivité de l'agriculture dépendent étroitement du bon "état de santé" de ce sol, c'est-à-dire du suivi des principes agronomiques qui doivent prévaloir au sein de l'exploitation pour lui conserver ou améliorer sa fertilité. Mais en quoi consisterait cette fertilité, et d'où provient-elle ? En simplifiant à l'extrême, on peut rappeler que le sol que nous voyons tous les jours n'est pas seulement composé de particules d'argile, de sable ou de calcaires malgré qu'ils en sont les composants principaux. A côté de ces composants inertes du sol nous trouvons notamment l'humus, acteur principal de notre propos. Il fait partie intégrante de ce fameux sol et forme l'un des composés de ce milieu qu'il rend vivant, donc fragile et complexe ; et où une faune et une flore microscopiques et actives de microbes, de bactéries, de champignons... provoquent constamment des interactions physiques, biochimiques, organiques... auxquelles l'agriculteur doit prêter une attention particulière. L'humus se fabrique à partir des déchets des cultures, des apports de matières organiques et de fumier dans les couches superficielles du sol, il forme le milieu où se produit cette activité microscopique, notamment sur les matières azotées et phosphatées pour les "apprêter" à la nutrition des cultures, il a en plus pour fonction d'absorber l'eau de pluie notamment ,et de la conserver dans le sol au lieu de la laisser ruisseler et se perdre. Il permet ainsi aux cultures de mieux résister aux agressions du climat : insuffisance de pluies, vents, sécheresse, inondations... plus prosaïquement, on peut dire que les cultures ont besoin de ces racines, détritus... même et surtout en décomposition avancée pour restaurer la fertilité de nos terres ; comme on a parfois besoin de ces vieux ingénieurs perclus et claudicants pour remettre nos pendules à l'heure. Il faut signaler également que les travaux avec retournement du sol en exposant l'humus au soleil peuvent contribuer à sa destruction, d'où la nécessité de réduire ou d'éviter ce genre de travaux quand ils ne sont pas nécessaires, de s'orienter vers des travaux sans retournement, des semis directs... dans la mesure du possible. Malheureusement ces stratégies, plans..., malgré leur rationalité et leur sagesse, rencontrent souvent des difficultés pour recevoir la priorité qui leur est due, pour être financées et dotées des moyens de travail requis pour leur mise en application ! A titre d'exemple dans le Nord du pays, la cause de la baisse de la fertilité du sol qu'on constate, est essentiellement due à une vision très fragmentaire des intérêts de la région en général et de "l'exploitation agricole" en particulier, alors que c'est au sein de cette "Entreprise" que se prennent les décisions qui vont régir toute la production du pays. En effet, c'est de cette prise de décision de l'agriculteur que dépendent : les superficies qui seront emblavées, donc les nutriments que vont exporter ces cultures et les déchets qui vont être restitués au sol, donc le maintien ou la dégradation du taux de fertilité ! Ainsi et, dans la plupart des cas, au lieu de voir ces décideurs (agriculteurs) s'orienter vers des assolements rationnels pour leurs sols, au lieu de les voir créer les élevages qui vont consommer sur place les productions fourragère de l'exploitation bon marché , au lieu de restituer le maximum de matières organiques à leurs sols, au lieu de faire appel à des technologies peu énergivores..., ils s'orientent vers : * Des assolements qui demandent peu d'efforts humains et financiers, * La réduction des dépenses techniquement recommandées, * L'allègement maximum de la main-d'œuvre liée à toute intensification... * L'adoption d'élevages plutôt extensifs... Et, contrairement, à ce que les non-initiés au monde de l'agriculture croient, la raison de cette tendance est plus souvent liée au surenchérissement du matériel agricole et des semences, à l'exiguïté et au morcellement de l'exploitation, au manque de moyens financiers ou leur inadaptation aux réalités de l'agriculture, aux difficultés de commercialisation... et non à la négligence de l'exploitant ou sa mauvaise volonté ! Il est donc indispensable, si on veut laisser à ce sol la possibilité de jouer son rôle de "facteur de production" et de pouvoir reconstituer sa fertilité à chaque fois qu'elle est sollicitée, que le choix des spéculations soit fonction de l'intérêt général et particulier à moyen et long termes, et non pas seulement de l'intérêt à court terme. Pour cela, les principes agronomiques de bon usage du sol et de rentabilité de l'exploitation sur le plan technique, financier et économique... devraient être expressément encouragés pour rationaliser la production agricole et limiter les abus de l'agriculteur et du consommateur. Je pense que c'est l'absence dans l'assolement de culture de légumineuses pour les raisons énoncées plus haut, et de l'indispensable synergie qui doit régner entre productions végétales et productions animales et l'absence d'un cycle régénérateur de l'humus... par suite de la très faible présence de cheptel sur ces exploitations du Nord qui ont causé la baisse de cette fertilité. Ces absences que complète souvent et malheureusement une autre absence ou absentéisme, celui de l'exploitant sur sa ferme. L'absentéisme forme une grande calamité pour l'agriculture, mais il est parfois et malheureusement justifié... !
