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Près du dépotoir de Mahrès…
Reportages : Métier
Publié dans Le Temps le 31 - 03 - 2008

Des envols de sachets de plastique, des nuées de mouettes faisant des cercles concentriques, des tourbillons de fumées noirâtres, des odeurs étouffantes qui imbibent tout le voisinage : un dépotoir à ciel ouvert, juste à la sortie de Mahrès. Un bâtiment flambant neuf, tout blanc, installé à la limite de cette décharge, sur une proéminence artificielle, la partie supérieure bien bleue et visible de loin,
entièrement entouré de grillage. Cette construction réalisée par le Ministère de l'Environnement, entre dans le cadre de la gestion plus organisée des ordures ménagères. Ici, dorénavant, les camions d'ordures de Mahrès et de Chaffar, déverseront directement leurs chargements dans des semi-remorques qui transporteront tout cela vers le Centre de Tri de Agareb. C'est à court terme, la fermeture programmée de ce dépotoir, et normalement, la dépollution et la décontamination de ce site. Les voisins affirment que « la personnalité » qui doit inaugurer sa mise en route est chaque fois retenue ailleurs.
Juste en face, de l'autre côté de la nationale, une très belle petite pistacheraie, l'une des premières plantées ici, et l'une des rares que l'on voit directement de la route. Le bout des branches porte en ce mois des petits bouquets rougeâtres, les futures grappes de pistaches. Dans une oliveraie mitoyenne, une cahute en bois de récupération, quelques ferrailles à côté de vieux fûts rouillés, des pneus élimés, du plastique de serre usagé, plié et entassé, et devant la porte, bien en vue, une vieille théière, qui fut verte, semble somnoler sur un reste de brasero. Un monsieur, invisible tellement intégré dans cet ensemble de bric à brac, s'est levé, s'est déplié plutôt, a traversé la route, et est venu à ma rencontre, voyant mes hésitations sur la direction à prendre pour pénétrer ou m'approcher du dépotoir.
Sa démarche, celle d'un danseur de tango argentin, le dos légèrement voûté, non par habitude de se tenir à distance d'une partenaire gracile et élégante, mais « à force de faire le porte-faix , à décharger les cales des cargos, les camions de farine ou de ciment ». Bizarre, à voir sa carrure filiforme, on l'imagine mal dans ce monde de gros bras. Un monde de force physique avant tout.
Un visage en lame de couteau, le nez légèrement déformé et ce regard : il vous fixe, mais une lueur d'inquiétude toujours, au fond de l'iris. L'habitude d'être rejeté, traqué peut-être. Le menton volontaire, et une bouche édentée, avec quelques chicots qui apparaissent lorsqu'il y a esquisse rapide de sourire. « Des traces de vie ». De longs bras, qui n'en finissent pas, et des mains d'une noirceur inouïe. Une deuxième peau, une paire de gants définitivement greffés. Quelques cicatrices dans les paumes luisent comme des incrustations argentées. Que fait-il dans ce coin ?? « Je suis berbèche », dit Béchir, regardant ses mains, sans essayer de les cacher ou d'en avoir honte. Au contraire, il les exhibe comme un outil de travail, avec fierté, semblable à un potier qui vous parlerait avec ses mains enduites d'argile. « Impossible de nettoyer vraiment ». De l'eau ? « Un petit bidon, juste pour boire et faire mes ablutions, ici ».

Le filon des métaux
Comment traduire ce mot, « berbèche », qu'il vous jette au visage, qui veut dire en même temps fouiller, trifouiller, farfouiller,chercher avec minutie, être d'une certaine curiosité, vouloir connaître ce qui est caché, remuer en tous sens. Mot utilisé essentiellement pour les gallinacés à la recherche de nourriture.... Il insiste, « Oui, je fais comme la poule, je soulève pour picorer, mais je ne mets pas dans ma bouche, je fais mécaniquement un premier tri. J'ai mon couffin, et toujours un petit sac à dos ». Pas besoin de le questionner. Il parle à l'envie. Il se parle, en fait, peu importe, que vous l'écoutiez ou pas.
« Oui, je fais comme la poule, je déchire les sachets contenant les ordures déversées par les camions, et je les étale .. ». Un métier ça ?? « Que faire d'autre maintenant ? ». Une longue parenthèse douloureuse depuis sa jeunesse, depuis cette époque d'homme de force. Il n'en parlera pas de toutes façons. « Ici, aujourd'hui, je n'ai pas de patron, pas d'horaire, ni de salaire, ni de sécurité sociale, ni de retraite attendue ». Il n'y a ni haine, ni acrimonie, dans le timbre. Un homme libre alors ? Une esquisse de sourire vite réprimée, et puis « libre de quoi ?? ».
Les dangers de contamination ? « Immunisé contre tout, absolument tout.... ». Et les métaux ?? « Ce dépotoir, c'est un peu une carrière à métaux. On trouve de l'alu, du cuivre, de la fonte, du laiton, des rebus de tourneurs, des copeaux de fer, des bouts de tuyaux galvanisés, et maintenant on ramasse aussi le plastique et le caoutchouc ». Aucune idée de ce qu'est l'amiante et ses dangers. Béchir ne s'en préoccupe, ni des piles, ni du mercure. Il est content de trouver des batteries de voitures. Le plomb ? Il s'en délecte : « ça rapporte gros, maintenant ». Le cadmium ? « C'est quoi ? ». Aucune idée de ce qu'est le danger du contact prolongé avec les métaux lourds. « J'ai suffisamment de patience pour tout décortiquer et je récupère du cuivre, du zinc. Même émietté tout métal est acheté ».
. Des métaux précieux ?? Là aussi, un profond silence. L'hésitation pour choisir quoi dire et comment le dire. Toujours se protéger d'abord. On ne sait jamais. Encore une leçon de vie, certainement, pour ne pas s'en vouloir après. « Oh, oui. Une fois, il y a très longtemps, dans une petite poterie brisée, une bague en or. Je me rappelle toujours des initiales E.M. gravées à l'intérieur ». Silence redoutable, et les yeux vides, si on soulève la question familiale. Il se referme totalement, il fait le hérisson. On évite donc le sujet.