Il faut dire aussi, que dans nos institutions d'enseignement supérieur agricole, il n'existe pas cette spécialité conciliatrice "Agriculture-Elevage" comme existe par exemple en médecine la spécialité d'"interniste" qui essaie de formuler ses conseils en fonction des recommandations des spécialistes ! Avec tous ces points d'interrogations quant à la fertilité, points d'interrogation valables aussi bien pour le "sec" que pour l'"irrigué", et après 3 ou 4 décennies d'investissements prioritaires dans l'hydraulique et la CES ; nous aurons beau dire que nos hydrauliciens ont accumulé des volumes d'eau énormes dans des barrages, conçus ou réalisés des périmètres irrigables-irrigués, que les services de CES ont taillé sur nos collines et nos piémonts... des milliers de kilomètres de banquettes, de tabias, et je ne sais combien de centaines de barrages ou lacs collinaires..., que nos offices ont importés, durant ces décennies des milliers de vaches les plus racées avec tout le maïs, et le soja nécessaire à leur nourriture... et même de l'orge pour "sauvegarder" nos moutons.... ; est-ce que cela suffit pour dire que nous avons garanti la bonne exploitation de notre "Superficie Agricole Utile" ou garanti notre sécurité alimentaire ? Quand, les sols de nos plaines, les plus riches parfois, perdent leur fertilité, à quoi serviraient des périmètres d'irrigation. quand ces bons sols, suite à des cultures de céréales répétées, sont l'objet d'une véritable érosion en matière organique, rien ne sert de lutter contre l'érosion hydrique sur les pentes qui sont à côté, ou disons pour être juste, cela ne sert que très peu les objectifs de production du territoire national. Il y a une hiérarchisation de l'intervention de l'homme que doit respecter l'agronome -généraliste quand il est sollicité pour appliquer sa science et concevoir l'aménagement adéquat là où une intervention est souhaitée ou souhaitable. " Rien ne sert d'acheter les nattes avant de construire la mosquée " dit notre vieux proverbe populaire. Il faut agir certainement avec beaucoup de vigueur mais au cas par cas, exploitation par exploitation et avec les moyens financiers et humains adéquats. Il ne s'agit pas de choisir des "secteurs prioritaires" comme cela apparaît dans certains textes ; mais bien plutôt d'éviter que c'est aux ports de La Goulette ou de Bizerte... que nous devrons nous adresser de plus en plus pour manger ou pour importer aussi bien nos animaux que leur nourriture ? Pour cela, le sol, la fertilité du sol.... Ne sont pas, à mon avis, de vains mots. Ils ont besoin d'une juste réhabilitation pour en faire des outils capables de défier en productivité les terres. Il ne faut pas oublier, toutefois, que les terres objets de ces préoccupations font partie d'"Entreprises agricoles" déjà largement morcelées, souvent trop petites pour être viables ; et dont l'humus s'en va sans espoir de remplacement. Penser à la "restauration et à la rénovation des sols..." avec les chefs de ces "Entreprises" est plus une nécessité qu'un choix ; et , ce d'autant plus qu'on ne peut supporter encore et encore... l'évolution de ces cours mondiaux peu sécurisants.... Cela fait quand même quelques centaines de milliers d'hectares qui mériteraient, peut-être de passer en REA Re-situer les priorités et les moyens à mettre en œuvre et opérer les mises à niveau indispensables semblent être les nouvelles clés de ce début de millénaires si on juge, comme je le pense, qu'il y a en la matière une seconde Cause Nationale pour l'Agriculture. Mais, pourquoi parler d'une seconde cause alors que seul est évoqué le problème de baisse de la fertilité des sols ? C'est que la cause qui demeure première et principale est celle, pour ceux qui connaissent l'agriculture, des problèmes fonciers et de la mise à niveau de l'exploitation agricole. Le nombre des exploitations agricoles qui a évolué de 326.000 en 1961/62, à plus de 516.000 en 2004 pose un problème certain de viabilité. Une augmentation numérique de ce nombre pour une superficie qui ne peut changer forme un grand handicap sous une climatologie aussi variable que la nôtre, et on ne parle pas de morcellement... La rénovation des sols très épuisés et leur recyclage dans le circuit du développement vient donc s'ajouter à ce grand problème... Un autre proverbe arabe, du temps où les Arabes étaient des pasteurs, dit que celui qui accède à un pâturage fertile, peut se permettre de choisir la parcelle la meilleure, d'où l'importance de cette fertilité ; et de nos possibilités de choix en son absence. Enfin, terminons par une dernière citation, celle de Jules Michelet, un grand écrivain français aussi romantique qu'audacieux, qui disait : "Ayez pitié de la terre fatiguée, qui sans l'amour n'aurait plus de raison d'être ...". Pour nous, dans ce mot "terre" il y a aussi bien l'agriculture, que le sol, que l'animal, que l'agriculteur, que l'agronome... et que l'Etat, gestionnaire de l'ensemble, concepteur, coordinateur et décideur... Et, par amour de la terre, ils ont tous pour rôle de développer les moyens et les mettre en œuvre pour "défatiguer cette terre, ce sol"... il suffit de décider qui peut faire quoi, le mobiliser à jouer son rôle et le suivre de près ! Il y va de l'intérêt de tous, et le consommateur est aussi concerné que l'agriculteur et ... l'agronome. Malek Ben Salah