Etre le premier
Quand on lui parle des 10.000 « cartoneros » de Buenos Aires, tous des enfants, spécialistes du ramassage des cartons usagés dans les monstrueuses décharges de la ville, et qui ne vivent que de la vente de ces tonnes de papiers à recycler, il a un sourire en coin, baisse les yeux et gratte la terre avec la pointe du pied, comme pour écrire sur le sol le peu d'intérêt qu'il accorde à la chose. Même le chiffre ne le fait pas tiquer. Béchir est surpris d'apprendre l'existence des « freegans » d'Amérique et d'Europe, ces « déchétariens » comme ils aiment s'appeler, parce qu'ils se nourrissent exclusivement des déchets et des rebus de la société de consommation, récupérés directement dans les poubelles des particuliers, ou des supermarchés. « Non », lui fouille « pour récupérer des métaux, les vendre, et acheter de la nourriture ». Il fronce les sourcils et grimace lorsqu'il apprend qu'aux USA, 40% de la nourriture finit à la poubelle...Pas de commentaires non plus. « Il y a longtemps que le bruit du vent ne m'apporte que les froissements du plastique. Les bruits de la ville, et au-delà, ne m'intéressent plus ».
Il est seul à fouiller et récupérer ce qui est vendable ?? Une respiration plus forte. « Nous sommes une bonne quinzaine sur cette décharge ». Il était là depuis longtemps, « le premier, et seul du matin au soir ». D'abord, les autres avaient honte. Ils restaient à l'observer. Puis le saut. « On met son orgueil mal placé au fond de sa poche et le mouchoir par dessus »...Ils venaient très tôt le matin, la peur d'être vus à fouiller Une concurrence féroce, maintenant. Tous des adultes, pas d'ados ni d'enfants. Heureusement .Une bonne quinzaine à « se partager les lieux. Enfin partage ne veut pas dire égalité !! ». Des clans qui se forment par relation parentale, ou par intérêt bien compris : une division des tâches pour « ratisser large ». Des coopératives, en quelque sorte. Occuper « un territoire » dans le dépotoir. Savoir d'où viennent les bennes, de quel quartier. « On attend celles qui passent devant les cyclistes, les mécaniciens, et les soudeurs, pour être le premier dessus ». Des horaires de fouille, peut-être ?? « J'évite les fortes chaleurs. En été, l'odeur de la pourriture devient insupportable......même pour moi ! »
Il est vrai que cette décharge attire toutes sortes d'animaux et leurs prédateurs. La viande avariée, les restes de pain, les poubelles des restaurants, les légumes impropres à la consommation venant des marchés, les ordures ménagères, sont des garde-manger inestimables : cela va des colonies de rats gigantesques, aux hordes de chiens redevenus sauvages. La nuit, des renards, parfois des loups et même des sangliers !!! Des pêcheurs rencontrés pas loin affirment avoir trouvé, par deux fois, au petit matin, des cadavres de ces bêtes, peu communes ici, écrasées par des poids lourds.
Je m'approche pour visiter le bâtiment. Le gardien du site est intraitable. Le Ministère qui l'emploie doit absolument augmenter son salaire. Je suis obligé d'utiliser un stratagème, convaincre l'un des « barbacha » arrivés, pour prendre à ma place quelques photos de la décharge. Des voisins disent que le gardien ne dispose même pas d'eau potable, et qu'ils lui fournissent, par humanité, un bidon par jour.
Des tracteurs traînant citernes viennent déverser la margine des huileries locales. Au milieu de la décharge, un immense creux entouré de talus, et le contenu des citernes est vidé ainsi, à ciel ouvert, directement en terre. A mon étonnement, l'un des chauffeurs faisant la ronde, me dit : « la terre va en absorber une partie, et comme on n'est pas loin de la mer, celle-ci va aussi en prendre une partie, pour nourrir les poissons »( !!!). Contre une taxe, on permet à ces huileries de se débarrasser de leurs déchets. On applique le principe : on peut polluer, il suffit de payer une redevance.....
Pour Béchir, « mais à quoi sert cette construction ? Pourquoi les bennes d'ordures ne vont-elles pas directement à Agareb au lieu de décharger ici dans des camions qui eux vont faire le transport jusqu'au site de tri ??? C'est un gros gâteau à partager tout çà !! ». Il se rend compte qu'à très court terme, il n'y aura plus de dépotoir ici. Et donc plus de « fouille » à faire. Plus de gagne pain. « J'irai du côté de Kalâa Kébira, il y a encore là une immense pyramide de déchets ». C'est vrai en plus. Visible du train, une monstrueuse décharge. Les pelles mécaniques et les bulldozers ont du mal à suivre les pistes montantes. Une hauteur vertigineuse, un cône semblable à celui d'une centrale atomique.
Et là aussi, pas loin de la voie ferrée, deux cahutes de « barbacha » sont déjà en place.


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